Quelles leçons retenir de Refus global en 2018?

Maurice Perron, qui a édité Refus gobal, a croqué les Automatistes lors de leur seconde exposition, chez les Gauvreau, en 1947.
Photo : Courtoisie Fonds Maurice Perron/Musée national des Beaux-Arts de Québec
Prenez note que cet article publié en 2018 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Le 9 août 1948, 16 artistes défient l'obscurantisme au Québec en lançant un livre : Refus global. Ce recueil revendique la liberté d'expression alors restreinte par l'académisme des beaux-arts et le clergé. Que retenir de l'œuvre 70 ans plus tard, alors que s'affrontent liberté et appropriation culturelle? Artistes et experts se prononcent.
Propos recueillis par Pascale Fontaine et Anne-Marie Kirouac
Toujours d'actualité

Françoise Sullivan
Photo : Galerie de l'UQAM
Françoise Sullivan
Signataire du manifeste
« La question est difficile et on se la pose partout en ce moment, [avec ce qui s’est passé avec Kanata]. Il faut se rappeler justement que notre texte voulait apporter une grande liberté, une grande ouverture de l’expression artistique.
« Chaque décennie, la question [“quoi retenir?”] était remise en place, notamment avec la Révolution tranquille dans les années 1960. »
La société a beaucoup évolué depuis 1948, ce qui fait qu’il y a beaucoup plus d’ouverture aujourd’hui. Mais il reste toujours des sphères où on oublie ce que le manifeste disait. C’est ce qui se passe aujourd’hui.
« Compte tenu des problèmes actuels, je pense qu’il est bon de souligner ce 70e anniversaire. C’est quand même un anniversaire assez important. Qu’on en parle encore, ça marque le poids de l’héritage. [...]
« Si la communauté autochtone ressentait le besoin de [publier un manifeste à son tour], celui-ci serait lu avec un grand intérêt! »
Le collectif derrière le mythe

Pique-nique à Saint-Hilaire, en 1947
Photo : Courtoisie Fonds Maurice Perron/Musée national des Beaux-Arts du Québec
Sophie Dubois
Auteure de Refus global : histoire d'une réception partielle
« Comment s’y rattacher si on étudie l’impact [de scandale] et la réception critique du manifeste? On voit bien que les gens vont retenir le geste de rupture et la volonté de libération, d’autonomie, d’indépendance par rapport aux institutions [artistiques, religieuses, gouvernementales]. Aujourd’hui, on pourrait dire vouloir se détacher des lois du marché, d’une industrie culturelle et de ses attentes.
« De ma perspective, Refus global est une œuvre complexe et complète qui a plusieurs portes d’entrée. J’essaie de rappeler que c’est non seulement le texte de Paul-Émile Borduas, mais aussi un recueil pluridisciplinaire, un acte collectif des automatistes autant sur la peinture que sur la littérature et sur la danse moderne. »
Il y a l’idée d’une œuvre de collaboration, de dialogue entre les arts et les disciplines, et aujourd’hui, on pourrait dire entre les cultures.
« Il y a encore des leçons à tirer ou une inspiration. Par contre, le phénomène de commémoration crée aussi une forme de mythification et d’idéalisation. »
Chasse aux dogmes

René Richard Cyr
Photo : SRcom Média
René Richard Cyr
Metteur en scène
« Refus global, c’est l’appel à la liberté, à la création. Je pense qu’à l’époque, on prenait la parole pour quelque chose, mais aussi beaucoup contre quelque chose. Au-delà de l’acte artistique qui était posé, il y avait une espèce de gifle à la société, aux pouvoirs du clergé. »
Ce qu’il reste de ça aujourd’hui, c’est d’être toujours attentif aux dogmes, aux choses qu’on ne peut pas dire, aux choses qu’on ne peut pas faire. Le terme falloir – il faut, il ne faut pas – ne devrait pas exister en art. C’est ce que les automatistes revendiquaient et qu’on doit continuer à combattre d’une certaine façon.
« Donc, Refus global est un rappel à la vigilance, un appel à la liberté qu’on devrait promouvoir et défendre. Il indique encore le chemin à suivre. »
Briser les carcans, un à la fois

Portrait d'artistes automatistes dans l'atelier de Fernand Leduc, en 1946
Photo : Courtoisie Fonds Maurice Perron/Musée national des Beaux-Arts du Québec
Geneviève Goyer-Ouimette
Conservatrice de l'art québécois et canadien contemporain
Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM)
« On parle souvent du [manifeste au début du recueil], mais Refus global est une œuvre qui intégrait à la fois de la littérature, des arts visuels, un propos politique. C’est souvent associé à une seule personne, soit Paul-Émile Borduas, qui a été mythifié autour de cette création. Pourtant il y a 15 artistes qui ont cosigné le texte, dont la moitié [7] sont des femmes.
« Donc, ce texte-là, écrit par un homme mais approprié par le groupe, demande une liberté d’expression en dehors d’un cadre extrêmement rigide et donne une voix à des personnes qui sont plus ou moins considérées comme les autres, c'est-à-dire des femmes qui, à l’époque, n’ont même pas accès aux études classiques.
« Est-ce que Refus global a permis à tous des accès? Non. Est-ce que ça a commencé à briser des carcans? Oui. Il faut avoir en tête qu’à cette époque, par exemple, ce ne sont pas toutes les femmes qui pouvaient voter, notamment les immigrantes. Souvent, c’est un premier pas et après on peut briser les autres carcans. Refus global, c’est ça. »
Il y a une volonté de se tenir debout, de réappropriation; mais qu’est-ce que ça veut dire de se tenir debout aujourd’hui? Quels sont les carcans?
Vers un Refus global autochtone?

Caroline Monnet
Photo : Radio-Canada
Caroline Monnet
Artiste contemporaine franco-algonquine
« On a beaucoup critiqué la liberté d’expression, la censure avec Kanata ou même SLĀV. On est à côté de la question. Ce qu’on veut, c’est d'accepter que des minorités comme la communauté autochtone puissent prendre de la place, s’exprimer et raconter leurs propres histoires.
On nous [les Autochtones] a longtemps empêché de vivre nos mouvements artistiques. Imaginez si les Québécois n’avaient pas pu s’exprimer en français, on serait passé à côté de grandes œuvres, comme celles de Robert Lepage.
« J’espère qu’on est en train de créer un mouvement où on s’allie et on crée des oeuvres qui permettent une plus grande réflexion de la société qui nous entoure. Qui brisent des concepts plus traditionalistes, conservateurs, paternalistes. C’est un peu ce qu'a fait Refus global à l’époque. Je pense qu’en tant que communauté autochtone, on est peut-être rendu à notre Refus global à nous. »
Les propos ont été édités par besoin de clarté et de concision.
Expositions à voir pour souligner le 70e anniversaire de Refus global
Françoise Sullivan : rétrospective
Musée d’art contemporain de Montréal
Du 20 octobre 2018 au 20 janvier 2019
La révolution Borduas : espaces et liberté
Musée d’art contemporain de Baie-Saint-Paul
Jusqu’au 4 novembre 2018
Marcel Barbeau : en mouvement
Musée national des beaux-arts du Québec
Du 11 octobre 2018 au 6 janvier 2019