Rencontre avec le pionnier de la microculture bio-intensive

La ferme d'Eliot Coleman est devenue un modèle d’agriculture biologique intensive, un type d’agriculture qui consiste à tirer le maximum de rendement sur de petites surfaces.
Photo : Radio-Canada / Gilbert Bégin
L'Américain Eliot Coleman est l'artisan d'un modèle agricole en plein essor : l'agriculture biologique intensive, une façon de cultiver la terre qui incite des jeunes à faire le saut en agriculture.
Un texte de Gilbert Bégin, de La semaine verte
Dans sa microferme d’Harborside, dans le Maine, Eliot Coleman nous fait entrer dans sa serre d’épinards. À nos pieds, des centaines de plants verdoyants, serrés les uns contre les autres. Pas un centimètre de surface n’est perdu. Le tapis est luxuriant. Nous sommes pourtant en plein cœur de l’hiver.
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Sur la terre froide du Maine, le jardinier réussit à faire pousser pas moins de 36 variétés de légumes différents, dont 18 en hiver. Mais ce maître maraîcher offre beaucoup plus que la simple culture de légumes d’hiver.
Chaque année, Eliot Coleman prouve qu’une petite ferme peut être rentable et atteindre de hauts rendements, sans engrais ni pesticides.
Sa ferme est devenue un modèle d’agriculture biologique intensive, un type d’agriculture qui consiste à tirer le maximum de rendement sur de petites surfaces. Le bio-intensif se caractérise également par une utilisation réduite de la machinerie, une solution qui contribue à diminuer l’endettement des agriculteurs.
Son lopin de terre fait vivre deux familles, ce qui constitue un exploit quand on sait que ce maître maraîcher cultive ses légumes sur une surface d’un seul hectare.
Le reportage de Gilbert Bégin et Jean-François Michaud a été présenté à La semaine verte, à ICI Radio-Canada Télé.
Tout miser sur le sol
Pour soutenir une telle performance, M. Coleman voue un véritable culte à son principal allié : le sol.
Par exemple, les planches de cultures qu’il bichonne sont interdites de passage, par peur de compacter le sol et d’affecter la vie microbienne qui y pullule. Il fertilise également ses sols aussi souvent que possible avec des engrais organiques.
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Et ses légumes le lui rendent bien. Ils sont si vigoureux que M. Coleman n’a jamais eu recours aux pesticides pour repousser les envahisseurs.
S’inspirer du passé
En plus de porter une attention particulière au sol, Eliot Coleman maximise chaque centimètre carré de sa minuscule terre. Il plante en rang serré et favorise une rotation rapide de ses légumes. Dans ce modèle ultra productif, rien n’est laissé au hasard.
Mais le jardinier avoue qu’il n’a rien inventé des techniques de l'agriculture biologique intensive. Il les a plutôt modernisées.
C’est lors d’un voyage en France dans les années 1970 que le maraîcher est mis en présence des techniques agricoles utilisées par les jardiniers parisiens du 19e siècle.
« Nos anciens possédaient déjà un grand savoir. Ils maîtrisaient la rotation des légumes, utilisaient des engrais et les couches chaudes pour protéger leurs cultures du froid. Leur modèle frôlait la perfection; j’ai voulu l’adapter ici en Amérique », explique-t-il.
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Séduire les chefs
Mais le modèle Coleman ne s’arrête pas qu’aux modes de culture. Pour maximiser les revenus de sa petite ferme, il coupe les intermédiaires. Il privilégie la vente directe de ses légumes à la ferme et dans les marchés fermiers.
Au fil des années, Eliot Coleman a aussi fait des chefs ses principaux alliés.
« Les chefs ont de bonnes papilles. Ils peuvent par exemple différencier la saveur d’un basilic récolté hâtivement ou encore dans les derniers stades de croissance. Ils aident les maraîchers à travailler dans la bonne direction », souligne le jardinier.
Des jeunes inspirés par le modèle
Auteur à succès et vulgarisateur hors pair, l’Américain a publié jusqu’ici trois livres sur les rudiments de l’agriculture biologique intensive. Ses ouvrages font maintenant école un peu partout en Amérique et en Europe.
Au Québec, bon nombre de petits maraîchers qui fournissent des paniers biologiques à leur communauté s’inspirent des techniques de l’agriculture biologique intensive.
Des jeunes d’un peu partout séjournent aussi dans sa ferme pour apprendre les rudiments de la méthode Coleman.
« Il est très présent à nos côtés. Il nous montre le chemin à suivre pour qu’on puisse créer nos propres fermes. C’est un homme de caractère, mais dont la générosité est sans limites », affirme Baptiste Saulnier, maraîcher français.
En 50 ans de carrière, Eliot Coleman a fait plus qu’améliorer les techniques de maraîchage biologique. Sa ferme d’Harborside propose une véritable solution de rechange au modèle dominant d’une agriculture à grande échelle.
L’homme aura finalement réussi à démonter qu’il est possible de bien vivre de l’agriculture sans s’endetter.
L'origine de l'agriculture biologique intensive
C’est aux maraîchers parisiens du 19e siècle que l’on doit les préceptes de l’agriculture biologique intensive.
À cette époque, la population de Paris explose. La ville se développe et les terres disponibles pour cultiver se font rares. Les maraîchers doivent alors produire des aliments en grande quantité sur de petites surfaces. Un défi de taille.
Ils vont alors semer en rang serré et alterner les légumes en tenant compte de leur temps de croissance. Quand les laitues arrivent à maturité, par exemple, les pousses de carottes viennent de sortir de terre. Ils profitent de la lumière et de l’espace pour achever leur croissance.
Pour fertiliser le sol, les maraîchers parisiens utilisent du fumier de cheval, une matière disponible en abondance à cette époque.
Quant à la chute des températures, pour la contrer, les maraîchers utilisent des châssis de bois et des cloches de verre pour recouvrir les plants.
Au sommet de leur art, ces jardiniers produiront huit récoltes par année. Mais avec la disparition de l’agriculture dans la région parisienne, ce savoir se perdra peu à peu.