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Le fossé de la rémunération se creuse entre médecins et infirmières

Un couloir d'hôpital (Archives)

Depuis 2006, la rémunération des médecins a augmenté trois fois plus rapidement que celle des infirmières.

Photo : Radio-Canada

Radio-Canada

En 10 ans, la proportion du budget de santé du Québec allouée aux médecins a augmenté, alors que celle accordée aux infirmières a diminué. Une situation unique parmi les provinces canadiennes et à un moment où le réseau de la santé fait face à d'importants défis de ressources humaines. Analyse.

Un texte de Djavan Habel-Thurton

De 2006 à 2016, la proportion du budget de la santé du Québec allouée aux médecins a augmenté de 14 % à 19 %. Pendant ce temps, celle de l'ensemble des salariés du réseau de la santé et des services sociaux (les médecins ne sont pas considérés comme des salariés) a chuté de 43 % à 37 %.

« Les services de santé sont composés d’un ensemble de personnel interdépendant. Il faut le regarder de manière intégrée et non isolée », explique le professeur Carl-Ardy Dubois, directeur du Département de gestion, d’évaluation et de politique de santé de l’école de santé publique de l’Université de Montréal. C’est pourquoi Radio-Canada a mené une analyse pour comprendre l’augmentation de la rémunération des médecins dans le contexte plus large du système de santé québécois.

On y remarque d’importants changements dans l’allocation des ressources financières du ministère de la Santé et des Services sociaux.

En 2006, l'ensemble des médecins québécois, tout comme l’ensemble des infirmières, recevaient chacun environ 3,2 milliards de dollars. Alors que l’enveloppe budgétaire réservée aux soins infirmiers a crû de 41 % en 10 ans pour atteindre 4,5 milliards de dollars, celle des médecins a augmenté de 106 % et frôle les 6,6 milliards.

Résultat : en 2016, 17 000 médecins gagnaient 1,5 fois plus que 64 000 infirmières.

Une tendance unique au Canada, explique l’économiste Ruolz Ariste de l’Institut canadien d’information sur la santé (ICIS).

En Ontario, la part des dépenses allouées aux médecins est demeurée virtuellement constante. Au Canada, on parle d’une très légère augmentation, mais c’est beaucoup plus marqué au Québec.

Une citation de Ruolz Ariste, chef de programme, ICIS

La Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ) n’a pas souhaité accorder une entrevue à Radio-Canada, mais souligne que les hausses de rémunération consenties à ses membres lors de cette période relèvent d’une entente de 2003 mise en application en 2007 visant entre autres à harmoniser les revenus des médecins spécialistes québécois à ceux du reste du Canada. L’organisation cite aussi l’augmentation marquée du nombre de spécialistes pour expliquer cette évolution dans l’allocation des ressources.

Une hausse trois fois plus rapide pour les médecins

En 9 ans, alors que la rémunération moyenne des infirmières a augmenté de 24 %, celle des médecins a bondi de 71 %.

L’écart est encore plus grand lorsque la rémunération des médecins est comparée à celle de l’ensemble des salariés du réseau de la santé et des services sociaux. Alors que le revenu moyen de ces derniers a crû de 21 % entre 2006 et 2015 (de 48 100 $ à 58 500 $) celle des médecins est passée de 223 000 $ à 382 000 $.

1 médecin = 5 infirmières

En 2006, la rémunération d’un médecin actif équivalait à celle de 4 infirmières; 10 ans plus tard, elle était équivalente à la rémunération de 5,5 infirmières.

Il faut toutefois tenir compte du fait que la Régie de l'assurance maladie du Québec (RAMQ), responsable de la rémunération des médecins, évalue que les dépenses de cabinet de la plupart des spécialistes représentent 35 % de leurs revenus bruts (60 % chez les radiologues).

Le ratio salarial entre médecin omnipraticien et infirmière semble encore plus marqué lorsqu’on le compare à celui d’autres pays. Selon une étude comparative du Centre de formation et d'expertise en recherche en administration des services infirmiers datant de 2013, ce ratio était de 1,65 en France, 1,8 en Norvège et 3 en Angleterre. Au Québec en 2013, ce ratio était de presque 4. Une différence avec d’autres systèmes de santé qualifiée d’énorme par Carl-Ardy Dubois.

Des infirmières plus formées et mieux payées

Le chercheur, qui a participé à l’étude citée ci-dessus, offre toutefois une explication. « L’écart avec les médecins tend à se rétrécir avec la formation universitaire pour les infirmières, exigence qui est souvent associée à un rehaussement salarial et donne accès à des possibilités plus grandes d’avancement professionnel. »

En effet, certains pays, comme la Norvège, obligent depuis plusieurs années déjà toutes les infirmières hospitalières à obtenir un diplôme universitaire.

