Facebook et les données personnelles : le vrai problème, ce sont les mégadonnées

Mark Zuckerberg, fondateur de Facebook
Photo : Associated Press
Prenez note que cet article publié en 2018 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
ANALYSE - Le problème avec le scandale Facebook-Cambridge Analytica depuis la fin de semaine dernière dépasse les entreprises impliquées. Si Facebook a failli, et qu'il allait de soi que le fondateur Mark Zuckerberg offre ses excuses aux abonnés, il faut aller au-delà. Nous assistons, en réalité, aux premiers vrais dérapages de l'ère des mégadonnées.
Un texte de Gérald Fillion
« Pour moi, Facebook n’est pas le monstre, on se trompe peut-être de cible », a dit le chercheur Guillaume Latzko-Toth, de l’Université Laval, lundi, à RDI économie, au lendemain des révélations du New York Times et du quotidien The Observer sur les données personnelles des abonnées de Facebook apparemment utilisées sans autorisation par Cambridge Analytica à des fins politiques.
« Je dirais qu’en l'occurrence, c’est plutôt le big data, les mégadonnées, qui sont le monstre, et ce que l’on peut faire par l’analyse de ces mégadonnées », a expliqué l'expert.
Et quand on voit une entreprise comme Facebook, qui génère des millions et des milliards de données tous les jours, certaines publiques, d’autres non, il est inquiétant de constater que l’entreprise n’assure pas une protection plus sérieuse des informations que nous publions et que nous confions à un réseau social.
À ce point-ci, on peut sérieusement se demander si l’extraordinaire avancée technologique des mégadonnées peut aussi représenter un extraordinaire danger démocratique, éthique, social, économique, politique.
« La responsabilité de Facebook, est de, peut-être, mieux s’assurer de ce que l’on fait avec ces données […], que ce soit éthique, a affirmé Guillaume Latzko-Toth. Le problème que je vois principalement, c’est une certaine flexibilité par rapport à l’éthique de la recherche que l’on peut faire à partir de ces données, en particulier par des firmes de marketing avec lesquelles [Facebook] fait affaire continuellement. »
« Ces mégadonnées, a-t-il dit, sont produites par les traces que laisse tout un chacun lorsqu’on utilise les médias numériques, en particulier les plateformes de médias sociaux. Comme Facebook rejoint la grande majorité de la population de nombreux pays occidentaux, ça donne accès à une base de données gigantesque sur les populations de ces pays. »
Vous êtes une donnée
Ce qu’on appelle en anglais le big data est en pleine croissance. Partout, vous laissez des traces de votre passage, en vous inscrivant sur le Web pour vous abonner à un service, en cliquant sur un contenu sur votre média social préféré, en magasinant une montre, un vêtement ou un voyage, en vous baladant au centre-ville avec votre téléphone cellulaire, en prenant la carte Inspire de la SAQ, la carte de points de La Baie, Air Miles, Aeroplan ou Metro et moi, partout, vous laissez un peu de vous-mêmes.
Les mégadonnées sont celles-là. Et la révolution, c’est qu'avec nos systèmes informatiques et l’intelligence artificielle qui se développe rapidement, nous sommes capables de capter ces informations, de les stocker, les rassembler, les regrouper, les interpréter, les utiliser, les rentabiliser.
Or, nous constatons déjà que les mégadonnées améliorent notre vie lorsqu’elles arrivent à mieux nous informer, à mieux nous guider, lorsqu’elles nous aident, par exemple, à éviter les bouchons sur la route ou lorsqu’une institution comme Statistique Canada arrivera à mettre au point une récolte en direct des ventes au détail, du commerce international ou de l’évolution de l’inflation. Ce sont des exemples où notre qualité de vie s’améliore.
Mais, nous constatons aussi que ces données peuvent être utilisées pour orienter notre consommation et, plus grave encore, pour orienter notre compréhension des enjeux politiques, sociaux et démocratiques. Et c’est ici que nous entrons dans une zone périlleuse, extrêmement préoccupante et qu’il est urgent d’aborder.
Alors, quand Mark Zuckerberg affirme qu’il est ouvert à ce que les régulateurs encadrent Facebook, on peut croire qu’il est plus que temps que les pouvoirs publics agissent. En fait, il y a deux choses fondamentales à comprendre du message de Mark Zuckerberg. Premièrement, puisqu’il donne aux pouvoirs publics la permission d’intervenir, il est clair que cet encadrement va se faire en fonction des règles de Facebook. Et, deuxièmement, Mark Zuckerberg nous rappelle qu’il est assis sur une bombe.
Vous avez dit transparence et justice?
Le fondateur de Facebook a toujours parlé de sa volonté de rendre le monde plus juste, plus ouvert, plus transparent. Aujourd’hui, il n’est pas clair que cet objectif est en train de se réaliser. C’est même le contraire qui semble se dérouler.
Mark Zuckerberg savait peut-être ce qui allait se produire quand on lit The Facebook Effect : The Inside Story of The Company That is Connecting The World (traduit en français : La révolution Facebook chez JC Lattès), publié en 2010 et écrit par David Kirkpatrick.
Cet extrait est révélateur, pages 391 et 392 de la version française, chapitre intitulé Changer nos institutions :
Un soir, je demandai à Mark Zuckerberg d’évoquer les effets de Facebook sur la société - notamment dans les domaines de la politique, du gouvernement, des médias et des affaires. Il me répondit en parlant du potlatch. C’est une pratique cérémonielle des indigènes de la côte nord-ouest de l’Amérique du Nord - un festin communautaire où chaque participant apporte les plats ou les objets qu’il peut, et où n’importe qui peut prendre ce qu’il veut. Le prestige social le plus élevé échoit à ceux qui ont le plus donné. « Connaissez-vous le concept d’une économie de don? demande Zuckerberg. C’est une alternative intéressante à l’économie de marché dans pas mal de cultures moins développées. J’apporte quelque chose et je le donne à quelqu’un, ensuite, par obligation de générosité, cette personne me donnera quelque chose en retour. Toute la culture fonctionne dans le cadre de dons mutuels. Ce qui cimente ces communautés et permet au potlatch de fonctionner, c’est le fait que la communauté est suffisamment restreinte pour que les gens puissent voir les contributions les uns des autres. Mais une fois que l’effectif de ces sociétés franchit un certain seuil, le système tombe en panne. On ne peut plus voir tout ce qui se passe, et il y a des parasites. »
Pour Zuckerberg, Facebook et d’autres forces de l’Internet créent désormais suffisamment de transparence pour que des économies de don puissent fonctionner à grande échelle. « Quand il y a plus d’ouverture d’esprit, quand tout le monde peut exprimer son opinion très rapidement, une portion plus grande de l’économie commence à fonctionner comme une économie de don. Cela oblige les entreprises et les organisations à devenir meilleures et plus dignes de confiance. » Pour Zuckerberg, toute cette transparence, tous ces échanges et ces dons ont des implications qui agissent en profondeur sur la société. « Cela change vraiment la manière dont fonctionne le gouvernement. Un monde plus transparent crée un monde mieux gouverné et un monde plus juste. » C’est pour lui une conviction essentielle.