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Un lobby du plastique critiqué pour sa campagne sur les réseaux sociaux

Une femme tient des sacs de plastique à la main.

Les sacs de plastique minces sont bannis à Montréal depuis le 1er janvier 2018.

Photo : La Presse canadienne / Ryan Remiorz

Radio-Canada

L'Association canadienne de l'industrie des plastiques (ACIP) monte au front. Devant le nombre croissant de municipalités qui bannissent les sacs en plastique minces, elle s'active sur les réseaux sociaux en citant une étude complexe et nuancée de Recyc-Québec pour tenter d'influencer des élus. La campagne génère malaise et colère.

Un reportage de Vincent Champagne

« Une récente étude du gouvernement du Québec démontre que les sacs de plastiques [sic] demeurent la meilleure option pour l’environnement », peut-on lire dans une publication commanditée de l’ACIP sur Facebook.

La campagne vise les élus de Laval et de Longueuil. Les citoyens sont invités à envoyer une lettre préformatée aux membres des conseils municipaux en y ajoutant leur nom, sans que l’on sache s’ils résident véritablement dans l’une de ces deux villes.

La campagne publicitaire de l'Association canadienne de l'industrie des plastiques

La campagne publicitaire de l'Association canadienne de l'industrie des plastiques est apparue dans le fil Facebook des utilisateurs ciblés à partir de mars.

Photo : Facebook / Association canadienne de l'industrie des plastiques

L'ennemi plastique

Consulter le dossier complet

À Longueuil, l'administration avait déjà reçu 386 courriels le 10 mai. « C’est une campagne assez agressive », dit l’attachée de presse de la mairesse.

À Laval, les élus ont reçu quelque 300 courriels tous identiques, dont Radio-Canada a obtenu copie. « Les citoyens de Laval ne souhaitent pas un bannissement des sacs d’emplettes. Le rapport de Recyc-Québec à cet effet est clair : ce sont les sacs de plastique qui sont l’option la moins nocive pour l’environnement », peut-on y lire.

Or, l’étude de Recyc-Québec dont il est question, et que les citoyens sont invités à lire en suivant un lien, contient des conclusions complexes et ne recommande pas un type de sac plus qu’un autre. Il s’agit d’une étude scientifique de 160 pages exécutée par le Centre international de référence sur le cycle de vie des produits, procédés et services (CIRAIG), affilié à Polytechnique Montréal, pour le compte de Recyc-Québec.

« Il y a des nuances importantes qui sont absentes du message, clame Sophie Langlois-Blouin, vice-présidente par intérim de Recyc-Québec. L’industrie du plastique a trouvé des éléments là-dedans pour étayer son argumentaire », dit-elle.

Cette étude indique par exemple que « le sac de plastique conventionnel comporte plusieurs avantages sur les aspects environnementaux et économiques. Par sa minceur et sa légèreté, étant conçu pour un usage unique, son cycle de vie nécessite peu de matière et d’énergie. »

Mais l’étude ne conclut pas pour autant que « le meilleur choix est le sac de plastique, rappelle Mme Langlois-Blouin. Le meilleur choix, c’est le sac qu’on n’utilise pas, ou le sac réutilisable qu’on a déjà et qu’on réutilise! »

Des résultats à mettre en perspective

Dans les faits, le but des scientifiques qui ont réalisé cette étude était d’analyser le « cycle de vie » de différents sacs d’emplettes, ce qui inclut leur conception, leur utilisation, ainsi que leur disposition finale, le tout dans le but d’accompagner les municipalités qui envisagent le bannissement des sacs de plastique minces.

Il appert que le sac réutilisable, qui a fait son apparition il y a quelques années comme substitut au sac de plastique, doit être réutilisé jusqu’à 98 fois avant que son empreinte écologique soit équivalente à celle du sac de plastique mince, qui ne nécessite pas autant d’usages.

Toutefois, ce dernier perd beaucoup de points lorsque l’on considère le fait qu’il est beaucoup plus souvent abandonné dans l’environnement.

L’important, c’est d’encourager les citoyens à ne pas utiliser de sac quand c’est possible et de continuer à utiliser leurs sacs réutilisables.

Une citation de Sophie Langlois-Blouin, vice-présidente par intérim, Recyc-Québec

Ce n’est pas la première fois que Mme Langlois-Blouin doit défendre et expliquer les conclusions de l’étude, sortie en début d’année. Elle avait dû faire le tour des médias pour que la recherche ne soit pas interprétée à tort.

Un emballeur dans une épicerie. En avant-plan, des sacs de plastique.

Les sacs de plastique minces, qui font 17 microns d'épaisseur, ont été bannis à Montréal et dans plusieurs autres municipalités de la région.

Photo : La Presse canadienne / AP Photo / Jacquelyn Martin

Les écologistes outrés

« Je trouve que c’est malhonnête », affirme sans détour Karel Ménard, du Front commun québécois pour une gestion écologique des déchets, à propos de la campagne de l’ACIP. « C’est de la désinformation pure et simple. Ça devrait être dénoncé », dit-il.

