Le « vieillissement dans le vieillissement » : le nouveau défi de société

L'espérance de vie augmente dans le monde, et soulèvera de nouveaux enjeux sociaux d'ici peu.
Photo : iStock / Jodi Jacobson
Prenez note que cet article publié en 2018 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Depuis 200 ans, l'espérance de vie ne cesse d'augmenter un peu partout sur la planète. Les nations industrialisées ont vécu de grands bonds dès les débuts du 20e siècle, et elles sont aujourd'hui de plus en plus rattrapées par les pays en voie de développement. Ce rallongement de la vie humaine soulève de nouveaux questionnements sur la place des aînés dans la société et les investissements consacrés à la santé.
Un texte de Vincent Champagne
Sans surprise, ce sont les nations les plus riches qui connaissent les meilleurs résultats en ce qui a trait à l’espérance de vie. Les dix pays où l’on peut espérer vivre vieux s’échangent les premières places d’une année à l’autre.

L'espérance de vie ne cesse d'augmenter sur la planète, avec parfois quelques reculs ici et là, comme l'illustre cette carte au fil du temps.
Photo : Radio-Canada
Depuis 1960, l’ensemble des pays de la planète ont vu la limite moyenne de la vie humaine augmenter de 19,3 années.
En 2015, le Canada occupait le dixième rang des pays où l’espérance de vie était la plus élevée, avec un âge vénérable de 82,1 ans.
Espérance de vie : de quoi parle-t-on au juste?
L'espérance de vie représente le nombre d'années qu'une personne vivrait si elle était soumise tout au long de sa vie aux conditions de mortalité observées au cours de l'année courante. L'espérance de vie en 2018 ne représente pas la durée de vie moyenne qu'auront dans les faits les enfants nés en 2018, car cette durée dépendra de l'évolution future de la mortalité.
En six décennies, le Canada a connu une croissance de son espérance de vie de 11 ans.
Preuve du rattrapage qu'effectuent les pays en voie de développement, l’espérance de vie des Népalais, des Mongols, des Indonésiens ou encore des Bhoutanais d’aujourd’hui est environ celle des Canadiens de 1960, soit autour de 70 ans.
L'effet rattrapage : des hausses très fortes de l’espérance de vie
Parmi les pays dont les données existent depuis 1960, ce sont les habitants des Maldives qui sont les champions toute catégorie de la hausse de l’espérance de vie.
Si un ressortissant de ce pays pouvait espérer, il y a presque six décennies, vivre jusqu’à 37 ans, il peut aujourd’hui penser se rendre à 77 ans. C’est une amélioration de 40 ans de l’espérance de vie à la naissance.
Une dizaine de pays ont augmenté leur espérance de vie de plus d’une trentaine d’années depuis les années 60. Cela ne signifie pas que les citoyens de ces pays vivent maintenant très vieux – les Afghans ont une espérance de vie de 63,3 ans – mais ce sont ceux qui ont le plus progressé pendant cette période.
Ils ont connu dans la deuxième moitié du 20e siècle ce que les pays plus développés avaient connu des décennies plus tôt.
Les champions
Depuis 1980, les Japonais n’ont cédé la première place dans ce palmarès que cinq fois.
Ils partaient de loin : en 1960, ils étaient en 26e position, avec une espérance de vie de 67,7 années. Depuis, ils ont bondi de 16,1 ans.
Une amélioration des conditions de vie

Le virus de l'influenza s'adapte et mute constamment, ce qui rend la tâche de créer un vaccin universel ardue.
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Les raisons qui expliquent l’allongement de la vie humaine sont multiples, comme le rappelle la professeure au département de démographie de l’Université de Montréal Nadine Ouellette, mais elles débutent par le développement de la médecine moderne et l’amélioration de l’hygiène ambiante.
« Les pays qui sont aujourd’hui industrialisés, bien avancés, qui affichent les valeurs d’espérance de vie les plus élevées, faisaient face autrefois à un fardeau des maladies infectieuses et parasitaires qui était considérable, rappelle-t-elle. C’est cette lutte qui a d’abord permis de faire des gains importants en matière d’espérance de vie. »
Au départ, c’était le contrôle des épidémies, le contrôle de notre environnement au plan sanitaire. Au 19e siècle, on a essayé d’organiser la société de manière à avoir des conditions de vie beaucoup plus salubres.
L'invention des vaccins et des antibiotiques a d'abord permis de faire reculer significativement les décès. La science s’est ensuite attaquée à d'autres causes de décès, notamment les maladies cardiovasculaires, indique Mme Ouellette.
« C’est le début de ce qu’on a appelé la révolution cardiovasculaire, vers la fin des années 60, explique-t-elle. Ça a été très généralisé dans les pays industrialisés, et ça a donné un deuxième souffle à la progression de l’espérance de vie. »
Les pays en voie de développement ont eu accès beaucoup plus tard que d’autres aux mêmes soins de santé, pour des raisons économiques, mais aussi en raison des plus faibles niveaux d’éducation. C'est par l'éducation que les individus prennent conscience de leur rôle dans leur propre santé.
Un défi énorme pour la société

