Rue Sainte-Catherine : quel prix pour la revitalisation?

Des travaux rue Sainte-Catherine, à Montréal
Photo : Radio-Canada / Frank Desoer
Au moment où d'importants travaux de réfection des infrastructures souterraines d'une durée de quatre ans viennent de commencer rue Sainte-Catherine, à Montréal, de nombreux commerçants s'interrogent sur leur avenir : pourront-ils survivre à l'épreuve des chantiers?
Un reportage de Frank Desoer
Mathieu Malouin est propriétaire du bar Piranha et du Frite Alors! McGill, deux établissements situés dans l’un des secteurs les plus achalandés de la rue Sainte-Catherine à Montréal. Juste en face, un important chantier est en cours depuis un mois, ce qui a engendré une baisse de 30 % de son chiffre d’affaires par rapport à la même période l’an dernier.
« Est-ce qu’on va pouvoir être dédommagé? Est-ce qu’ils vont arrêter de nous taxer? Les taxes municipales, dit-il, représentent un tiers du loyer, c’est énorme! »
D’autres chantiers majeurs, ces dernières années, ont eu des effets désastreux pour les commerçants. À l’évidence, beaucoup d’établissements du boulevard Saint-Laurent et de la rue Saint-Denis ne se sont toujours pas remis des travaux qui y ont été effectués. C’est le cas aussi de la rue Bishop, au centre-ville de Montréal. Depuis plus d’un an, un immense chantier y a été établi par la Société de transport de Montréal pour construire un poste de ventilation souterrain pour le métro.
Les travaux doivent durer trois ans et demi, ce qui est considérable comparativement à la construction de l’ensemble du réseau initial du métro, au début des années 1960, qui a pris cinq ans. En raison de l’impact du chantier, cinq restaurants ont déjà dû fermer leurs portes dont le Mesa 14, un restaurant mexicain qui y avait pignon sur rue depuis 13 ans.
« On nous a annoncé le début des travaux avec seulement deux mois de préavis. Au bout de 14 mois, après une baisse de 30 % du chiffre d’affaires, j’ai dû me résoudre à déclarer faillite », se désole Mike Cloghezy, ancien propriétaire du restaurant.
Des promesses d’indemnisation
Pour minimiser l’effet délétère des chantiers, la mairesse de Montréal, Valérie Plante, s’était engagée formellement en campagne électorale à indemniser substantiellement les commerçants touchés sous forme de congés de taxes ou de subventions.
Elle se référait à cet égard au modèle mis en place à Bruxelles, en Belgique, où les indemnités sont calculées selon le degré d’impact causé par les travaux et peuvent se chiffrer à plusieurs milliers de dollars. S’il fallait appliquer cette formule-là au cas des centaines de commerçants de la rue Sainte-Catherine, la facture pourrait s’avérer très salée pour la Ville, déjà en proie à des difficultés budgétaires.
D’ailleurs, le responsable du développement économique au comité exécutif de la Ville de Montréal, Robert Beaudry, est aujourd'hui très prudent à ce sujet. D’ici le début de l’été, il présentera un « Plan commerce » et dit ne pas avoir encore décidé quelle forme prendront les compensations qui seront possiblement offertes aux commerçants.
« Le remède n’a pas encore été défini, explique-t-il. Est-ce que ce sera une subvention, un allégement fiscal? Nous retiendrons, après consultation des partenaires, la formule qui aura le plus d’effets directs pour les commerçants. »
Vers une revitalisation à long terme
Depuis plus de 20 ans, la rue Sainte-Catherine connaît, comme plusieurs autres grandes artères commerciales, un déclin relatif. Menacée à la fois par la concurrence des centres commerciaux en banlieue et l’essor des achats sur Internet, elle vit des moments difficiles.
Au cours des deux dernières décennies, la part des achats effectués au centre-ville dans l’ensemble de la région montréalaise est passée de 17 à 10 %. Pour survivre à long terme, la rue Sainte-Catherine devra présenter une offre commerciale distinctive et répondre aux besoins changeants des consommateurs toujours avides de nouveautés.
Pour Jacques Nantel, professeur à HEC Montréal, la clé réside dans la mixité et la flexibilité. On devrait assister au centre-ville au déclin des grandes surfaces et à l’émergence de plus petits établissements avec un inventaire restreint, les « magasins-vitrines » ou « pop-up stores », où l’on pourra essayer des produits et se les faire ensuite livrer à son domicile.
Une rue Sainte-Catherine revitalisée devra aussi offrir une trame urbaine plus attrayante. Certaines grandes villes comme Bruxelles ont entrepris la piétonnisation de leurs principales artères commerciales.
Le ministre bruxellois de la Mobilité et des Travaux publics, Pascal Smet, admet que cela s’est fait en dépit, au début, de la grogne des commerçants.
« La seule manière pour une rue comme Sainte-Catherine de survivre, c’est de rendre l’espace public beaucoup plus agréable, estime le ministre Smet. Les gens n’aiment pas se promener entre les voitures. Mais je vous donne un conseil : ne faites pas de tests ou d’essais. Faites la piétonnisation immédiatement et après, ça va passer. »
Très prochainement, le responsable des grands projets au comité exécutif de la Ville de Montréal, Luc Ferrandez, pourrait bien s’inspirer de cet exemple. Il doit présenter son plan de revitalisation pour la rue Sainte-Catherine, lequel pourrait prévoir l’élimination de la circulation automobile et du stationnement dans la rue, l’élargissement des trottoirs [non chauffants] à 7 mètres de part et d’autre, l’aménagement de nouvelles places publiques et la piétonnisation de l’avenue McGill College entre le mont Royal et la Place-Ville-Marie.
« Ça prend des gestes ambitieux et ce qu’on prévoit faire le sera. Notre projet sera d’une ampleur et d’une finesse qui permettront d’attirer tous les Montréalais, les Québécois et les touristes au centre-ville de Montréal », avance M. Ferrandez.