Montréal a payé à son insu pour traiter les déchets des autres

Des ordures ménagères et des matières recyclables sur le bord d'une rue.
Photo : Radio-Canada
Prenez note que cet article publié en 2018 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Une enquête du Bureau de l'inspecteur général de Montréal (BIG) révèle que l'entreprise Services environnementaux Richelieu (SER), qui avait obtenu quelque 35 millions de dollars en contrats de ramassage de déchets dans les arrondissements de Verdun et du Sud-Ouest, faisait payer à la Ville de Montréal l'élimination de déchets provenant de commerces, de chantiers de construction et de plusieurs municipalités de la Montérégie.
Selon le rapport d’une quarantaine de pages remis à la mairie de Montréal, en plus des déchets domestiques qu’il ramassait à Montréal, l’entrepreneur faisait notamment payer à la Ville le traitement de déchets ramassés à Boucherville, Brossard, Carignan, Saint-Basile-le-Grand, McMasterville et Beloeil.
SER ramassait également les déchets de restaurants, de commerces ainsi que des débris sur des chantiers de construction, en plus de mélanger des déchets aux matières recyclables, le tout afin de hausser ses bénéfices puisque, selon le contrat signé avec la Ville, SER se faisait payer en fonction du volume de déchets qu’il ramassait.
Pour toucher davantage d'argent, les camions de SER arrivaient déjà chargés de déchets récupérés ailleurs lorsqu'ils commençaient leur collecte de déchets dans les arrondissements de Verdun et du Sud-Ouest. L'entrepreneur pouvait ainsi facturer à la Ville un plus grand volume de déchets que ce qu'il avait vraiment ramassé dans les arrondissements.

Le siège de Services environnementaux Richelieu, à Beloeil.
Photo : Radio-Canada
Le BIG passe à l'action
Le Bureau de l’inspecteur général a découvert le subterfuge en février 2017 lorsque la Direction des travaux publics de l’arrondissement de Verdun a constaté que SER faisait des collectes de déchets dans des commerces en dehors des jours et des heures prescrites.
Le BIG a donc fait surveiller les camions de SER et consulté les données GPS des véhicules afin d’en savoir davantage sur leurs déplacements.
Les enquêteurs ont rapidement découvert le stratagème, et les deux contrats détenus par SER, respectivement de 30,1 et 4,3 millions de dollars, ont été résiliés par le Bureau de l’inspecteur général.
Les agissements de SER […] revêtent un caractère frauduleux et systémique au sein de l’entreprise qui laisse croire que n’eût été l’enquête de l’inspecteur général, ils se seraient poursuivis au fil du temps.
Le dossier a aussi été transmis à l'Unité permanente anticorruption (UPAC) et à l'Autorité des marchés financiers (AMF), comme le prévoit la loi. L'UPAC tentera notamment de déterminer si ce cas ne serait pas symptomatique d'un stratagème plus large dans l’industrie de la collecte des ordures.
Les pertes de fonds publics engendrées par ce stratagème n'ont pas été évaluées par le BIG. Mais la Ville estime qu'il pourrait être question de centaines de milliers de dollars.
La Ville aussi blâmée

