Accès à un médecin : des délais qui s'allongent à mesure que le temps passe

Une médecin avec une patiente
Photo : iStock
Prenez note que cet article publié en 2018 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Des Québécois en attente d'un médecin de famille commencent sérieusement à s'impatienter. Même s'ils sont inscrits au Guichet d'accès à un médecin de famille (GAMF) depuis un an ou plus, leur délai d'attente augmente, et ce, malgré le temps qui passe.
Un texte d’Alexandre Duval
« Je trouve ça inhumain, puis je pense que ça prouve que le système ne fonctionne pas », lance Sylvie Larouche, une résidente de Québec.
En septembre 2016, Yvon St-Gelais, son conjoint de 82 ans, s’inscrivait au GAMF. Depuis, il a subi deux opérations : une au cœur et l’autre pour remplacer un de ses genoux. Il prend aussi des médicaments pour divers problèmes de santé.
Presque deux ans plus tard, M. St-Gelais n’a toujours pas de médecin de famille. Pire encore : le délai d’attente donné à M. St-Gelais a augmenté depuis son inscription au GAMF.
En date du 24 juillet 2018, son délai avant d’être pris en charge par un médecin de famille était estimé à 371 jours, comme en témoigne la capture d'écran ci-dessous.

Le délai d'attente pour M. St-Gelais était de 371 jours en date du 24 juillet 2018, comme le démontre cette capture d'écran
Photo : Radio-Canada
Mme Larouche indique que ce temps d’attente est encore plus élevé que celui donné à son conjoint lors de son inscription au GAMF, il y a deux ans. « Ça me met en rogne », lance-t-elle.
On a zéro suivi dans rien. Son diabète, comment il va? Je ne le sais pas. Son hypertension? Si on n’a pas la petite machine, on ne le sait pas. La médication, il faut qu’elle soit ajustée, mais je ne peux pas le faire moi-même là!
« S’il arrive quelque chose vite, j’ai besoin de prendre un rendez-vous. On fait quoi? On se ramasse tout le temps à l’urgence. Ce sont des heures interminables d’attente. Ça n’a pas d’allure », déplore Mme Larouche.
Cas semblable
Une autre patiente qui réside à Vendée, dans les Laurentides, vit la même chose. Isabelle Létourneau, 47 ans, est en attente dans le GAMF depuis le 1er août 2017.
En date du 16 juillet dernier, presque 365 jours s’étaient écoulés, mais son délai d’attente n’avait diminué que de 89 jours. Il a même légèrement augmenté depuis le printemps.
« Je suis dans une roue qui tourne, illustre Mme Létourneau. Je suis prise dans un engrenage et je ne vois pas la fin. »
Sa situation est pourtant pressante. Depuis 2013, Mme Létourneau est reconnue invalide par Retraite Québec en raison d’un trouble dissociatif de l’identité. En raison de cette maladie mentale, elle doit notamment prendre des médicaments pour l’anxiété et la dépression.
Pendant un bon bout de temps, ça allait bien, mais là, j’ai vraiment des effets secondaires qui sont très difficiles physiquement, et ça empire avec le temps.
Brûlures d’estomac, problèmes de digestion, sécheresse buccale qui entraîne l’apparition de caries : la liste des effets secondaires dressés par Mme Létourneau nécessiterait pourtant un suivi médical serré, dit-elle.
Discrimination?
Mme Létourneau est convaincue que sa maladie mentale rebute les médecins de famille qui pourraient la prendre en charge.
Elle raconte même que, lors de son inscription, une personne du réseau de la santé lui a téléphoné pour confirmer certains détails de son dossier.
Au bout du fil, la dame lui aurait suggéré d’omettre son problème d’alcoolisme, même si elle est aujourd’hui abstinente.
« Elle m’a suggéré de ne pas l’indiquer dans mon dossier, rapporte Mme Létourneau. Elle m’a dit que les médecins n’aimaient pas tellement ces cas-là et que j’avais plus de chances d’obtenir un médecin si je ne le mentionnais pas. »
Je trouve ça un petit peu ordinaire parce que de la discrimination pour la maladie mentale, j’en ai vécu au travail, j’en ai vécu avec mon assureur d’assurance invalidité, puis là, j’ai l’impression d’en vivre encore.
Radio-Canada révélait en février que, depuis la mise en place du GAMF en avril 2016, les médecins de famille ont refusé de prendre en charge des patients à presque 75 000 reprises.
Même si les médecins ont le droit de le faire pour plusieurs raisons, comme une incompatibilité professionnelle, Mme Létourneau juge que cette pratique porte atteinte aux droits des patients.
Moi, quand je paie mes impôts, je ne choisis pas quels médecins sont payés! Eux, ils choisissent les patients selon leurs critères… mais c’est nous qui sommes malades!
La responsabilité des médecins, dit le ministre
En entrevue à Radio-Canada cet après-midi, le ministre de la Santé, Gaétan Barrette, martèle que c'est la responsabilité des médecins de continuer à prendre en charge des patients.
« Les médecins s'étaient engagés à faire en sorte qu'au 31 décembre 2017 le guichet d'accès soit vidé. C'était ça l'engagement. Et les médecins n'ont pas rempli leur engagement alors que tout le monde sait que per capita il y a plus de médecins au Québec que partout ailleurs au Canada. »
Le ministre se montre ouvert à adopter d'autres mesures contraignantes auprès des médecins. « Probablement qu'il va falloir revenir à des contraintes », dit-il.
Le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) indique pour sa part que « le délai d’attente au GAMF est une moyenne basée sur le délai d’attente des patients de même code de priorité sur le même territoire ».
« Le temps qui passe fait donc en sorte que les patients qui sont demeurés sans prise en charge depuis [le début] peuvent faire allonger le délai moyen », ajoute la porte-parole Noémie Vanheuverzwijn.
Le MSSS s’attend toutefois à ce que le temps d’attente diminue au cours des prochains mois grâce à « la grande inscription ». Depuis l’automne 2017, il est possible pour les patients d’être inscrits « en bloc » auprès des nouveaux médecins.
En date du 26 mai 2018, plus de 406 000 patients québécois étaient toujours en attente d’un médecin avec le GAMF, selon les chiffres de la Régie de l’assurance maladie du Québec.