Des entreprises prêtes à tout pour effacer des commentaires négatifs sur le web

Des internautes ont été menacés par des entreprises pour des avis négatifs qu'ils ont écrits.
Photo : iStock
Les commentaires des internautes se répandent sur le web comme une traînée de poudre. Lorsqu'ils sont positifs, ils constituent une publicité gratuite pour les entreprises qui ne peuvent en espérer de meilleure. Mais quand les commentaires sont négatifs, certains commerçants prennent les grands moyens pour les faire disparaître.
Un reportage de Claire Frémont de La facture
L’histoire de Jocelyn Savard
Jocelyn Savard est propriétaire depuis huit ans du Sto-Gym, un centre sportif situé à Stoneham.
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En février 2016, un de ses clients entre au Sto-Gym en compagnie d’un homme qu’il ne connaît pas et qui ne le salue pas. Jocelyn Savard l’interpelle. L’homme finit par se présenter. Il est physiothérapeute.
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Le physiothérapeute sort, suivi du client. Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Le lendemain, Jocelyn Savard lit un commentaire sur la page Facebook de Lyne Kelly, la femme de son client, qui était absente lors de l’altercation.
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Jocelyn Savard est ulcéré. Il appelle son avocat.
« Je lui ai dit : ''Ça me salit pour rien''. [Il] m’a rappelé en me disant : ''Ça, c’est un cas flagrant de diffamation'' », explique Jocelyn Savard.
Mme Kelly enlève le commentaire de sa page Facebook, mais Jocelyn Savard la poursuit tout de même à la Cour du Québec pour 20 000 $.
Lyne Kelly rétorque en demandant pour sa part à la Cour du Québec le rejet de cette demande en diffamation et dommages et intérêts, et s’estime abusivement poursuivie. Le 12 décembre dernier, le tribunal a rejeté sa demande, le procès pourra bel et bien avoir lieu.
Mais, le mois dernier, Jocelyn Savard a décidé de retirer sa poursuite. Cette affaire lui a pris trop de temps et d’argent, dit-il.
« J’ai donné le mandat à mon avocat de tout arrêter ça. Je ne veux pas avoir leur argent et je ne veux pas dépenser le mien », conclut Jocelyn Savard.
L’histoire de Charlotte Veilleux
Charlotte est une étudiante de 21 ans. À Noël l'an dernier, ses parents lui donnent une carte-cadeau de 150 $ pour une exfoliation dans une clinique esthétique. Elle s’y rend une première fois pour faire analyser sa peau. Elle y rencontre alors la propriétaire. Le contact entre les deux femmes passe mal.
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Quand Charlotte rappelle pour fixer un rendez-vous pour son traitement, elle demande à ne pas avoir affaire avec la propriétaire. C’est donc une autre esthéticienne qui lui fait son exfoliation. Mais en même temps, sans le demander à Charlotte, elle montre la technique à une autre esthéticienne. Charlotte n’apprécie pas la situation.
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Charlotte ressort de la clinique déçue de son expérience. Elle l’écrit sur la page Facebook de la clinique ainsi que sur le profil Google de l’établissement.
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Pour Charlotte, écrire un commentaire sur le web est tout ce qu’il y a de plus normal. Elle s’informe régulièrement de cette manière. « C’est une des principales façons que je décide si je vais à un endroit ou pas. Je vais voir les commentaires, les photos, le nombre d’étoiles », affirme-t-elle.
Visiblement, le commentaire de Charlotte a eu de l’impact. Quelques jours plus tard, elle reçoit une mise en demeure de la part de la clinique d’esthétique.
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Charlotte prend conseil auprès de ses parents, qui ont des avis partagés. Sa mère lui dit de supprimer le commentaire pour ne plus en entendre parler. Son père lui recommande plutôt de ne pas se laisser intimider et de le laisser.
« Je n’ai pas écouté ma mère, je n’ai pas supprimé le commentaire », explique Charlotte Veilleux.
Pour elle, il s’agit de sa liberté d’expression. Elle ne veut pas céder à ce qu’elle considère comme des menaces.
Mais la pression de la clinique continue. Elle reçoit un appel de l’avocat de la clinique.
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À 21 ans, sans argent pour se payer un avocat, Charlotte finit par supprimer son commentaire. Mais à reculons. Elle considère encore qu’elle avait écrit cet avis de bonne foi et qu’il était légitime.
Le reportage de Claire Frémont sera diffusé à La facture, le 17 avril à 19 h 30 sur Radio-Canada télé.
L'avis d'experts
Pour Pierre Trudel, professeur de droit à l’Université de Montréal, l’envoi de mises en demeure et de poursuites pour faire enlever des commentaires négatifs sur le web est une stratégie pour signifier aux consommateurs que leurs avis critiques pourraient leur causer bien des tracas.
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Selon lui, sortir l’artillerie très lourde concernant des enjeux modestes sur le plan financier montre qu’on n'a pas le bon outil pour régler les conflits qui proviennent des commentaires.
Pierre Trudel explique qu’on peut tout à fait avoir une opinion défavorable à l’égard d’un commerce ou d’un service qu’on a reçu. Le commerçant peut trouver cela déraisonnable, mais une personne normale peut légitimement exprimer ce commentaire.
Au Bureau de la concurrence du Canada, la sous-commissaire adjointe Julie Tremblay explique que les commentaires positifs écrits sur Internet sont tellement prisés par les entreprises que quelques-unes paient même des tierces parties pour écrire de fausses critiques en ligne.
Une pratique illégale, mais malheureusement répandue, car des études montrent que de 10 % à 30 % des commentaires seraient faux.
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