Les frontières doivent « rester ouvertes », plaide le Haut-Commissariat pour les réfugiés

Des millions de personnes cherchent refuge dans un autre pays, à cause des guerres et des persécutions, comme cette jeune Syrienne, prise en charge par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés au Liban.
Photo : Reuters / Ali Hashisho
De plus en plus de gens fuient la guerre et la persécution partout dans le monde. En 2017, un nombre record de 68,5 millions de personnes ont quitté leur foyer pour trouver refuge ailleurs. Si ces mouvements de masse entraînent crispation, rejet et crises politiques dans les pays d'accueil, il faut rester « ouvert, accueillant et humain », plaide Jean-Nicolas Beuze, représentant au Canada du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés.
Une entrevue de Vincent Champagne
En cette Journée mondiale des réfugiés, il est difficile de ne pas constater le durcissement de ton de la part de plusieurs politiciens en ce qui a trait à l’immigration. Le navire Aquarius est resté bloqué en mer Méditerranée, l’administration Trump renforce les règles et sépare des enfants de leurs parents, la coalition d’Angela Merkel est mise à mal en Allemagne à cause de divergences sur le sujet... C’est une mauvaise époque pour être réfugié, non?
Ça devient de plus en plus difficile, pour des gens qui risquent leur vie, de trouver une terre d’asile. Les portes se ferment sur eux. Il y a la situation en Méditerranée et en Europe, mais ça se passe ici aussi, en Amérique du Nord. Les politiques deviennent de plus en plus sécuritaires. On tend à oublier que ces gens sont forcés de prendre le chemin de l’exil comme manière de survivre, pour échapper aux persécutions, à la guerre et aux discriminations qu’ils vivent en tant que personnes, en tant que minorités.
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Que fait le Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR) afin de changer les perceptions?
Le HCR rappelle toujours aux États qu’ils ont l’obligation de disposer de moyens sûrs et légaux pour que les gens puissent demander l’asile. Il faut qu’il y ait des systèmes par lesquels les gens peuvent traverser les frontières lorsqu’ils en ont besoin pour leur survie. Qu’ils ne soient pas forcés de mettre leurs enfants sur des embarcations qui vont couler dans la Méditerranée ou de faire appel à des passeurs, comme on le voit en Amérique centrale, qui vont exploiter les femmes et les enfants, y compris à des fins sexuelles.
Vous faites des « rappels » aux États. Vous leur envoyez une note? Qu'est-ce que vous faites?
Nous aidons les gouvernements à comprendre quelles sont leurs obligations internationales et pourquoi ils doivent mettre des systèmes en place pour que leurs frontières restent ouvertes. C’est compliqué ces temps-ci, parce que c’est vrai qu’il y a de l’immigration illégale. Il y a des risques liés à la sécurité, il y a des problèmes de terrorisme international... On comprend bien qu’il faut garder le contrôle sur les frontières, mais il faut le faire de manière humaine, pour que les gens qui ont besoin de l’asile puissent entrer et que les « méchants » soient arrêtés et détenus.
De plus en plus de groupes citoyens s’organisent dans les sociétés occidentales, notamment au Québec, pour s’opposer à l’immigration. Que signifient ces mouvements?
L’opinion publique est vraiment partagée. On sait qu’il y a toujours un tiers extrêmement négatif qui ne veut pas de l’étranger. C’est souvent une forme de xénophobie, de l’antisémitisme ou de l’islamophobie. D’autre part, le tiers des gens soutiennent toujours les plus vulnérables. Ce qui reste, c’est le tiers du milieu, et c’est celui-là qui fait pencher la balance.
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Qu’est-ce qui fait pencher la balance?
Quand le petit Alan Kurdi est mort sur une plage turque, la balance a penché dans le bon sens. Chaque fois qu’il y a des menaces terroristes et des attentats, la balance a tendance à pencher dans le mauvais sens. C’est souvent dû à la méconnaissance des réfugiés et des demandeurs d’asile. C’est la peur de l’autre, causée par la méconnaissance de l’autre.
Le Canada reçoit un grand nombre de demandeurs d’asile en provenance des États-Unis, qui sont qualifiés de « tiers pays sûr » par notre gouvernement. Si c’est un pays sûr, pourquoi les gens le quittent-ils?
Contrairement à ce qui a parfois été relayé, un très grand nombre de personnes ne viennent pas des États-Unis. Elles ne font que transiter par ce pays. Elles viennent de l’Amérique latine ou même de plus loin, de l’Afrique et du Moyen-Orient. Il est plus facile d’obtenir un visa américain qu’un visa canadien.
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Pourtant, l’an dernier, beaucoup d’Haïtiens qui étaient établis aux États-Unis sont entrés au Canada. L’administration Trump avait annoncé la fin d’un permis temporaire qui les protégeait de la déportation, le Temporary Protected Status (TPS), ce qui en a mené plusieurs à tenter leur chance au Canada plutôt que d’avoir à retourner en Haïti.
Oui, mais bon nombre d’Haïtiens arrivés en juillet et en août de l’année passée venaient directement d’Haïti et utilisaient un visa américain. D’autres venaient du Brésil; ils y étaient allés pour construire les stades olympiques et se sont retrouvés sans emploi. On sait que les Haïtiens ont été mal informés de ce qu’ils allaient trouver au Canada et que certains, y compris des passeurs, ont donné de mauvaises informations, ce qui a créé ce mouvement de masse vers le Canada.
La mondialisation a permis l’enrichissement de plusieurs pays. Or, il semble que la richesse ne soit pas distribuée équitablement. Il y a une croissance des inégalités économiques. Comment rebâtir un monde où les gens vont vouloir et pouvoir rester chez eux?
Il faut faire une distinction. D'abord, il y a les migrants. Eux, ils bougent pour avoir de meilleures occasions économiques, un meilleur travail et une meilleure éducation. C’est clair que la solution, pour eux, c’est d’investir dans le développement de leur pays.
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Et puis, il y a un certain nombre de personnes – ce ne sont pas des migrants, ce sont des réfugiés – qui n’ont pas le choix, qui sont persécutés à cause de leur travail, de leurs opinions politiques, de leur orientation sexuelle, parce qu’ils font partie d'une minorité ethnique, parce qu’ils vivent dans un pays en guerre. Pour eux, le véritable enjeu, ce n’est pas une question de développement : c’est de rétablir la paix, d’instaurer un régime des droits de la personne et un État de droit qui permettent à ces gens d’exister dans leur communauté tels qu’ils sont, sans être discriminés ou persécutés.
On fait de l’aide au développement depuis des décennies, et pourtant, le nombre de gens qui fuient leur pays augmente. Qu’est-ce qui ne fonctionne pas? Est-ce que nous avons la bonne recette?
Il faut remettre les choses dans leur contexte. Les démocraties occidentales ne se sont pas faites en un jour. Les règles sur lesquelles on base nos sociétés en matière de respect des droits de la personne, de processus démocratique et d’inclusion des minorités sont jeunes. Il ne faut pas reculer bien loin pour trouver des politiques qui n’étaient pas du tout à la hauteur au Canada et en Europe.
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