Transformer l'Arabie saoudite

Une femme apprend à conduire à Djeddah, en Arabie saoudite.
Photo : La Presse canadienne / AP/Amr Nabil
Prenez note que cet article publié en 2018 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
[1 de 4] Il souffle un certain vent de changement sur Riyad, c'est indéniable. Ce qui saute aux yeux d'un visiteur qui a connu le Royaume il y a quelques années, c'est l'expression d'une vie sociale comme jamais auparavant.
Un texte de Marie-Eve Bédard, correspondante pour le Moyen-Orient
Celui qui souhaitait voir et comprendre comment vivent les Saoudiens devait chercher à franchir les hauts murs imposants et étouffants érigés en remparts autour des maisons, à pénétrer dans une intimité familiale qui ne se dévoilait pas facilement. Mais aujourd'hui, les Saoudiens investissent l'espace public.
Les femmes, les enfants, les hommes, qu'ils soient parents ou pas, se retrouvent le temps d'une foire publique, d'un festival, d'un concert. Les femmes osent la couleur. Les gens ont le pas plus léger, certains vont même jusqu'à danser.
C'est du jamais vu depuis l'avènement du wahhabisme en Arabie saoudite à la fin des années 70. Et beaucoup s'en réjouissent.

Le prince héritier d'Arabie saoudite, Mohammed ben Salmane
Photo : Reuters / Amir Levy
Ces réformes sociales sont un élément-clé du plan de transformation mis en œuvre par Mohammed ben Salmane, qui se présente comme un réformateur. À Londres, Washington, New York et bientôt Paris, le jeune héritier du trône, nommé par son père en juin dernier, est en mission. Il veut vendre une nouvelle image de son pays.
Oubliez l'intégrisme religieux, le terrorisme, l'oppression, les décapitations et les bombes larguées sur le Yémen depuis trois ans.
Des femmes au volant et des cinémas
Dans la Vision 2030 de Mohammed ben Salmane – le plan de développement du gouvernement saoudien –, les femmes peuvent conduire, elles ont le choix de délaisser le voile et l'abaya si elles le souhaitent. La police religieuse ne peut plus les arrêter, les cinémas ne sont plus péché, les Saoudiens se mettent au travail et développent une économie du savoir.
La nouvelle Arabie saoudite veut rejoindre le reste du monde et attirer des milliards de dollars d'investissements étrangers pour moderniser une économie qui n'a jamais su prévoir au-delà de son pétrole, voilà ce que dit Mohammed ben Salmane.
« L'environnement en Arabie saoudite pousse même les Saoudiens à quitter leur pays. C'est une des raisons pour lesquelles nous voulons des réformes sociales », a-t-il déclaré au Wall Street Journal pendant sa tournée américaine.
Les États-Unis se montrent réceptifs au message. Mohammed ben Salmane a été chaleureusement accueilli par Donald Trump et il enchaîne les rencontres avec les personnalités prestigieuses comme Oprah Winfrey et Tim Cook d'Apple.
Un écran de fumée?
Mais les sceptiques affirment que cette attitude d'ouverture, tant au Royaume qu'à l'étranger, n'est qu'un écran de fumée pour faire oublier ce qui ne change pas dans la pétromonarchie. Amnistie internationale lançait la semaine dernière une contre-campagne publicitaire en quelque sorte. Personne n'est dupe, affirme l'organisme.
La meilleure machine publicitaire au monde ne peut pas faire oublier la feuille de route accablante de l'Arabie saoudite en matière de droits de l'homme.
« Le prince héritier joue le rôle de réformateur, mais la répression contre les voix dissidentes dans son pays ne fait que s'intensifier depuis sa nomination en juin dernier », estime Samah Hadid, directrice de la campagne d’Aministie internationale pour le Moyen-Orient.
Le cas de Raif Badawi
Si vous souhaitez provoquer un profond malaise en Arabie saoudite, parlez de Raif Badawi. Le blogueur, dont la femme et les enfants sont installés au Canada, a été condamné en 2013 à 10 ans de prison et à 1000 coups de fouet pour avoir prôné la tolérance religieuse.

Raif Badawi, blogueur saoudien emprisonné dans son pays depuis 2012.
Photo : Facebook
Personne ne veut en parler, de son dossier ni d'un possible pardon royal. Pas même sous le couvert de l'anonymat.
Et il est loin d'être le seul prisonnier d'opinion. Même ceux qui ont été libérés de prison, ou leurs proches, refusent de parler aujourd'hui.
Selon un rapport d'un panel d'experts indépendants des Nations unies, une soixantaine de dissidents bien connus – des activistes, des journalistes, des académiciens et des clercs –, ont été arrêtés depuis septembre dernier. C'est un régime autoritaire qui devient de plus en plus autoritaire, qui fait de moins en moins preuve de tolérance envers la moindre dissension, quelle qu'elle soit, concluait le rapport.
Le climat de peur qui en découle, on le sent bien dans le pays. Les gens ne savent parfois même plus s'ils peuvent parler. Les critiques sont formulées en chuchotant, mais elles sont là. Les craintes aussi.
La crainte que ces quelques libertés que beaucoup savourent ne poussent dans la violence les éléments les plus conservateurs, mais que l'on fait taire de force. La crainte que la succession du roi Salmane, que l'on dit souvent malade, ne vienne provoquer des affrontements dans les rangs de la famille royale.
La purge au nom de la lutte contre la corruption n'a pas convaincu beaucoup de nos interlocuteurs qu'il ne s'agissait pas d'une manoeuvre pour écarter des rivaux potentiels à un jeune prince plus ambitieux que réformateur.