Un aîné à l'hôpital
Photo : Radio-Canada
Tous les progrès de la médecine ont mené à une situation que n’a jamais connue l’humanité. « On meurt de moins en moins avant l’âge de 75 ans », explique le démographe Jacques Légaré, professeur émérite au département de démographie de l’Université de Montréal. « C’est à 75 ans et plus et à 85 ans et plus que l’espérance de vie fait des progrès extraordinaires depuis le début du siècle. C’est un phénomène nouveau », dit-il.
D’après ses recherches, ce « vieillissement dans le vieillissement » s’explique par le fait que les dix principales causes de mortalité chez les personnes âgées, telles que les maladies cardiaques ou les cancers, sont toutes en diminution.
Attention toutefois à l’interprétation de ces indicateurs, nuance M. Légaré. « On peut vous faire survivre, ce qui paraît très bien pour l’espérance de vie, mais dans des conditions qui ne sont pas agréables en fin de vie », explique-t-il.
Autrement dit, les personnes âgées malades vivent plus longtemps… avec leur maladie.
Cela n’est pas sans soulever de nombreuses questions auxquelles la société devra répondre au cours des prochaines décennies, estime M. Légaré.
Ce qu’il faut regarder dorénavant, c’est l’indicateur d’espérance de vie en santé.
Faut-il privilégier la médecine curative, qui coûte cher, pour soigner la maladie de quelqu’un qui arrive dans la dernière phase de la vie? Faudrait-il plutôt investir ces mêmes frais en médecine préventive tout au long de la vie, afin d’éviter bon nombre de maladies?
« Les investissements doivent se faire en santé, non pas curative, mais surtout au niveau de la médecine préventive, c’est là que ça se passe, tranche Jacques Légaré. C’est là que, lorsqu’on investit, ça rapporte » dit-il.
Il faudra peut-être réorienter des budgets : la société sera confrontée à des choix importants. « Plusieurs de mes collègues et moi, on soutient l'importance de mourir en santé », dit M. Légaré.
Nous avons déjà, collectivement, fait un choix de santé préventive, rappelle Jacques Légaré, avec toutes les lois encadrant le tabagisme. C'est une cause de mortalité qui a grandement diminué, au fur et à mesure que les citoyens ont abandonné la cigarette.
C’est évident que c’est plus agréable de vivre plus longtemps, de connaître ses petits-enfants, ses arrière-petits-enfants, mais il y a un prix à payer pour cela. C’est la santé, au niveau individuel et collectif. Ce sont les dépenses de la santé, les budgets de l’état, les impôts des jeunes générations... Tout ça est en jeu.
Ce qui fait réduire l'espérance de vie : le cas syrien

Des Syriens éprouvant des difficultés respiratoires après des frappes du régime sont soignés dans une clinique de la Ghouta orientale.
Photo : Getty Images / AMER ALMOHIBANY
La guerre qui déchire la Syrie depuis 2011 a eu un effet direct sur l’espérance de vie. Des 194 pays pour lesquels nous avons des données, c’est le seul où l’espérance de vie a diminué depuis 2005.
Les Syriens ont perdu 4,2 années de vie potentielle au cours de cette décennie. L'espérance de vie y est maintenant de 70,3 ans.
À titre de comparaison, l’Afghanistan, qui a connu pendant la même période les talibans, l’invasion américaine et le terrorisme, a vu pour sa part son espérance de vie augmenter de 4,8 années.
L’Iraq a vu son espérance de vie augmenter de 1,3 année entre 2005 et 2015, après avoir connu une légère inflexion au début des années 2000, en raison de la guerre.
Le conflit israélo-palestinien se ressent aussi au chapitre de l’espérance de vie. Les Palestiniens connaissent aujourd’hui l’espérance de vie qu’avaient les Israéliens dans les années 60 et 70. Ils vivent près de dix ans de moins que les Israéliens.
L'Afrique subit de plein fouet le VIH/sida

Au Malawi, une patiente atteinte du VIH reçoit les médicaments de sa trithérapie.
Photo : Getty Images / Marco Longari
Il n'y a pas que la guerre qui contribue à diminuer l'espérance de vie. En Afrique australe, le VIH/sida a fait très mal.
Après une croissance continue de son espérance de vie au début des années 60, l'âge moyen de la mort a connu une baisse considérable dès le début de l'épidémie, et ce, pour une quinzaine d'années.
L'amélioration des traitements et leur plus grande accessibilité aura permis de stabiliser la situation, même si certains pays comme l'Afrique du Sud, le Zimbabwe et le Swaziland n'ont pas encore retrouvé l'espérance de vie qu'ils avaient avant l'épidémie.