Une juge autorise le gavage pour « sauver » une anorexique

Quelle est la situation de l’accès à la justice en français?
Photo : iStock
Prenez note que cet article publié en 2018 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Une juge a ordonné le traitement d'une jeune femme de 20 ans souffrant « d'anorexie extrême », allant même jusqu'à autoriser le gavage. Une procédure usuelle lorsque le patient est « inapte à consentir aux soins appropriés à son état », estime un expert en droit de la santé.
Sans soins, la femme souffrant « d'anorexie extrême » était en danger de mort, a dit la juge Lise Bergeron de la Cour supérieure dans sa décision.
Inquiets de l'état de la jeune femme, le CIUSSS de la Capitale-Nationale et le CHU de Québec ont d'abord demandé l'intervention du tribunal en juillet 2018.
Le personnel soignant constatait que son poids continuait de baisser et avait même atteint un plancher de 32 kilogrammes. Cet état avait causé d'autres problèmes, notamment à son coeur.
En juillet 2018, la jeune femme refusait de façon catégorique d'être alimentée, et selon sa psychiatre, elle ne reconnaissait pas la gravité de son état de santé.
Elle était d'ailleurs soignée depuis 2012 en raison de son anorexie et d'un trouble de la personnalité. Elle avait dû être hospitalisée à de nombreuses reprises et avait même été traitée dans le passé par électrochocs.
Sa psychiatre a témoigné à l'audience d'autorisation de soins que la jeune femme présentait désormais un diagnostic d'« anorexie nerveuse extrême » ainsi qu'un trouble de personnalité grave, celui-ci l'ayant même conduite dans le passé à faire des tentatives de suicide.
Le 12 juillet, les établissements de santé se sont donc présentés en urgence au palais de justice. La psychiatre Marie-Julie Cimon déclarait alors au juge Louis Dionne que la jeune femme risquait le décès dans les 12 à 24 prochaines heures si elle ne recevait pas de soins.

Elle refusait les soins
Dans son rapport, elle avait aussi écrit que son jugement était « gravement altéré par sa condition médicale, son faible poids et l'anorexie ». Elle refusait catégoriquement les soins, disant qu'elle souhaitait mourir de sa maladie et qu'elle ne voulait rien ingérer, « ne croyant cependant pas qu'elle puisse en mourir », a-t-elle écrit.
Selon la même psychiatre, la jeune femme « est clairement inapte, ne reconnaissant pas la maladie, disant que celle-ci est contrôlée et tentant de nous rassurer que sa glycémie n'est plus aussi basse et que son coeur bat normalement ».
Les soins ont été ordonnés pour une semaine par le juge Dionne, celui-ci jugeant la femme inapte à consentir ou à refuser des soins. Mais ses médecins ont dû se représenter au tribunal le 19 juillet, devant la juge Lise Bergeron, car la jeune femme n'était alors pas tirée d'affaire.
La psychiatre a alors actualisé l'état de sa patiente, qui s'était détérioré.
Par jugement rendu le jour même, devant la situation alarmante décrite par les médecins, notamment le fait qu'il y avait une importante quantité de liquides autour de son coeur, et son constat de l'inaptitude de la jeune femme à refuser des soins, la juge Bergeron a donc autorisé les établissements de santé à passer outre à son refus et à la soigner.
Elle a notamment autorisé des soins liés à son alimentation et à son hydratation, y compris le recours à des solutés et à du gavage, si requis, et à l'administration de tranquillisants.
1000 cas par année au Québec
L'ordonnance de traitement d'une jeune femme souffrant « d'anorexie extrême » n'est pas exceptionnelle. L'avocat spécialisé en droit de la santé, Jean-Pierre Ménard, voit régulièrement des dossiers du genre. Il y aurait environ 1000 cas au Québec chaque année.
Les patients ont le droit de refuser un traitement médical, sauf s’ils sont jugés inaptes à consentir aux soins, explique Me Ménard.
« L’élément clé, ce n’est pas d’être en danger de mort, en grand péril, c’est : “Êtes-vous apte à consentir [aux soins] ou non?” On doit prouver que la personne ne comprend pas bien sa maladie, ne comprend pas bien les risques associés, ne comprend pas les avantages du traitement », indique Me Ménard.
Ce qu’on espère, c’est qu’elle reçoive les soins requis par son état. Elle va prendre des meilleures décisions. Elle va s’apercevoir que sa décision n’avait pas de bon sens.
Traitements de force
Selon l’avocat, le personnel médical tente souvent dans un premier temps d’utiliser l’autorisation de soins pour négocier avec le patient avant d’appliquer les traitements de force.
« On va dire à la jeune fille : "On a une ordonnance pour te traiter même si tu ne veux pas, donc ça serait bien que tu collabores pour rendre cela plus simple". Dans un certain nombre de cas, ça va fonctionner. On fait tout pour ne pas recourir à ces mesures-là, parce que ce sont des mesures extrêmes », souligne-t-il.
Même s’il y a plusieurs cas d’espèce, « les tribunaux généralement vont permettre plus facilement le traitement quand quelqu’un est inapte à consentir », constate-t-il.
L'autorisation de traitement pour la jeune femme anorexique est valide pour deux mois.
Avec les informations de La Presse canadienne