Les écoles américaines, théâtre très fréquenté de la violence par armes à feu

Une étudiante participe à une manifestation contre les armes à feu après la tuerie de Parkland.
Photo : Getty Images / Joe Raedle
Prenez note que cet article publié en 2018 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Il y a eu plus de 300 incidents impliquant des armes à feu dans des écoles américaines au cours des cinq dernières années. L'une des dernières en date, la tuerie de Parkland, en Floride, n'est que l'une d'entre elles, mais elle suscite une mobilisation exceptionnelle. Portrait de la violence à l'école en carte et graphiques.
Un texte de Vincent Champagne
Les changements législatifs pour mieux encadrer le « droit au port d’arme » sont plus que jamais nécessaires, clament les organisations militantes et les jeunes, parce que les drames sont en hausse constante.
C’est ce qui ressort d’une étude de l’organisation apolitique Citizens Crime Commission of New York City, qui souhaite éclairer le débat sur le contrôle des armes à feu par les faits.
L'organisation a compilé tous les incidents survenus depuis le début des années 2000 sur les campus collégiaux et universitaires. Selon Ashley Cannon, directrice des politiques publiques, les chiffres ont tout simplement « explosé ».
Les données démontrent une hausse de 153 % du nombre d’incidents entre 2001 et 2016, lorsqu’ils sont regroupés par tranche de cinq ans.
La gravité des incidents s’est aussi accrue, note Mme Cannon. Dans les cinq premières années de la décennie 2000, il y a eu 61 décès ou blessés par arme à feu dans les collèges et universités américaines. En comparant les cinq dernières années de la période, on en dénombrait 208, soit une hausse de 241 %.
Le nombre de décès a connu une légère augmentation jusqu’en 2015, et connaît depuis un repli. Il ne suffit toutefois que d’un événement très grave pour faire remonter les chiffres, comme la tuerie de Virginia Tech, en 2007, qui a fait 33 morts.
Six États américains ont connu plus de dix attaques armées sur des campus collégiaux ou universitaires de 2001 à 2016, fait ressortir Mme Cannon. Dix autres États ont connu cinq attaques ou plus.
La majorité de ces attaques, soit 64 %, ont eu lieu dans les États du Sud, du Texas à la Virginie, en passant par la Floride. « La majorité de ces États n’ont pas de politiques qui limitent la disponibilité des armes à feu, telles que l’obligation de détenir un permis et de suivre un cours de sécurité ou encore la vérification des antécédents », analyse Mme Cannon.
Source : Everytown for Gun Safety - Les données incluent les incidents par arme à feu dans des écoles américaines de 2013 à 2018.
Un portrait de la violence à l’école
Bien qu’elle ne concerne que les collèges et les universités, n’offrant en cela qu’un portrait partiel de la situation – il y a aussi de nombreux incidents dans des écoles primaires et secondaires – l’étude de la Citizens Crime Commission of New York City permet de dégager une certaine compréhension de la violence par armes à feu dans les écoles américaines.
Ainsi, les 190 incidents répertoriés entre septembre 2001 et juillet 2016 ont fait 437 victimes, soit 167 morts et 270 blessés. Ce sont les étudiants qui subissent en grande majorité la violence par arme à feu.
Les causes d’un incident impliquant une arme sont multiples. Ce sont les disputes, au sens large, qui mènent le plus à un coup de feu.
Lorsqu’une arme à feu est accessible, la tension peut monter de plusieurs crans rapidement. Si la dispute n’est que verbale, elle ne cause pas autant de tort que lorsque les gens ont une arme.
Étonnamment, selon les données compilées par Mme Cannon et son organisation, près de 60 % des tireurs n’ont aucun lien avec l’école.
Comment l’expliquer? Il y a une grande variété de situations au cours desquelles un coup de feu est tiré soit dans une école, ou sur son terrain, son stationnement ou encore dans un bâtiment attenant, tel qu’un dortoir ou un gymnase.
Par exemple, dans le cas d’un échange de drogue, le tireur peut être un revendeur sans lien avec l’école. Dans un dossier de violence conjugale, il peut s’agir d’un conjoint d’une autre école. Il y a beaucoup de voleurs qui tirent dans une école sans y être liés. Des gens peuvent tirer après s’être fait refuser l’accès à une fête ou un spectacle sur un campus. Une poursuite entre criminels peut se terminer tragiquement sur un stationnement d’école.
Les tueries de masse, le drame multiplié