C’est un modèle vers lequel se rapproche d’ailleurs le Québec, où le nombre d’infirmières praticiennes ou cliniciennes a augmenté de 77 % entre 2006 et 2016 pour atteindre 20 300. Pendant la même période, le nombre d’infirmières régulières est passé de 32 300 à 25 900, soit un recul de 20 %.

Cela dit, malgré une situation légèrement meilleure que celle de leurs consoeurs qui ont uniquement un diplôme collégial, la rémunération des infirmières cliniciennes et praticiennes, qui doivent avoir étudié à l’université, augmente encore bien plus lentement que celle des médecins.

On apprend aussi que la rémunération d’un médecin pourrait payer le salaire de presque 9 préposés aux bénéficiaires. Guy Laurion, vice-président de la Fédération de la santé et des services sociaux de la CSN, qui représentent près de 30 000 de ces préposés, considère « qu’il devrait y avoir une réduction de cet écart », mais surtout que, comme la rémunération des médecins, celle de tous les travailleurs du système devrait être mieux adaptée aux changements de clientèle et à la lourdeur des actes rendus. M. Laurion blâme les inégalités salariales, mais aussi un climat de travail trop hiérarchique pour expliquer l’importante pénurie de main-d’oeuvre paratechnique et auxiliaire dans le réseau de la santé.

La table des négociations

Comment les médecins réussissent-ils à s’approprier cette part grandissante du gâteau? Pour le chercheur Carl-Ardy Dubois, une partie de la réponse se trouve dans le prestige qui leur est associé.

Les médecins demeurent un corps professionnel très puissant et organisé à qui on est prêt à accorder plus qu’aux autres professions. Les gouvernements ne veulent pas se les mettre à dos, surtout pas dans un contexte électoral.

Une citation de Carl-Ardy Dubois, Université de Montréal
Un homme en complet, le professeur Carl-Ardy Dubois, fixe la caméra souriant, les bras croisés.

Le professeur Carl-Ardy Dubois

Photo : Courtoisie

La structure des négociations donne une plus grande chance aux fédérations médicales de voir leurs demandes exaucées, ajoute le professeur de l’Université de Montréal. « Les salaires des médecins font l’objet d’une négociation distincte en comparaison aux autres groupes auxquels on impose des paramètres communs établis pour la fonction publique », précise-t-il.

Une analyse que partage Guy Laurion de la CSN, alors que les membres de son syndicat se contentant d’une hausse salariale de 2 % par année. Puisque les employés du gouvernement se présentent souvent aux négociations en tant que front commun regroupant plusieurs dizaines de milliers d’employés, la masse salariale totale dont il est question est assez imposante pour ébranler l’opinion publique. « Quand ce sont autant d’employés qui négocient, le discours gouvernemental sur la capacité de payer de l’État et le risque d’augmentation des impôts réussit à percer », avance le syndicaliste.

Alors que le ministre Barrette vient de consentir aux médecins spécialistes du Québec de généreuses augmentations de rémunération, il est à prévoir que les tendances décrites dans cette analyse risquent de s’accentuer dans les prochaines années.

Méthodologie

Cette analyse tente de représenter le plus fidèlement possible la rémunération totale d’un travailleur moyen à temps complet effectuant un nombre d’heures supplémentaires typique. Les nombres de travailleurs cités dans l’article sont donc des équivalents temps complet et non un compte des individus. Pour le personnel du réseau de la santé, Radio-Canada a utilisé l’édition 2016-2017 de la base de données dénombrement et rémunération effectif RSSS pour les données remontant jusqu’à 2008, et l’édition 2011-2012 pour les données antérieures. Ces rémunérations sont comptabilisées à la fin de l’année financière se terminant le 31 mars. Afin d'alléger le texte, elles sont associées à l’année civile se terminant durant l’exercice (2015 pour l’année fiscale 2015-2016).

Le terme général d’infirmière, quand il est utilisé dans le texte sans autre précision, désigne ce que le gouvernement définit comme « personnel en soins infirmiers et cardio-respiratoires » et inclut les infirmières régulières, les infirmières cliniciennes et praticiennes, les infirmières auxiliaires, les inhalothérapeutes et les perfusionnistes ainsi que les externes de ces différentes professions.

Pour la rémunération des médecins, les données proviennent du projet sur la rémunération médicale de la chaire de recherche Politiques connaissances santés. Celles-ci ont été obtenues de la Régie de l’assurance maladie du Québec et représentent la rémunération moyenne des médecins travaillant suffisamment pour être considérés à temps plein. Les données sur la rémunération totale de tous les médecins proviennent de la RAMQ, plus précisément les tableaux SM-24 disponibles sur le système ORIS. Ces données sont comptabilisées par année civile. Les dépenses totales du MSSS sont tirées des budgets de dépenses du Conseil du Trésor du Québec.

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