Que retenir du scandale Facebook-Cambridge Analytica?

Que retenir de toute cette controverse Facebook-Cambridge Analytica?
Photo : Associated Press / John Minchillo
Prenez note que cet article publié en 2018 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Les révélations ont tout ce qu'il faut pour capter notre attention : un lanceur d'alerte photogénique, une vaste fuite d'informations personnelles, de mystérieuses techniques de manipulation des opinions. Et le président Donald Trump. Que retenir de toute cette controverse Facebook-Cambridge Analytica? Voici cinq pistes de réponses.
Une analyse de Yanik Dumont Baron, correspondant aux États-Unis
1- Il ne faut pas s’en étonner
Amasser des données personnelles, c’est le modèle d’affaires de Facebook, et de bien d’autres entreprises d’ailleurs. Ces entreprises amassent le plus d’informations possible pour les vendre ou les louer. Peu importe si c’est pour vous convaincre d’acheter un jeans ou d’adopter une opinion politique.
L’adage est bien répandu dans le monde numérique : « si c’est gratuit, c’est vous le produit ». Théoriquement, les usagers sont conscients que leurs informations personnelles sont échangées pour un service « gratuit ». Mais les révélations démontrent un malaise. Comme si la notion était surtout théorique. Elle ne l’est pas.
Vous souvenez-vous de Barack Obama? Combien d’articles élogieux ont été écrits sur les opérations microciblées de ses partisans durant sa campagne présidentielle de 2012? Ses associés n’ont que modernisé une vieille technique politique. Cambridge Analytica l’a poussée plus loin.
2- Vos données personnelles ne sont pas en sécurité
Ce qui semble différent cette fois-ci, c’est l’ampleur de l’opération. Les profils de 30 à 50 millions d’Américains ont été recueillis, scrutés et analysés. C’est environ un cinquième de l’électorat américain. Une perspective qui donne le tournis étant donné la portée mondiale de Facebook.
L’affaire Cambridge Analytica révèle aussi que Facebook n’a pas toujours le contrôle sur ces données (les vôtres et les miennes, en fait). N’en avait pas le contrôle, s’il faut en croire le grand patron de l’entreprise.
Mark Zuckerberg assure que les mesures actuelles, légèrement renforcées, empêcheront une répétition. Lui faites-vous confiance?

Le grand patron de Facebook, Mark Zuckerberg.
Photo : Associated Press / Nam Y. Huh
3- Ce sont vos émotions qui sont visées et manipulées
« Ça ne sert à rien de mener une campagne électorale en s’appuyant sur des faits, expliquait le directeur général de Cambridge Analytica. Il n’y a que les émotions qui comptent. » Ces commentaires de Mark Turnbull ont été captés par une caméra cachée de la chaîne britannique Channel 4.
Avec ses ordinateurs, la firme prétendait mieux savoir ce qui choque ou effraie les électeurs que ces électeurs eux-mêmes. Ce sont les formules informatiques développées avec les données de Facebook qui lui auraient donné cet avantage.
Ces craintes et ces émotions se sont retrouvées au cœur de la controversée campagne de Donald Trump, dont la peur des immigrants illégaux et des terroristes, un désir de rejeter ces élites qui auraient la vie plus facile, et ce fameux slogan « Crooked Hillary ». Des messages aussi utilisés dans les efforts russes pour diviser les Américains durant la présidentielle.
4- On ne sait pas si ces tactiques ont vraiment été efficaces
À la caméra cachée de Channel 4, les membres haut placés de Cambridge Analytica assuraient que Donald Trump leur devait sa courte victoire (80 000 votes dans trois États). « Nous avons mené toute la campagne numérique. Nos données ont alimenté la stratégie », expliquait Alexander Nix, le PDG de la firme. Il y avait peut-être du bluff dans ces affirmations.
Le responsable de la stratégie numérique de l’organisation de campagne de Donald Trump en 2016 l’a souvent répété : les données de Cambridge Analytica n’étaient pas assez précises pour lui être utiles. Pour les dernières semaines de la campagne, Brad Parscale soutient avoir préféré la base de données du Parti républicain.
Ce qui ne veut pas dire que ces données n’ont pas été utilisées par des groupes alliés, ces fameux « Super PAC », pour amplifier son message et ternir l’adversaire démocrate. Ou encore par des propagandistes russes. Le lanceur d’alerte Christopher Wylie parle d’ailleurs de contacts avec des Russes influents et proches de Vladimir Poutine.

Le PDG de la firme Cambridge Analytica, Alexander Nix.
Photo : Reuters / Pedro Nunes
5- Les problèmes soulevés semblent difficiles à régler
Il y a d’abord la sécurité des données personnelles que nous confions chaque heure du jour aux géants comme Facebook, Google et Apple. Dur d’imaginer des millions d’utilisateurs délaisser ces grands réseaux et retourner à une existence moins branchée. Les données seront là. Elles continueront de s’accumuler. Surtout dans un univers dans lequel même votre frigo est branché sur Internet.
Ces grands propriétaires de données ont tendance à réagir aux crises plutôt qu’à pencher pour la prudence. Il est aussi difficile d’imaginer que les élus, généralement peu versés dans les détails technologiques, arriveront à imposer de véritables garde-fous.
Idem pour l’exploitation de toutes ces informations personnelles à des fins partisanes, qu’elles soient légitimes ou sombres. Avec les outils cryptés et l’appui d’organisations de façade, il est facile de masquer la source d’une campagne de propagande, de répandre des rumeurs et de tordre les faits. La tentation demeure.
L’ironie, c’est que les citoyens eux-mêmes finissent le travail d’un propagandiste, en partageant ces informations avec leurs amis sur Facebook...
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