Entente entre Québec et la FMSQ : malaise palpable chez les médecins

Le Dr Hugo Viens, président de l'Association médicale du Québec
Photo : Radio-Canada
Prenez note que cet article publié en 2018 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Pendant que la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ) accuse les médias de véhiculer de fausses nouvelles concernant l'entente conclue avec le gouvernement, plusieurs de ses membres ressentent un profond malaise à propos des hausses salariales prévues.
Un texte de Yannick Donahue
Le Dr Hugo Viens, président de l'Association médicale du Québec, estime que les médecins spécialistes québécois ont comblé l'important fossé salarial qui existait avec leurs collègues du reste du Canada.
Il croit que cette hausse crée un inconfort chez ses collègues. « Il y a un malaise palpable », admet-il.
Il explique ce malaise en partie par le « contexte du contrat social ». Il rappelle qu'au moment où les ententes ont été signées en 2008 entre Gaétan Barrette, président de la FMSQ à l’époque, et Philippe Couillard, ministre de la Santé et des Services sociaux, « il n’y a pas eu de tollé important de la part de la population québécoise sur l'obtention de la parité canadienne ».
Toutefois, les augmentations de la nouvelle entente viennent s’ajouter aux hausses déjà obtenues, ce qui suscite cette fois de l’indignation au sein de la société.
Ces hausses de 11,2 % étalées sur huit ans lui semblent « importantes », même si la moitié de cette somme est due à des ententes passées.
On avait l’impression qu’il y avait un certain confort de la communauté médicale sur la rémunération.
Néanmoins, le récent cri du cœur des infirmières a aussi pesé dans la balance en laissant émerger un sentiment d'injustice.
« On a vu la situation des infirmières qui a été décriée aussi, le ratio patients-infirmière. Tout cela dans le contexte où on annonce encore une augmentation substantielle de la rémunération. Je pense que ça explique le malaise actuel qui est partagé par beaucoup de mes collègues », considère Hugo Viens.

Le chirurgien orthopédiste Julio Fernandes.
Photo : Radio-Canada
Réaction sociale
Pour sa part, le chirurgien orthopédiste Julio Fernandes n’est pas étonné de la réaction sociale.
« Trop, c'est comme pas assez à un moment donné. Je fais partie de ceux qui disent "est-ce qu'on peut réorganiser les services?". Mais payer deux ou trois fois plus pour poser les mêmes gestes sans qu'il y ait une répercussion importante dans les soins aux malades… C'est un choix de société qu'on fait. Mais il va y avoir sûrement, à un moment donné, un point de rupture avec la société. La société va nous dire "écoutez, franchement, ça n’a pas d’allure". »
Celui qui est également professeur à la Faculté de médecine de l’Université de Montréal reconnaît qu’il y a déjà eu un écart important à rattraper concernant le salaire des spécialistes, mais que cet écart a été comblé. Ainsi, il ne s’attendait pas à recevoir plus d’argent de la part du gouvernement Couillard.
Si on regarde l'argent qu'on fait dans la société dans laquelle on vit, on est assez bien payés, merci. On est payés au niveau d'un PDG de compagnie. C’est ça la réalité.
L'orthopédiste constate que les sentiments des spécialistes sont partagés.
« Il y a eu vraiment un silence assez révélateur. Personne n’a crié victoire », souligne-t-il.

Le ministre de la Santé, Gaétan Barrette, a annoncé vendredi un investissement de 23,25 millions afin de mettre la main sur 350 places de ressources intermédiaires et d’hébergement additionnelles dans la grande région de Montréal.
Photo : Radio-Canada
Manque de respect
Les propos de ces deux médecins rejoignent la position défendue par le groupe Médecins québécois pour le régime public (MQRP).
Le vice-président de MQRP, le Dr Éric Tremblay, est sorti récemment sur la place publique et dans les médias pour dénoncer la hausse de 500 millions de dollars de la rémunération des médecins spécialistes. Le groupe de médecins qualifie la hausse supplémentaire « d'indécente dans un contexte où il manque de fonds dans tellement de secteurs du système de santé ».
« Avec l’annonce de cette hausse pas plus tard qu’une semaine après la sortie des infirmières à propos de leurs conditions de travail, MQRP dénonce plus particulièrement le manque de respect du gouvernement à leur égard. Il semble y avoir deux poids deux mesures dans la façon dont on négocie la rémunération salariale des professionnels de la santé », peut-on lire sur son blogue.
Le MQRP, qui se distancie de l'entente entre Québec et les médecins spécialistes, indique qu’il « ne représente pas nécessairement l'opinion de la majorité des médecins ».
De plus, le groupe critique le « manque de transparence dans le processus de négociation et autour des détails de l’entente » qu’il juge d'ailleurs « très préoccupants ».

