Lisée, la clôture et la « gaffe »

Le chef du Parti québécois Jean-François Lisée croit qu'il faut fermer le chemin Roxham, point de passage maintenant reconnu pour traverser la frontière canado-américaine de façon irrégulière.
Photo : Radio-Canada
Bien des observateurs politiques ont qualifié de « gaffe » la suggestion de Jean-François Lisée d'ériger une clôture sur le chemin Roxham, à la frontière canado-américaine. La récurrence des erreurs commises par le chef péquiste, particulièrement sur le thème de l'identité, laisse toutefois croire à la stratégie.
Une analyse d'Hugo Lavallée, correspondant parlementaire à Québec
Lors de la dernière course à la direction du Parti québécois (PQ), M. Lisée avait proposé un débat sur l’interdiction du voile intégral dans l’espace public. « Ce débat-là, il nous est imposé par la conjoncture, l’actualité locale et internationale », avait-il fait valoir au Devoir, avant d’ajouter que ce type de vêtement posait un enjeu de sécurité. « En Afrique, les AK-47 sous les burqas, c’est avéré. » Devant la controverse, il avait revendiqué le droit de débattre de la question sereinement.
Puis, une fois devenu chef, M. Lisée avait de nouveau fait polémique en établissant un parallèle entre les coûts engendrés par l’accueil des demandeurs d’asile et la capacité de l’État québécois à offrir un deuxième bain par semaine aux personnes âgées vivant en CHSLD.
Le deuxième bain, « ça coûte 30 millions de dollars. Alors combien ça va coûter 8000, 10 000, 15 000 demandeurs d’asile qui restent au Québec pendant trois ans? », avait-il lancé en point de presse.
Face aux critiques, le chef péquiste s’était réjoui d’avoir suscité la discussion : « Moi, j’aime ça briser des tabous et poser les questions que les gens se posent ».
Procédé récurrent
La nouvelle déclaration de Jean-François Lisée se relie directement à ces controverses passées. Le modus operandi est chaque fois le même : le chef péquiste lance dans l’espace public une idée controversée, qu’il tempère ensuite, tout en faisant valoir que lui seul ose braver les interdits de l’orthodoxie politique.
Qu’on y regarde de plus près : mercredi dernier, Jean-François Lisée répond à une question sur le chemin Roxham. Après avoir réaffirmé que l’Accord sur les tiers pays sûrs doit être suspendu, il répète au sujet de l'accès au chemin, mine de rien : « Bien, on met une clôture, c’est tout. On dit : ne passez plus ici. »
Puis, dans les heures suivantes, Jean-François Lisée y va d’un tweet relativisant son message initial : « Comment indiquer que Roxham est fermé? Un panneau, une haie de cèdres, un policier? Peu importe. »
En entrevue le lendemain à Gravel le matin, le chef péquiste s’indignait même qu’on s’insurge : « Moi, je m’érige [sic] contre cette dictature des tabous. À une frontière, il arrive qu’il y ait des clôtures, il arrive qu’il y ait des guérites, il arrive qu’il y ait des policiers. […] Moi, la langue de bois et le fait qu’on n’ait pas le droit d’utiliser des mots parce que nos adversaires ou d’autres vont dire "t’aurais pas dû dire ça", je n’embarque pas là-dedans. »
Les profanes et les initiés
Coïncidence ou non, c’est plus souvent qu’autrement sur le thème identitaire que M. Lisée commet ce genre d’« erreur ». Même si le chef péquiste a parfois tendance à parler trop vite, il serait étonnant qu’un homme de son expérience ne soit pas à même de mesurer la portée de ses paroles.
En l'occurrence, force est d’admettre que sa déclaration de mercredi aura permis au chef Lisée de multiplier les entrevues et de faire parler de sa suggestion de suspendre l’Accord sur les tiers pays sûrs.
Cette « gaffe » aura aussi permis à Jean-François Lisée de faire ce qu’il fait de mieux : parler simultanément aux profanes et aux initiés, aux électeurs moins attentifs que seules les images fortes rejoignent et aux adeptes de la joute politique, qui sont plus exigeants à l’égard des chefs politiques.
En se prononçant en faveur de l’érection d’une clôture, le chef péquiste envoie un signal rassurant à ceux qui s’inquiètent de la question des demandeurs d’asile; en justifiant ensuite ses prises de position au nom du sain débat démocratique, il tente de rendre légitime un débat que d’aucuns trouvent rebutant. Et en mettant en relief son « erreur », les médias vont exactement là où Jean-François Lisée veut les amener.
Les dernières semaines ont été difficiles pour le Parti québécois, qui fait du surplace en troisième position dans les sondages, et qui n’a plus la visibilité qu’il avait jadis. Même si elle n'était pas préméditée, la gaffe commise par son chef n’aurait pu être plus opportune.