L’Afrique, berceau de l’humanité : le concept évolue

La théorie selon laquelle la race humaine est le produit d'une seule population ancestrale d'Afrique est de nos jours la plus largement acceptée.
Photo : iStock / MarcelC
L'origine des humains ne tient pas qu'à une seule population distincte en Afrique, comme on le prétendait depuis des décennies, mais bien à plusieurs groupes dispersés à travers le continent, qui ont évolué différemment dès le départ autant physiquement que culturellement. Explications.
Un texte d'Alain Labelle
C’est donc une relecture complète des origines ancestrales de l’Homo sapiens que proposent la paléoanthropologue Eleanor Scerri, de l’Université d’Oxford, et ses collègues allemands de l’Institut Max Planck.
Leurs travaux rassemblent des données combinant l'étude des os, des pierres, des gènes et des reconstructions détaillées du climat et des habitats du continent africain à travers le temps.
Ils permettent ainsi de construire une image différente de notre évolution au cours des 300 000 dernières années.
Une espèce, une origine
La théorie selon laquelle la race humaine est le produit d'une seule population ancestrale d'Afrique est de nos jours la plus largement acceptée. Selon cette théorie, l'origine de notre espèce remonte à l'Afrique de l'Est, où ont été découverts les plus anciens fossiles incontestés.
Et puis, toujours selon cette théorie, ce groupe d'humains primitifs aurait subi une série de changements génétiques et culturels qui l’auraient mené à une évolution unique dont nous sommes le résultat.
« Cette vision unique de notre origine a marqué les esprits, mais elle serait beaucoup trop simpliste. »
Une espèce, plusieurs origines
Les scientifiques européens pensent qu’il est maintenant temps de réécrire le récit de notre évolution à la lumière des nouvelles preuves apportées par les récentes découvertes archéologiques et paléontologiques, mais aussi par des percées génétiques.
Des informations qui tendent à montrer que les caractéristiques distinctives des humains ont plutôt émergé à l’image d’une mosaïque à travers différentes populations d’un peu partout sur le continent africain.
Dispersée à travers l'Afrique et largement séparée par des habitats divers et des frontières environnementales, comme les forêts et les déserts, l’humanité serait née dans une grande diversité de formes, dont le mélange a finalement façonné l’apparition de notre espèce.
Ainsi, ce n'est qu'après des centaines de milliers d'années de métissage et d'échanges culturels entre ces groupes semi-isolés que l'humain moderne a vu le jour.
Cette vision continentale de notre évolution permettrait, selon les chercheurs, de concilier les interprétations contradictoires des premiers fossiles de l'Homo sapiens de formes très diverses, éparpillés de l'Afrique du Sud (Florisbad) à l'Éthiopie (Omo Kibish) et au Maroc (Jebel Irhoud).
Des outils et des humains
Les outils en pierre et autres artefacts ont des distributions dans l'espace et le temps très distinctes.
« Il y a une tendance à l'échelle du continent vers une culture matérielle plus sophistiquée, mais cette « modernisation » n'a manifestement pas son origine dans une région ou ne se produit pas à une période donnée », explique Eleanor Scerri.
Des fossiles et des humains
Les restes fossilisés humains racontent une histoire similaire.
« Lorsque nous examinons la morphologie des os humains au cours des 300 000 dernières années, nous voyons un mélange complexe de caractéristiques archaïques et modernes dans différents endroits et à différentes époques », ajoute Chris Stringer, anthropologue au Musée d'histoire naturelle de Londres.
« Comme pour la culture matérielle, nous observons une tendance à l'échelle du continent vers la forme humaine moderne, mais différents éléments modernes apparaissent dans différents endroits à différentes époques, et certains éléments archaïques sont présents jusqu'à une date très récente. »
Des gènes et des humains
« La comparaison génétique des restes fossilisés avec celle des humains modernes tend aussi à raconter une histoire semblable », affirme Mark Thomas, généticien à l'University College London.
« Nous observons des signes d'une connectivité réduite ancrée très profondément dans le passé. Certaines lignées génétiques sont très anciennes et les niveaux de diversité ne pourraient pas s’expliquer à partir d'une seule population. »
L’humain, une espèce mosaïque
Les scientifiques ont également eu recours aux modèles climatiques afin de mieux comprendre comment les différents habitats des humains ont évolué à travers le temps, afin d’établir le degré d’isolation des différents groupes humains.
Il faut savoir que certaines des régions les plus inhospitalières d’Afrique actuellement, comme le désert du Sahara, étaient autrefois humides et vertes, alimentées par des réseaux de rivières et de lacs et abritant une faune abondante.
À l’inverse, certaines régions tropicales d’aujourd'hui étaient autrefois arides.
La nature changeante de ces zones habitables a fort probablement causé des cycles d’isolement de certaines populations humaines qui auraient mené à l’apparition de particularités biologiques et culturelles, et qui auraient par la suite été suivis d'un mélange génétique et culturel.
« L'évolution des populations humaines en Afrique a été multirégionale. Nos ancêtres étaient multiethniques. Et l'évolution de notre culture matérielle était, en fait, multiculturelle », explique Eleanor Scerri.
« Nous devons prendre en considération toutes les régions d'Afrique pour comprendre l'évolution humaine. »
Le détail de ces travaux est publié dans le journal Ecology & Evolution (Nouvelle fenêtre).