Des milliers de personnes manifestent à Washington en 2013 pour exiger plus de contrôle sur les armes à feu après la tuerie de Newton.
Photo : Getty Images / AFP/Yuri Gripas
Les tueries de masse, bien que très médiatisées, sont beaucoup moins nombreuses que les simples disputes. Toutefois, ce sont celles qui causent le plus grand nombre de victimes.
Il y a eu sept tueries de masse entre 2001 et 2016 sur des campus collégiaux et universitaires, observe Mme Cannon, mais elles ont fait 130 victimes, soit presque un tiers du total de victimes.
Les deux tueries de Virginia Tech et de la Northern Illinois University sont responsables à elles deux de la moitié des victimes par arme à feu lors de tueries de masse au cours de cette période, avec 50 et 22 victimes respectivement (excluant les tueurs).
« Sur la base de ces tendances, le problème risque de devenir beaucoup plus grave au cours de la prochaine décennie, constate l’organisation de Mme Cannon. Il est impératif que les législateurs, les décideurs, les administrateurs de collèges, les forces de l'ordre […] commencent à avoir un dialogue sérieux et à adopter des réformes significatives pour lutter contre cette épidémie et sécuriser à nouveau les collèges américains. »
Comment en est-on rendu là?

Douze étudiants ont été tués lors d'une fusillade à l'école secondaire Colombine en 1999.
Photo : Gary Caskey / Reuters
La tuerie de Columbine, en 1999, a marqué un tournant, estime Francis Langlois, professeur au Cégep de Trois-Rivières et membre associé à l'Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand. Les tueurs avaient fait des vidéos et laissé des notes, ce qui a contribué à leur donner une certaine aura.
« Il y a toute une sous-culture de ces gens-là, il y a des sites web où on présente leurs « exploits », si je peux m’exprimer ainsi, où on présente ce qu’ils ont fait, comment ils l’ont fait, quelles armes ils ont utilisées, leurs vêtements, la musique qu’ils écoutaient, des extraits de leurs journaux personnels », explique M. Langlois.
« Avant, [faire une tuerie dans une école] ce n’était pas vu comme une solution viable pour régler ses problèmes », ajoute-t-il.
Lorsqu’on analyse l’histoire et le profil des tueurs dans une tuerie de masse, on trouve des similitudes sociologiques, observe M. Langlois. « Souvent, ce sont des jeunes hommes blancs dans des communautés qui sont relativement homogènes. Ce sont des gens qui réussissent moyennement, qui n’ont pas autant qu’ils le veulent du succès avec la gent féminine, qui ne réussissent pas nécessairement dans les trucs qui engendrent de la reconnaissance, comme le sport. »
Ils cherchent un moyen de se faire connaître, ou de se faire reconnaître qui va être différent, qui va être parallèle.
L’école, qui incarne pour plusieurs étudiants « le lieu des humiliations quotidiennes », est l’endroit par excellence pour « montrer à tous qu’on rejette la communauté », dit M. Langlois.
Pourtant, la grande majorité des événements impliquant une arme à feu dans une école passent brièvement dans les nouvelles locales, avant de laisser place à un autre cycle d’actualités. Et pour cause : ils ne font souvent que des blessés, en petit nombre.
Parkland, c’est différent

Des milliers de manifestants se sont assis pendant 17 minutes devant la Maison-Blanche en hommage aux 17 victimes de la tuerie de Parkland le 14 mars 2018.
Photo : Getty Images / AFP/Saul Loeb
Plusieurs analystes, dont Francis Langlois, estiment que la tuerie de Parkland, qui a fait 17 morts, change la donne. Dans les jours qui ont suivi, les étudiants de l’école Marjory Stoneman Douglas ont pris la parole pour exiger des changements.
Il n’y aura pas de changements majeurs dans les semaines qui s’en viennent, mais je pense qu’on assiste au début d’un changement de cap.
Il y a une « tempête parfaite » en ce moment, estime M. Langlois, avec l’impopularité croissante de Donald Trump. Les réactions du président suite aux différentes tueries soulèvent l’indignation, car il reste campé sur les positions traditionnelles des défenseurs du deuxième amendement de la Constitution américaine, qui garantit le droit au port d’armes.
Les étudiants veulent faire de cet enjeu un élément central des élections de mi-mandat plus tard cette année.