Des plantes à la rescousse des terres agricoles
En plantant une espèce végétale entre les rangs de maïs, on occupe un espace habituellement convoité par les mauvaises herbes.
Photo : Radio-Canada
Les monocultures, comme le maïs et le soya, nécessitent souvent le passage répété de machinerie toujours plus lourde et l'emploi massif de produits chimiques qui dégradent le sol. Pour ramener la vie dans leur champ, voilà que des agriculteurs du Québec se tournent vers une technique ancestrale : les cultures intercalaires.
Un texte de Catherine Mercier, de La semaine verte
L’idée est simple. L’espace entre les rangs est souvent le lieu de prédilection des mauvaises herbes. En choisissant d’y semer une espèce végétale, on occupe cet espace convoité par les indésirables. Et du même coup, les plantes intercalaires améliorent la santé du sol.
Dans leur ferme de Huntingdon, Albert De Martin et sa fille Marie-Claude font pousser des plantes intercalaires depuis sept ans. Ils sèment principalement du ray-grass, une petite graminée, mais aussi du sarrasin et des mélanges de trèfle, de pois et de radis fourragers.
Ces plantes favorisent l’activité biologique du sol et attirent les vers de terre.
Pour conserver les vers de terre dans nos champs, c’est un peu comme pour conserver des invités autour d’une table : il faut avoir de la bouffe sur la table. C’est la même chose.
Les vers de terre sont des alliés pour les agriculteurs. Ils creusent des galeries, ce qui aide au drainage, à l’aération du sol et à la croissance des racines.
Mais les vers de terre ne sont qu’un bataillon de cette armée souterraine qui travaille pour les agriculteurs. Chaque cuillerée de sol contient des milliards de microorganismes, une extraordinaire biodiversité.
« On parle des vers de terre, parce que ce sont les plus gros. C’est ceux qu'on voit, explique l’agronome Sylvie Thibaudeau. Mais il y a des champignons, des bactéries et énormément d'organismes bénéfiques qui sont impliqués [pour] tout ce qui est de rendre disponibles les éléments fertilisants et [d']améliorer la résistance des plantes à la sécheresse. »
Des études ont démontré que ces organismes vivants sont sur les racines, ou directement autour des racines. « Donc, dans un sol à nu, ils sont beaucoup moins là », ajoute-t-elle.
Agronome en Montérégie-Ouest, Sylvie Thibaudeau a commencé à s’intéresser aux intercalaires dans les années 90.
Par différents projets de recherche, elle tente de trouver le mariage parfait entre culture principale et culture intercalaire. Car chaque plante apporte des bénéfices différents.
Le ray-grass, qui ressemble un peu à du gazon, offre une meilleure portance à la machinerie et préserve la structure du sol. Les légumineuses, comme le pois fourrager, aident, quant à elles, à fixer l’azote, tandis que le sarrasin rend disponible le phosphore dans le sol.
Comme les possibilités de mélanges de plantes sont quasi infinies et que le sol varie d’une ferme à l’autre, il reste encore beaucoup de connaissances à acquérir dans le domaine.
Une technique qui ne date pas d’hier
Les premiers colons d’Amérique utilisaient déjà le sarrasin, l’avoine et le seigle pour engraisser le sol. La pratique aurait connu son apogée dans les années 40, mais l’arrivée d’herbicides et d’engrais chimiques a peu à peu réduit le recours aux plantes pour fertiliser le sol et lutter contre les mauvaises herbes.
Les Amérindiens connaissaient eux aussi les bénéfices des interactions entre les plantes.
Les intercalaires sont souvent associés à ce qu’on appelle les « cultures de couverture ». Dans les deux cas, le but est de coloniser le sol avec des racines pour en améliorer la santé. On peut choisir de le faire avec une plante ou un mélange de plantes.
La différence entre les deux, c’est que les intercalaires sont semés en même temps que la culture principale, tandis que les cultures de couverture sont semées après la récolte ou en pleine saison.
Dans les deux cas, ces techniques réduisent l’érosion et augmentent la structure, la fertilité du sol et les rendements des cultures à venir.
Une question de rentabilité
Mais semer une plante qu’on ne récoltera jamais, est-ce payant?
Certainement, répondent les agronomes et les producteurs qui ont fait l’expérience des intercalaires. Chez les Élevages R. Cadorette, à Saint-Lambert-de-Lauzon, on a introduit le trèfle incarnat comme culture intercalaire en 2012. Cette année, 1200 des 2000 acres de la ferme en seront recouverts.
On voit le trèfle comme un investissement. Il permet de réduire mes coûts de production. En moyenne chaque année, ça représente 25 $ d’économies d’engrais chimique à l’acre.
Le trèfle incarnat est une légumineuse qui fixe dans le sol des quantités impressionnantes d’azote atmosphérique. L’année suivante, la culture qui se retrouvera dans ce champ pourra bénéficier de cet « engrais vert ».
Et la fertilisation du sol est loin d’être le seul avantage que le trèfle incarnat procure. Comme son nom l’évoque, il produit de jolies fleurs rouges, dont les abeilles raffolent.
« Quand on le met en intercalaire dans le canola, ça permet une meilleure pollinisation des champs », explique M. Cadorette. Selon lui, le petit trèfle aide même à contrer en partie les effets négatifs de la disparition des forêts en milieu agricole.
« Les racines du trèfle stabilisent le sol au printemps, poursuit l’agriculteur. J’avais de l’érosion avant, maintenant on n’en voit plus. C’est des choses qui ne sont pas monnayables. Les avantages qui viennent avec toutes ces nouvelles pratiques culturales, c’est beaucoup plus que 25 $ à l’acre! »
Pour écouter le reportage de Catherine Mercier, rendez-vous sur la page de l'émission La semaine verte.
Promouvoir une culture encore marginale
L’agronome Sylvie Thibaudeau est convaincue que les intercalaires, une technique encore marginale, gagneraient à être adoptés par un plus grand nombre de producteurs.
« Un sol en santé est plus résilient, c'est-à-dire que dans des mauvaises conditions, une année sèche, la culture va être beaucoup plus belle, elle va être capable d'aller chercher son eau », explique l’agronome. Et à l’inverse, poursuit-elle, comme lors d’une année pluvieuse, le drainage peut aussi être amélioré grâce à la structure du sol. « Ça donne un champ qui est plus productif et qui, peu importe les conditions, va maintenir des rendements stables. »
Chez les De Martin, on note aussi des résultats positifs. Des tests avec et sans intercalaires ont permis de conclure que cette technique était rentable. Mais comme c’est souvent le cas en agriculture, il faut faire preuve d’un peu de patience.
Oui, ça a un coût l’intercalaire, mais en bout de ligne, il faut regarder tout le côté bénéfique que ça apporte au niveau de la marge à la fin de l’année. C’est là que c’est important, c’est du long terme.
Dans un contexte où la course à la rentabilité incite souvent les producteurs à éliminer les saines rotations, celles comprenant au moins trois cultures, l’ajout de plantes intercalaires est un moyen simple de ramener de la biodiversité dans les champs.
« Je suis persuadée qu’on n’a pas les rendements qu’on pourrait avoir si le sol était en meilleur état, se désole Sylvie Thibaudeau. On camoufle un peu tout ça avec la fertilisation, avec tout ce qu'on peut utiliser, mais on est rendu à une étape où il faut vraiment se préoccuper de notre sol. »
Mais après avoir longtemps misé sur la machinerie et l’arsenal chimique pour améliorer les rendements, peut-être le temps est-il venu de faire confiance aux plantes?