Les Québécois consomment plus d’antidépresseurs que la moyenne canadienne

Il y a peu de preuves scientifiques que les antidépresseurs sont efficaces pour traiter l'insomnie, les douleurs ou les migraines.
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Selon des données obtenues par Radio-Canada, les Québécois ingèrent plus d'antidépresseurs que la moyenne des citoyens canadiens. L'Ordre des psychologues du Québec et l'Association des psychiatres du Québec craignent que cette situation ne s'explique notamment par une saturation du régime de santé québécois, conjugué à un accès facile à ces médicaments.
Un texte de Claudine Richard
Les données colligées par l’entreprise IQVIA, spécialisée dans l’étude de l’industrie du médicament, révèlent qu’un Québécois a consommé l’équivalent de 62 doses d'antidépresseurs en 2017. Cela place la province parmi les plus grands consommateurs d’antidépresseurs, après les provinces de l’Atlantique.
La méthodologie
Lorsqu'on compare les provinces, il faut prendre en considération la durée moyenne d’une ordonnance selon la province. Par exemple, au Québec, la durée moyenne d’une ordonnance est de 30 jours alors qu’en Ontario, elle peut être de 60 ou de 90 jours. Pour remédier à ce problème, IQVIA a effectué la comparaison à partir des « unités étendues ». L'unité étendue est la mesure la plus fiable pour effectuer des comparaisons par province à la suite de l’explication concernant la durée moyenne d’ordonnance qui varie par province.
Unité étendue : la plus petite unité mesurable d’un médicament selon la forme du produit (tablette, ml, gramme, etc.).
Alors que le gouvernement de Justin Trudeau se penche sur l'idée d'un régime pancanadien d’assurance médicaments, l'Ordre des psychologues du Québec sonne l'alarme. La médication n'est pas la solution à tous nos problèmes, surtout lorsqu'on parle de dépression, met en garde l’Ordre.
L’Association des psychiatres du Québec abonde dans le même sens en soutenant que le système québécois incite davantage la population à avaler des pilules plutôt qu'à suivre des psychothérapies.
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« On ne manque pas de psychologues au Québec. Ce qui manque, c’est l’accès gratuit à leurs services », affirme Christine Grou, présidente de l’Ordre des psychologues du Québec.
Celle-ci explique que les psychologues sont plus nombreux à pratiquer dans le secteur privé au Québec, dont les visites ne sont pas remboursées par le régime d’assurance maladie de la province.
Un accès aux antidépresseurs plus simple au Québec?
L’Association des médecins psychiatres du Québec et l’Association médicale du Québec attribuent en partie cette forte consommation d’antidépresseurs au régime provincial d’assurance médicaments, plus généreux au Québec qu’en Ontario.
Au Québec, la seule condition d'admissibilité au régime d’assurance médicaments de la province est de ne pas être couvert par un régime privé.
Pour l‘Association médicale du Québec, cette couverture publique a eu comme avantage de favoriser l’accès aux médicaments, mais comporte certains désavantages.
« Ça a peut-être un effet pervers de banaliser la consommation des médicaments comme les antidépresseurs », estime la Dre Yun Jen, présidente sortante l'Association médicale du Québec.
À titre de comparaison, en Ontario, quelques conditions s’appliquent pour obtenir gratuitement des antidépresseurs avec le programme de médicaments de cette province.
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De plus, les médicaments d'ordonnance pour les moins de 25 ans sont seulement devenus gratuits cette année en Ontario. Les données obtenues par Radio-Canada concernent uniquement l'année 2017.
Des médecins débordés?
De l’aveu de l’Association médicale du Québec, les médecins de famille seraient débordés et auraient la gâchette facile lorsque vient le moment de prescrire des antidépresseurs à leurs patients.
« Les médecins sont sous pression de voir de plus en plus de patients. Les visites médicales sont de plus en plus courtes, ce qui ne favorise pas une approche globale dans le traitement de la dépression », affirme la présidente sortante, la Dre Jen.
Le psychiatre Tin Ngo-Minh, du Centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) de l’Outaouais, est du même avis. Il craint que cela mène les patients à contourner leurs problèmes.
« Si on tombe dans ce piège-là, de penser qu'une pilule va changer une situation psychosociale, c'est faire de l'évitement », s’inquiète-t-il.
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De son côté, l’Association des médecins omnipraticiens de l’ouest du Québec n’est pas prête à parler de surprescription ou de prescription rapide, et ce, malgré la forte pression qui repose sur les épaules des médecins québécois.
« Nous, on nous enseigne que si on veut que les gens guérissent rapidement, il faut traiter rapidement. Il ne faut pas attendre un an », souligne Marcel Guilbault, président de l'Association des médecins omnipraticiens de l’ouest du Québec.
Le Dr Guilbault précise que les patients qui arrivent dans son bureau ont souvent essayé d’autres remèdes avant les médicaments.
Une consommation marquée chez les personnes âgées
Le vieillissement de la population pourrait aussi expliquer cette consommation d’antidépresseurs plus accrue dans les provinces de l’Atlantique et au Québec, où la proportion de personnes âgées est plus importante qu’ailleurs au pays.
Selon les données obtenues par Radio-Canada, un Ontarien consomme en moyenne 12 capsules d’antidépresseurs de moins qu’un Québécois par année.
La psychologue et conférencière Suzanne Filion, qui pratique dans l’est de l’Ontario, note que le nombre de personnes âgées est plus élevé au Québec qu’en Ontario. « Ça nous donne une différence de 800 000 à 815 000 personnes âgées de 65 ans et plus », soutient-elle.
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Cet autre facteur peut, selon elle, influencer la consommation d'antidépresseurs dans les provinces canadiennes marquées par un vieillissement plus élevé que la moyenne.
La psychologue ajoute que les antidépresseurs peuvent être utilisés à d’autres fins que la dépression, à titre d’antidouleurs, par exemple.
Des leçons pour un régime médicaments pancanadien
La Dre Suzanne Filion s’explique mal pourquoi le Québec consomme plus d’antidépresseurs que certaines provinces.
« Si on veut bien comprendre, il faudrait comprendre ce qui se passe au niveau du climat politique, économique, accessibilité à un emploi, etc. », dit-elle.
« Indépendamment des conclusions solides qu’on peut en tirer, c’est un phénomène auquel il faut s'intéresser », indique pour sa part le Dr Guillaume Barbès-Morin, de l’Association des médecins psychiatres du Québec.
La présidente de l’Ordre des psychologues, Christine Grou, ajoute qu’« il faut se donner les moyens d’une pratique de qualité », en incluant les visites chez le psychologue dans la couverture du régime pancanadien que songe à mettre en place le gouvernement fédéral.