Le débat sur la misogynie de Philip Roth relancé après sa mort

L'écrivain Philip Roth à New York en 2010.
Photo : Reuters / ERIC THAYER
Prenez note que cet article publié en 2018 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Philip Roth était-il misogyne? La question, posée depuis longtemps sur ce géant de la littérature américaine, est revenue en force au lendemain de sa mort, survenue en plein mouvement #MoiAussi.
Au milieu des multiples hommages rendus au grand écrivain mort à l'âge de 85 ans, le thème de la relation de Philip Roth aux femmes était largement débattu mercredi sur Twitter, avec une foule de commentaires négatifs.
« Adieu Philip Roth, tu étais un grand écrivain et un immense misogyne [...], obsédé par le sexe, mais mal-aimé et même peut-être méprisé par les femmes », tweetait ainsi Ruth Robinson, une Londonienne.
Un professeur de l'université britannique de Portsmouth, Charlie Leddy-Owen, évoquant son livre Le théâtre de Sabbath (1995), soulignait, lui, que ce roman était « l'un des meilleurs et l'un des plus dégoûtants » qu'il ait lus, avec « ses personnages principaux sexistes et narcissiques ».
Les accusations ne datent pas d'hier. Elles ont commencé dès la fin des années 1970, alimentées par une scène extrêmement froide de violence conjugale dans son livre Ma vie d'homme (1974). Naviguant en permanence entre autobiographie et fiction, Roth, dans son roman Tromperie (1990), imaginait d'ailleurs son personnage principal confronté au tribunal à des accusations de misogynie.
Des femmes faire-valoir
En 2006, Julia Keller, critique pour le Chicago Tribune, disait de Roth qu'il était « un grand écrivain avec un énorme défaut : ses femmes n'ont pas d'âme », réduites dans ses ouvrages à jouer le rôle de simples miroirs des hommes, des personnages féminins dépourvus selon elle de toute profondeur, plus encore que chez John Updike, autre écrivain américain, contemporain de Roth, souvent accusé lui aussi de misogynie.
En 2008, la féministe Vivian Gornick, dans le prestigieux Harper's Magazine, comparait l'attitude de Roth à celle de l'écrivain Saul Bellow, Prix Nobel en 1976 : « Si la misogynie de Bellow était comme une bile insidieuse, chez Roth, c'est de la lave qui jaillit du volcan », disait-elle.
L'ex-compagne de Roth Claire Bloom a contribué à lui forger cette réputation en le décrivant dans son livre de 1996, Leaving the Doll's House, comme un égocentrique misogyne.
« Ses écrits sont misogynes »
Pour Jacques Berlinerblau, qui enseigne Philip Roth depuis 20 ans à l'Université de Georgetown à Washington et travaille à écrire un livre portant sur Roth et les femmes, les romans de Roth comprennent, pour les étudiants d'aujourd'hui, des passages « vraiment dérangeants ». « Ses écrits sont misogynes », a-t-il estimé sans hésiter mercredi, avant de s'interroger : « Comment fait-on avec un grand artiste qui dit des choses condamnables? » « J'ai toujours été surpris que le mouvement #MoiAussi ne l'ait pas rattrapé, ne serait-ce que pour regarder de près ses écrits », a-t-il ajouté.
Blake Bailey, biographe et ami de Roth, a, lui, souligné que Roth s'inquiétait de l'effet « chasse aux sorcières » du mouvement #MoiAussi. « Il craignait qu'il parte en vrille et nuise à des innocents. » Mais il n'était « certainement pas pour le harcèlement sexuel et tout autre comportement abusif. Il était l'un des hommes les plus honnêtes que j'aie connus », a ajouté Bailey. Et le biographe de citer pour preuve la présence d'« au moins cinq de ses ex » à son chevet au moment de sa mort.