Le français : un modèle ou une menace pour la revitalisation des langues autochtones?
Certains panneaux à Whitehorse ont été traduits en Tutchone du Sud, notamment près du centre culturel Kwanlin Dün.
Photo : Radio-Canada / Claudiane Samson
Les langues du pays sont à l'avant-plan ces jours-ci, à Whitehorse, pendant la 23e Conférence ministérielle sur la francophonie canadienne et une consultation de la communauté francophone quant à l'avenir de la Loi sur les langues officielles. Il s'y déroule également des rencontres pour l'élaboration d'une loi fédérale pour la protection des langues autochtones.
Un texte de Claudiane Samson
Au Yukon, il y a eu plusieurs initiatives ces dernières années pour encourager l'apprentissage des langues autochtones, comme un programme d'immersion pour adultes dans la Première Nation Champagne Aishihik, ou une application pour mobiles pour le Tutchone du Sud. À Dawson, on enseigne la langue han selon les principes du français intensif.
Au même moment, en Colombie-Britannique, l'École primaire Sk'aadgaa Naay, sur l'archipel Haida Gwaii, a aboli l'an dernier son programme d'immersion française jugé menaçant pour la langue haïda.
Selon le grand chef du Conseil des Premières Nations du Yukon (CYFN), Peter Johnston, il ne fait aucun doute que l'état du français au pays est un modèle. Le respect, dit-il, qu'on accorde au français dans la traduction, par exemple, de documents est remarquable.
« Le français est un exemple probant du déséquilibre au territoire en ce qui a trait aux ressources investies par le territorial et le fédéral […] mais nous, les Premières Nations, avons la possibilité de changer cette perspective. »
Le président de la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA), Jean Johnson, ne croit pas de son côté que la protection des langues autochtones ait un effet sur le français au pays.
« Le message qu'on a livré [aux représentants autochtones] c'est qu'on ne veut pas vous dire quoi faire ou comment faire. Ce qu'on veut, c'est être près de vous, vous encourager, vous soutenir. Mais la question des langues officielles et des langues autochtones, c'est deux questions complètement séparées. »
Il croit qu'il est urgent pour tous les Canadiens de soutenir la pérennité des langues autochtones, qui suscitent « une très grande tristesse pour notre pays [du fait] d'avoir été marginalisées ».
Les intervenants s'entendent tous pour dire que la revitalisation des langues autochtones ne peut pas être accomplie par la mise en oeuvre de programmes comme ceux pour l'apprentissage du français. « Les francophones ont développé de bonnes compétences [...], mais on ne peut pas parachuter [notre façon de faire] », souligne M. Johnson.

Claudiane Samson a visité une classe de l'école Robert Service de Dawson où les élèves apprennent leur langue autochtone avec le modèle d'enseignement de l'immersion française.
Une loi nécessaire
Le linguiste André Bourcier affirme qu'un cadre législatif est essentiel pour la protection des langues autochtones, mais que, contrairement au français, qui profite d'un grand nombre de locuteurs au pays, il n'est pas question pour l'instant d'offrir des services gouvernementaux dans ces langues. Il faut d'abord, selon lui, augmenter le nombre de locuteurs.
André Bourcier se dit enthousiasmé par le projet d'immersion pour adultes de la Première Nation Champagne Aishihik, mais rappelle que ce genre de programme a besoin de ressources à long terme pour offrir des services à un nombre grandissant de locuteurs.
« On a la même responsabilité envers les langues autochtones qu’on a envers le français et l’anglais au Canada. La source du droit à l’apprentissage de ces langues-là est le même pour les langues autochtones que pour le français ou l’anglais. La question, c’est de faire une loi qui va être efficace dans la situation actuelle de ces langues-là. »
Il rappelle par ailleurs que le désir d'apprendre une langue autochtone vient d'une « utilité viscérale et définitoire, mais n'a pas une valeur marchande. On ne peut pas trouver un emploi ou faire des études supérieures. C'est un choix personnel d’investir temps et argent pour apprendre la langue ».
Ancien président de la Commission scolaire francophone du Yukon ainsi que de l'Association franco-yukonnaise, le linguiste se méfie d'une discussion qui pourrait concerner différents groupes linguistiques.
« Les gouvernements doivent faire attention de ne pas mettre les groupes minoritaires en compétition les uns avec les autres pour de maigres ressources. J'espère que la discussion présente vient avec des ressources additionnelles. Déshabiller Paul pour habiller Pierre, ce n'est jamais une bonne idée », dit-il.
Le centre des langues autochtones du Yukon, un espoir
Le grand chef Peter Johnston affirme qu'avec la nouvelle responsabilité du Centre des langues autochtones du Yukon le Conseil pourra mettre en oeuvre un mandat qui permettra d'appuyer la revitalisation des langues dans les communautés.
Selon le grand chef, les programmes conçus pour l'apprentissage du français ne sont pas adaptés aux langues autochtones utilisées pour la pratique des activités traditionnelles. C'est donc à travers ces activités que ces langues devraient, entre autres, y être enseignées.
Il souhaite également voir des programmes dans toutes les huit langues du territoire enseignées dans les écoles de la capitale pour les jeunes de ces communautés qui doivent y étudier.