Un refuge soigne ses animaux malades avec du cannabis

Cette femelle raton laveur souffre d'un genre de parkinson et est soignée à l'huile de cannabis.
Photo : Facebook / Centre-refuge Nymous
Le centre-refuge Nymous de Sainte-Béatrix, dans Lanaudière, soigne depuis quelques mois ses animaux avec de l'huile de cannabis. Et pour ses cofondateurs, ça fonctionne. Le marché serait même en pleine explosion.
Un texte de Delphine Jung
Lou, une femelle raton laveur, et Gaby, une mouffette, ont quelque chose en commun. Ces deux résidentes du refuge sont soignées à l’huile de cannabis.
Elles font partie des 36 animaux recueillis par Jacques Lessard et Rachel Garenne, qui ont fondé le centre-refuge Nymous en juillet 2016. La plupart ont été blessés après avoir été heurtés par une auto. D’autres ont été abandonnés par leur mère.
Un renard argenté, une louve, un coyote, une marmotte, un opossum ou encore un chevreuil composent cette arche de Noé, sans compter les nombreux ratons laveurs.
La mouffette, handicapée des pattes arrière et souffrant d’une atrophie d’une partie du cerveau, développe des symptômes qui pourraient s’apparenter à ceux de la maladie de Parkinson.
La femelle raton laveur a quant à elle souffert d’une hypothermie. Depuis, des spasmes lui parcourent tout le corps à longueur de journée.
Jacques Lessard assure que ces deux animaux « vont mieux » depuis qu’il leur donne du cannabis.
« Le résultat est presque instantané chez Gaby. Elle arrête de trembler. Cela semble l’aider à avoir une meilleure coordination, un meilleur équilibre, et ce, sans l’abrutir. Ça marche à moitié sur Lou. Le CBD [le cannabidiol, une molécule] contenu dans l’huile de cannabis baisse l’intensité de ses spasmes », explique M. Lessard.
Moins cher que les médicaments traditionnels
Les deux animaux reçoivent leurs soins par voie buccale, à l’aide d’une seringue, ou mélangés à leur nourriture. Cela ne fait que trois mois que le couple utilise des méthodes de soin non conventionnelles pour soulager ses animaux malades, mais il semble déjà conquis.
L’idée lui est venue après avoir fait plusieurs recherches sur Internet et après avoir demandé l’avis de vétérinaires. M. Lessard a ainsi décidé de faire appel aux services de la Clinique de la croix verte, un dispensaire de cannabis médical qui a pignon sur rue à Montréal. Le cofondateur assure pourtant ne pas être consommateur lui-même. « On n’en a jamais pris. On y connaissait rien », dit-il.
Pour le moment, la Clinique de la croix verte offre gratuitement l’huile de cannabis au refuge qui vit des dons, mais Shantal Arroyo, la directrice et fondatrice, compte bien lancer une gamme complète pour les animaux.
Elle assure que ces produits coûtent moins cher que des médicaments plus classiques. « Une fiole de CBD qui va servir un mois coûte 10 $ », dit-elle.
Pour Mme Arroyo, le marché des produits pour animaux à base de cannabis est en pleine expansion. « Il y a une industrie qui pèse déjà des milliards aux États-Unis », dit-elle. On y trouve des entreprises comme Vet CBD en Californie ou encore Dogs naturally market, en Illinois.
Du côté des vétérinaires, Caroline Kilsdonk, la présidente de l’Ordre, reste prudente, mais souligne que le sujet est en constante évolution.
Il y a quelques études qui ont été menées sur les propriétés thérapeutiques du cannabis qui contient à la fois du THC et du CBD, mais elles sont peu concluantes et n’ont pas été menées sur toutes les espèces. Les données sont partielles. On déconseille aux vétérinaires d’y avoir recours pour le moment.
François Olivier Gagnon-Hébert, docteur en biologie moléculaire et consultant pour la Clinique de la croix verte, est partiellement de cet avis. « Il y a eu peu d’essais cliniques, oui, mais beaucoup d’autres études ont déjà permis de mieux connaître le système endocannabinoïde qui réagit avec les molécules de cannabis », dit-il.
Comme pour n’importe quel médicament, les dosages sont importants. Le cannabis est une alternative à explorer pour soigner certaines maladies.
Il assure qu’« on a déjà observé les effets positifs du cannabis sur des animaux malades » et se souvient d’une chienne en fin de vie qui avait de grosses lésions cutanées. « On lui a mis une crème qui contenait du cannabis et en deux jours elle n’avait plus rien », raconte-t-il.
Un sujet sur toutes les lèvres
Le sujet est en tout cas sur toutes les lèvres dans le milieu vétérinaire. Jeudi, il a même fait l’objet d’un forum lors du congrès de l’Association canadienne des médecins vétérinaires.
Dr Kilsdonk insiste sur la différence qui existe entre les deux composants principaux du cannabis : le cannabidiol (CBD) et le tétrahydrocannabinol (THC). D’ailleurs, « les effets les plus prometteurs du THC sur les animaux sont la stimulation de l’appétit, la réduction des douleurs, de l’épilepsie et de l’anxiété », ajoute-t-elle avec un brin d’optimisme.
Pourtant, Shantal Arroyo ne donne des produits qu’à base de CBD, 10 milligrammes par kilo au maximum.
C’est ce qui marche le mieux. Contrairement au THC, le CBD n’a pas d’effets psychoactifs et n’abrutit par les animaux.
Elle assure même que les animaux mangent instinctivement du cannabis quand ils en ont la possibilité. « On a souvent observé des chevreuils blessés qui venaient manger nos plants », précise-t-elle.
Encore faut-il bien encadrer la vente de ces produits pour animaux, estime-t-elle. « Je demande toujours à voir l’animal, dit Mme Arroyo, quitte à me déplacer. Je demande aussi de voir le diagnostic du vétérinaire », ajoute-t-elle.
Sur le marché québécois, quelques produits qui contiennent du chanvre sont légalement en vente, mais ils ne contiennent ni CBD ni THC. La vétérinaire prévient : « ce ne sont pas des produits qui soignent efficacement des conditions médicales, ce sont plutôt de bons suppléments alimentaires ».
« Du chanvre est aussi accessible illégalement et contient surtout du CBD et des quantités minimes de THC », ajoute-t-elle.
Quoi qu'il en soit, Mmes Arroyo et Kilsdonk et M. Gagnon-Hébert rappellent que le cannabis ne peut pas tuer un animal. « Au pire, il passera un mauvais moment. Il vomira, sera incontinent et stressé. Pour atteindre la dose létale, il faudrait vraiment qu'il ingère des quantités astronomiques », précise le docteur en biologie.
La légalisation prochaine du cannabis à titre récréatif devrait donner une impulsion à de nouvelles recherches en la matière, même si d’après M. Gagnon-Hébert, « le Québec n’est pas encore totalement prêt à prendre ce virage ».