Y a-t-il une taille idéale pour un conseil municipal?

Le maire de Toronto John Tory et le premier ministre de l'Ontario Doug Ford
Photo : La Presse canadienne / Tijana Martin
Avec la cure minceur que lui imposera le gouvernement de Doug Ford, le conseil municipal de Toronto deviendra celui au pays où chaque élu représentera le plus grand nombre de citoyens. Est-ce vraiment la voie à suivre pour rendre les administrations municipales plus efficaces?
Un texte de Djavan Habel-Thurton
Le premier ministre de l'Ontario a justifié son intention d’amputer de moitié le conseil municipal de Toronto, en expliquant que son nombre trop élevé d’élus en faisait « l’arène politique la plus dysfonctionnelle du pays ».
Avec ses 44 conseillers, il est en effet l’un des plus grands du Canada. Il n’est surpassé que par celui de Montréal, qui réunit 65 élus, sans compter les 38 autres qui siègent uniquement aux conseils des arrondissements.
Cela dit, en raison de sa population considérable, Toronto affiche un ratio élu-résidents tout à fait comparable à celui des autres grandes villes canadiennes. Sans l’entrée en vigueur de la diète Ford, chacun des 47 élus municipaux de Toronto aurait représenté en moyenne 56 900 habitants après l’élection d’octobre prochain.
Le plan du nouveau premier ministre ontarien, qui réduira à 25 le nombre de conseillers, conférera à Toronto le plus grand nombre de résidents par élu parmi les 10 plus grandes villes du pays. Avec 105 000 résidents par représentant, les bassins électoraux municipaux de la ville ressembleront à ceux typiquement associés à une élection fédérale.
À l’opposé du spectre, Montréal compte 16 500 habitants par élu, un nombre exceptionnellement bas parmi les villes de taille comparable.
Le ratio idéal
Comme on l’observe dans le graphique ci-dessus, il existe une grande variation dans le nombre d’électeurs que représente un conseiller dans les différentes villes.
Généralement, plus une ville est grande, plus elle compte de conseillers. Cette relation n’est cependant pas proportionnelle, et le nombre de citoyens représenté par un conseiller tend à augmenter dans les grands centres urbains.
Comme on le voit dans le graphique ci-dessous, qui représente la relation entre la population d’une ville et son nombre d’élus municipaux, Toronto, avant le projet de loi Ford, s’inscrivait dans la tendance des grandes villes canadiennes, exception faite de Montréal.
Après le changement, Toronto sera dans une position tout à fait unique. Malgré une population presque trois fois plus grande qu’Ottawa, la Ville-Reine n’aura que deux conseillers de plus.
Rémy Trudel, professeur invité à l’École nationale d’administration publique (ENAP), souligne qu'il n'existe pas de formule mathématique qui permet de déterminer le nombre optimal de conseillers.
« Il y a un ensemble de facteurs à prendre en considération : la configuration de la ville, le nombre de quartiers et leur histoire, les communautés de la ville, les traditions et la culture », explique cet ancien ministre des Affaires municipales du Québec.
« »
Pour M. Trudel, une chose est cependant certaine : un changement aussi important dans la structure de l’administration municipale qui se ferait « sans la participation des municipalités et une consultation citoyenne » serait « complètement irresponsable ».
Moins de conseillers, plus d’efficacité?
En conférence de presse, Doug Ford a avancé que le conseil torontois était « dysfonctionnel » parce que ses conseillers avaient « chacun leurs petits intérêts » et qu’ils étaient incapables de prendre une décision.
Une analyse que rejette catégoriquement Rémy Trudel : « Selon la littérature académique et ma propre expérience, il n’y a aucune corrélation entre le nombre de conseillers et l’efficacité d’un gouvernement local. »
Si une assemblée peine à être efficace, c’est en raison des mécanismes qui la régissent et de ses règles de fonctionnement, estime-t-il.
Il faut aussi tenir compte du travail que devaient accomplir la vingtaine de conseillers qui seront retirés du conseil.
« Il n’y a pas que la période des questions et les débats qui existent dans les conseils municipaux, fait valoir M. Trudel. Il y a aussi plusieurs autres mécanismes comme les commissions, les consultations... Il faut les considérer lorsqu’on pense faire une réforme et diminuer le nombre de représentants. »
Pourquoi Doug Ford peut-il imposer sa volonté à Toronto?
Selon la Constitution du Canada, les institutions municipales sont soumises au pouvoir de la législature provinciale. Le Parlement ontarien a donc le droit de créer, d’abolir et de gérer les municipalités. Cela dit, la tradition veut qu’avant qu'une modification majeure dans la structure ou l’administration d’une municipalité soit apportée, ses citoyens soient consultés et que leur volonté soit prise en considération par la province.
Découpage
Un changement du nombre de conseillers implique nécessairement un nouveau découpage de la ville, puisque chaque élu représente un quartier précis.
Cette tâche n’est pas simple, puisqu’on tente habituellement de faire correspondre les délimitations géographiques aux différentes communautés.
Le plan de Doug Ford est toutefois clair : les divisions municipales de Toronto seront calquées sur les circonscriptions fédérales et provinciales de la ville.
« Toronto a 25 députés fédéraux et 25 députés provinciaux […] et elle aura 25 conseillers municipaux », a déclaré M. Ford en conférence de presse. « Ce nouveau découpage sera appliqué dès les élections de cet automne », a-t-il continué.
Rémy Trudel reconnaît dans cette décision ce qu’il qualifie de « vieux rêve uniformisant », un réflexe qu’il associe à des politiciens cherchant coûte que coûte à simplifier les divisions administratives du territoire.
« On croit qu’il ne devrait y avoir qu’une seule région d’appartenance à tous les niveaux. Le problème, c’est que les responsabilités et les compétences [des divers ordres de gouvernement] ne sont pas les mêmes », raisonne-t-il.
Pour celui qui était ministre des Affaires municipales du Québec de 1996 à 1998, vouloir uniformiser toutes les divisions électorales est une « négation des responsabilités particulières des différents niveaux de gouvernance ».