« Ce que l’étude dit, c’est que le sac réutilisable est meilleur que le sac jetable, et c’est un petit peu une évidence, explique Karel Ménard. Naturellement, ça dépend de son nombre d’utilisations. Si on utilise un sac réutilisable seulement deux ou trois fois, c’est sûr que l’impact environnemental est énorme. Mais lorsque l’on utilise un sac réutilisable 30 ou 50 fois, l’impact environnemental devient minime. »

La Fondation David-Suzuki est elle aussi choquée par l’initiative de l’ACIP. En plus de la quantité de pétrole requise pour fabriquer le plastique, et l’énergie nécessaire pour sa production en usine, il faut prendre en compte le sort des sacs lorsqu’ils sont abandonnés dans l’environnement, affirme Louise Hénault-Éthier, chef des projets scientifiques à la Fondation et docteure en sciences de l’environnement.

« Si on regarde les impacts sur la faune, c’est clair et évident que les sacs de plastique ne sont pas blancs comme neige », dit-elle, en évoquant, par exemple, les animaux marins empêtrés dans des sacs ou ceux qui ingèrent des fragments de sacs décomposés.

« Si on n’est pas allé lire les conclusions de l’étude, on peut facilement se laisser berner. Si on prend les conclusions et qu’on les utilise à mauvais escient, on berne les citoyens qui n’y voient que du feu », s’indigne-t-elle.

Un homme transporte au moins sept sacs d'emplettes en plastique

Les sacs à usage unique sont de plus en plus souvent interdits par des municipalités canadiennes

Photo : iStock

L’industrie se défend

De son côté, l’Association canadienne de l’industrie des plastiques évoque une campagne « globale », qui permet « d’impliquer tous les citoyens » dans le dossier du bannissement des sacs de plastique minces.

« La raison pour laquelle on fait ces campagnes-là, c’est pour rejoindre les deux grandes municipalités Laval et Longueuil, explique Marc Robitaille, porte-parole de l’ACIP dans le dossier des sacs de plastique. Dans ces deux municipalités-là, il y a des ouvertures pour mieux comprendre l’analyse du cycle de vie. Il y a des interrogations par rapport à leur projet de règlement, pour voir si c’est le meilleur projet. »

M. Robitaille est également propriétaire de l’entreprise Omniplast, basée à Saint-Hubert, dont le chiffre d’affaires est constitué à 80 % de la vente de sacs de plastique.

« Je comprends que la conclusion [de l’étude] est beaucoup plus complexe », reconnaît-il, tout en défendant le besoin de « vulgariser les choses pour que les gens puissent comprendre les quelques choix limités qui leur sont offerts ».

Au-delà de la campagne publicitaire sur les réseaux sociaux, le porte-parole souhaite ramener le débat sur le fond. Il rappelle que les politiques de bannissement ne visent pas l’ensemble des sacs de plastique, mais bien les sacs minces. Au final, les commerçants peuvent toujours distribuer des sacs de plastique, mais ceux-ci doivent être plus épais.

Les politiques « visent à tripler l’épaisseur des sacs d’emplettes, point à la ligne, dit M. Robitaille. C’est très très clair dans l’analyse de cycle de vie que cette approche-là n’est pas du tout la bonne approche. »

On n’est pas mieux servi au niveau de l’empreinte environnementale si nous triplons l’épaisseur des sacs d’épicerie.

Une citation de Marc Robitaille, porte-parole de l’Association canadienne de l’industrie des plastiques

Questionné sur les sacs réutilisables, M. Robitaille estime qu’il y en a « beaucoup trop en circulation. Les gens ne pourront jamais les réutiliser suffisamment pour couvrir leur empreinte environnementale ».

Des employés rangent des aliments.

Les employés de Provigo ont porté un chandail spécial pour cette opération «attaque contre le plastique».

Photo : Radio-Canada

Un mouvement mondial

La Ville de Montréal et 20 autres municipalités de la grande région montréalaise ont déjà adopté des règlements visant à bannir les sacs de plastique minces sur leur territoire. Vingt-six autres municipalités sont en voie de le faire.

Longueuil a voté pour le bannissement, mais la réglementation n’entrera en vigueur qu’en septembre. Les élus lavallois, eux, sont en réflexion et doivent tenir des consultations publiques dans les mois à venir.

La Communauté métropolitaine de Montréal, qui pilote le dossier des sacs de plastique minces pour l’ensemble des 82 municipalités de la région, assure que le bannissement « ne s’arrêtera pas ».

« À l’heure actuelle, c’est la moitié des municipalités qui l’ont adopté ou qui sont en voie de l’adopter. Ça représente 80 % du Grand Montréal », explique Marie-Claude Forget, conseillère en communication pour l’organisme.

« À l’heure où les effets néfastes du plastique sur la faune, les océans, les écosystèmes sont connus et incontestables, les municipalités du Grand Montréal ont décidé de faire leur part sur cet enjeu-là, comme le font 300 villes et 65 pays à travers le monde », ajoute-t-elle, n’en déplaise à l’Association de l’industrie des plastiques.

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