L’extrême mobilité des yeux des crevettes-mantes sous la loupe

Les yeux extraordinaires de la crevette-mante sont capables d'une rotation indépendante dans les trois degrés de liberté, ce qui conduit à un comportement complexe de stabilisation du regard.
Photo : Université de Bristol/Michael Bok
Le fonctionnement des yeux les plus mobiles du règne animal, ceux de la crevette-mante, est maintenant mieux compris grâce aux travaux de biologistes britanniques.
Un texte d'Alain Labelle
Les yeux de ces crevettes, également connues sous le nom de squilles (Odontodactylus scyllarus), sont hors du commun tant par leur vision des couleurs que par leur capacité à capter la polarisation de la lumière.
Leurs yeux sont extrêmement mobiles et semblent ne jamais s’arrêter de bouger. Ils tournent indépendamment dans toutes les directions.
Si la plupart des animaux présentent des mouvements oculaires minimums pour éviter le flou, ces crevettes se démarquent par le mouvement constant de leurs yeux.
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En fait, chaque œil est capable d’une rotation indépendante dans les trois degrés de liberté de rotation :
- Le tangage (de haut en bas);
- Le lacet (d'un côté à l'autre);
- Le roulis (torsion autour de la tige de l’œil).
Le saviez-vous?
Les squilles ont aussi les coups de poing les plus puissants de l’océan. Utilisant leurs membres antérieurs comme des massues, ces petits crustacés donnent des coups si rapides et avec une telle force qu’ils ne causent que destruction dans leur sillage, brisant les coquilles d’escargots et les vitres d’aquarium et blessant même les doigts humains.
La chercheuse Ilse Daly et ses collègues de l’Université de Bristol ont voulu tester les limites de cette incroyable mobilité afin d’établir à quel « réglage » ces crevettes stabilisent leur regard.
Comme d’autres animaux, les crevettes-mantes réalisent des mouvements latéraux stabilisateurs qui les aident à garder leur vision stable pendant qu’elles se déplacent.
L’équipe britannique a découvert que, même en se stabilisant dans la direction horizontale, ces crevettes continuent de rouler les yeux.
Ce qui peut paraître contre-intuitif, puisque le but du regard stabilisateur est de maintenir l’apparence du monde alentour. Le simple fait de rouler leurs yeux vers le haut devrait donc compliquer cette tâche.
Mais, étonnamment, cela n’a aucun effet chez la crevette-mante. Quelle que soit la position de leurs yeux ou la vitesse à laquelle elles roulent leurs yeux, la crevette-mante peut toujours suivre avec fiabilité et précision un mouvement.
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« Comme si ce n’était pas assez compliqué comme ça, les deux yeux peuvent se déplacer complètement indépendamment l’un de l’autre, de sorte qu’un œil pourrait être orienté horizontalement, tandis que l’autre pourrait être complètement tordu sur le côté, à 90 degrés », explique Mme Daly.
À la suite à cette découverte, l’équipe a voulu comprendre comment la crevette-mante répondrait si le monde autour d’elle commençait à rouler.
Elle a construit un bassin d’essai avec des caméras à grande vitesse installées au-dessus des animaux pour enregistrer leurs mouvements oculaires.
Elle a placé un tambour autour de l’aquarium, comme si les crevettes étaient à l’intérieur d’un tunnel. Les chercheurs ont fait tourner le tambour comme la roue de voiture, et on regardé si les crevettes stabilisaient leur regard pour suivre le tambour.
Chez les humains, un tel stimulus provoquerait un gros vertige.
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« Le système visuel de la crevette-mante semble entièrement à l’abri des effets négatifs du roulement des yeux. Le roulis n’a absolument aucun effet sur leur perception de l’espace : le haut est toujours en haut, même lorsque leurs yeux ont roulé complètement de côté. C’est sans précédent dans le règne animal », explique la chercheuse.
La prochaine étape pour les chercheurs sera de confirmer l’existence d’un tel système unique de détection de mouvement et de comprendre comment il permet à ces crevettes d’obtenir une vision claire de leur environnement, quelle que soit la vitesse à laquelle elles roulent les yeux.
En outre, les auteurs de ces travaux publiés dans la revue Proceedings of the Royal Society B (Nouvelle fenêtre)(en anglais) veulent comprendre pourquoi les squilles ont besoin de rouler les yeux en premier lieu.