Collecte des ordures ménagère à Montréal.
Photo : Radio-Canada
L’enquête menée sur cette fraude par le Bureau de l’inspecteur général a également permis de déceler plusieurs défaillances dans les mécanismes de contrôle de la Ville de Montréal en matière de gestion des collectes de déchets.
Tout d’abord, la balance publique de l’arrondissement de Verdun, utilisée pour peser les camions d’ordures, était souvent hors service, note Denis Gallant dans son rapport.
En outre, les inspecteurs ont découvert que « les autorités des arrondissements de Verdun et du Sud-Ouest ne vérifiaient pas systématiquement que la benne des camions de SER était vide à leur arrivée sur le territoire de la Ville ».
Les autorités des arrondissements ne consultaient pas très souvent non plus les données des systèmes de positionnement GPS des camions d’ordures pour vérifier la conformité de leurs itinéraires, souligne le rapport.
« Il s’agit là d’autant de mesures de contrôle prévues par la Ville qui n’ont pas été exercées avec rigueur, mais qui auraient permis à la Ville de déceler plus tôt les agissements de SER », conclut l’inspecteur général.
Corrections immédiates
Les autorités de la Ville de Montréal ont indiqué que les deux arrondissements concernés ont déjà revu leurs façons de faire pour corriger la situation.
Le maire de l’arrondissement de Verdun, Jean-François Parenteau, a assuré que des mesures immédiates ont été prises pour assurer le bon fonctionnement de la balance qui pèse les camions ainsi que pour corriger un « manque de rigueur » dans la surveillance des collectes de déchets.
D'autres corrections devraient s'ajouter prochainement, a indiqué la mairesse Valérie Plante, qui a promis, lors d'une mêlée de presse, de s'« assurer que ça n’arrive pas de nouveau ».
Il y a des recommandations. On va les passer au peigne fin et on va ajuster le tir […] S’il y a des changements à faire, on va les faire. Là-dessus, il n’y a aucun doute.
L’arrondissement de Verdun, en collaboration avec la Ville de Montréal, compte s’inspirer du système de traçabilité en temps réel des sols contaminés, baptisé Traces Québec, et l’appliquer au ramassage et au traitement des déchets.
Traces Québec permet, grâce à des systèmes de repérage, de suivre en temps réel le déplacement des sols contaminés afin de savoir en tout temps où ils sont et les routes qu’ils empruntent.
Le chef de l’opposition à l'Hôtel de Ville, Lionel Perez, dont le parti Ensemble Montréal (autrefois Équipe Denis Coderre) était au pouvoir au moment des faits, a noté que « ce sont des enjeux qui se gèrent localement, dans les arrondissements ». Or, l'un des deux arrondissements concernés était déjà dirigé par un membre de Projet Montréal à l'époque : Benoit Dorais, dans le Sud-Ouest.
Dans Verdun, Jean-François Parenteau faisait partie de l'équipe de l'ex-maire Coderre, qu'il a quittée en novembre pour siéger au comité exécutif.
« Il y a des membres des services de l’arrondissement de Verdun qui, eux-mêmes, ont fait la dénonciation, a cependant signalé M. Perez. Donc, il y a un travail qui a été fait en amont par eux, il faut le reconnaître. »
M. Perez a néanmoins réclamé plus de vigilance de la part des administrateurs.
Des sommes à récupérer

Une situation « inacceptable », a estimé la mairesse Valérie Plante.
Photo : Radio-Canada
La Ville se penche maintenant sur les recours possibles.
« S’il y a une façon de récupérer l’argent que les Montréalais ont payé pour rien, […] on va le faire. On envisage tout », a affirmé Mme Plante.
Que les Montréalais paient pour les vidanges qui viennent d’autres municipalités, ce n’est pas acceptable.
La Ville n'est pas en mesure de dire combien SER a perçu en trop. « La somme totale est à valider, parce que le rapport est sorti vendredi passé, mais c'est beaucoup d’argent », a convenu Jean-François Parenteau en entrevue à Gravel le matin, sur les ondes d'ICI Première.
La Ville aurait même dû obtenir une ristourne de SER pour avoir réussi à réduire la quantité d'ordures qu'elle produisait. « Mais jamais on n’a réussi à avoir cette ristourne-là », a regretté M. Parenteau, expliquant que la quantité de déchets, gonflée par ceux qui venaient d’ailleurs, demeurait la même malgré les efforts de la municipalité.
Ainsi, pour les mêmes ordures, SER « récoltait l’argent de son contrat privé, mais en plus, les coûts étaient payés par les contribuables de la Ville de Montréal », a-t-il dit.
Jeremy Watt, un représentant de Waste Connections, la société mère de SER, a indiqué lundi qu'il réservait ses commentaires pour plus tard. « Nous étudions le rapport et nous réagirons en temps et lieu », a-t-il dit.