Une équipe médicale effectue une opération sur un patient.
Photo : Radio-Canada
Réorganisation du travail
Le Dr Julio Fernandes pense que les futures hausses de la rémunération des spécialistes auraient pu servir aux autres professionnels ou à réorganiser les services.
« Où sont les infirmières cliniciennes, où sont les cliniques d’infirmières, où sont les physiothérapeutes cliniciens, où sont les sages-femmes, où est-ce qu’ils sont? » demande-t-il.
Selon le Dr Fernandes, le réseau de la santé et des services sociaux doit revoir ses pratiques. « Il faut qu’on s’assoie un peu. Peut-être qu’il y a plus d’argent qui devrait aller dans les façons de faire pour qu’on puisse gagner en qualité de soins autrement et d’accessibilité [aux] soins. Je crois foncièrement à ça », déclare-t-il.
Le Dr Hugo Viens pense aussi que le gouvernement devrait mettre l’accent sur une réforme du partage des tâches.
On doit travailler à la réorganisation du travail plus qu’à la négociation d’ententes salariales avec la communauté médicale.
Il estime que les 500 millions de dollars consentis par Québec ne vont pas à la bonne place.
« Je pense que l'ensemble de l’enveloppe pourrait être utilisée différemment. Disons qu’on pourrait partir du constat actuel, mais surtout ne pas reproduire la même dynamique relationnelle dans les prochaines années et construire quelque chose de plus productif pour le système de santé. »

La présidente de la Fédération des médecins spécialistes du Québec, Diane Francoeur, répond aux questions des journalistes lors d'une conférence de presse le 20 décembre 2017.
Photo : Radio-Canada
Une seule erreur
La FMSQ affirme d'ailleurs que l'entente, qui reste à être dévoilée, comprend plusieurs mesures pour améliorer les services aux patients.
La FMSQ ne donne pas d'entrevue pour l'instant. La Dre Francoeur a indiqué que sa priorité consiste à « conclure le dossier » et défend sa décision de ne faire « aucun commentaire public tant et aussi longtemps que l’entente n’aura pas été signée ».
Néanmoins, Mme Francoeur a pris la parole en écrivant une note de cinq pages acheminée aux quelque 10 000 membres de sa fédération.
Dans la lettre, dont Radio-Canada a obtenu copie, la présidente rappelle aux spécialistes qu'ils ont accepté d'étaler les hausses pour contribuer à assainir les finances publiques.
« Si nous avons fait une erreur, elle aura été de proposer d’étaler sur 10 ans le rattrapage qui nous a été consenti études à l’appui », a-t-elle écrit.
Une mauvaise stratégie
Louis Aucoin, stratège en communication et gestion de crise chez Tesla RP, comprend mal la stratégie du silence choisie par la FMSQ, surtout quand ses membres ont conclu une entente d’une telle ampleur.
Selon Louis Aucoin, ce silence de la FMSQ pose d’abord un problème pour les médecins spécialistes qui doivent chacun de leur côté défendre et expliquer l’entente quotidiennement auprès du public.
« À la FMSQ, on a un esprit de siège en ce moment. Comme le démontre la note qui a été préparée par la FMSQ, tout le monde semble être contre eux [...]. Les politiciens sont contre l’entente, les médias sont contre l’entente, les contribuables sont contre l’entente; il y a seulement les médecins spécialistes qui ont raison », a affirmé le stratège en communication à l'émission 24/60 sur les ondes d'ICI RDI.
Un autre problème signalé par Louis Aucoin est que la FMSQ laisse la responsabilité entière au gouvernement du Québec, son partenaire dans ce dossier, d’expliquer cette entente aux citoyens du Québec.
« La nature a horreur du vide et c’est sûr que le mal est fait. […] Quand on voit les médecins obtenir de telles augmentations, avec des revenus largement supérieurs au revenu moyen dans certains cas, on ne peut pas penser que la population va accepter ça facilement. Il faut que la fédération défende cette entente-là, si effectivement, comme le prétend la fédération, c’est une entente valide », a déclaré le spécialiste en gestion de crise sur le plateau de 24/60.
Avec les informations de Davide Gentile