Une chaîne de restauration rapide coréenne transformée en coopérative
Un des nombreux plats au menu de Noodles Tree
Photo : Radio-Canada / Michel Labrecque
Imaginez que le siège social de McDonald's ou de Tim Hortons se transforme en coopérative de travailleurs. Ça peut paraître surprenant. C'est pourtant arrivé chez Happy Bridge, une société coréenne de restauration rapide.
Un texte de Michel Labrecque, de Désautels le dimanche
Dans un restaurant Noodles Tree de Séoul, la métropole de la Corée du Sud, on sert toutes sortes de nouilles, avec toutes sortes de sauces plus ou moins épicées. Il y a 510 restaurants franchisés Noodles Tree en Corée. « Une entreprise très rentable », affirme Laurence Kwark, la directrice générale du Forum mondial de l’économie sociale, à Séoul.
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J’ai rencontré Mme Kwark pour la première fois à Montréal, lors du Forum mondial de l’économie sociale. Elle m’avait raconté cette histoire. Je m’étais dit que si j’allais un jour en reportage en Corée du Sud, j’essaierais de la raconter. J’ai donc retrouvé Mme Kwark en juin dernier, dans un restaurant Noodles Tree.
Pour comprendre ce qui est arrivé, il faut se rendre au quartier général de la compagnie mère, qui porte le joli nom de Happy Bridge, pour rencontrer In Chang Song, un des cinq fondateurs de l’entreprise.
Je l'avoue, ma première question a été : « transformer une entreprise capitaliste en coopérative, êtes-vous fou? » Il a éclaté de rire et l’atmosphère s’est détendue. Il faut dire qu’In Chang Song est un Sud-Coréen anticonformiste, doublé d’un ancien contestataire étudiant de la fin des années 80, une époque charnière dans l’histoire du pays qui a mis fin à la dictature de Park Chung-hee.
In Chang Song et ses partenaires ont toujours gardé un goût de changer le monde. Puis, un jour, l’idée de transformer cette entreprise capitaliste traditionnelle en coopérative de travailleurs a surgi. Il aura fallu 15 ans avant que le rêve ne devienne réalité.
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Mais il y a eu beaucoup d’obstacles à franchir. Le premier, c’est qu’aucune loi en Corée du Sud ne permettait l’établissement de coopératives. Et le second est venu des employés.
« En fait, nous étions un peu inquiets, racontent Hyung Jun et Hwang U Lee, membres de la coopérative. On nous demandait d’investir dans l’entreprise. Plusieurs employés se disaient même : "les propriétaires veulent nous voler de l’argent". »
In Chang Song et ses associés ont donc dû faire beaucoup d’éducation. Et quand tout le monde a compris que chaque employé devenait propriétaire, avec un droit de vote égal à celui des propriétaires sur toutes les décisions et le partage des profits, l’immense majorité a accepté de se lancer dans l’aventure.
Petite précision ici : Happy Bridge est une coopérative de travailleurs, ce qui est très différent de coopératives comme Desjardins, qui est une coopérative d’usagers. Dans une coopérative de travailleurs, ce sont les employés qui partagent les profits et les responsabilités.
Autre précision : c’est la compagnie mère, qui compte 81 employés, qui a le statut de coopérative. Les 510 restaurants affiliés n’en font pas partie, parce que tous les franchisés ne sont pas d’accord et que la structure de l’entreprise est trop complexe, selon ce qu’on m’a expliqué.
Mais Liu Byong Yun, le propriétaire du restaurant que j’ai visité à Séoul, est membre de la coopérative. Il n’a que du bien à dire de ce modèle de travail, qui est particulièrement innovateur dans une société comme la Corée du Sud, où la hiérarchie occupe une place très importante.
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Congédié
« Nous pouvons choisir nos dirigeants et les congédier s’ils ne font pas un bon travail », ajoute Liu Byong Yun. Difficile de penser à ça dans une entreprise capitaliste normale.
Mais c'est arrivé! La coopérative a décidé qu'In Chang Song n’était pas un bon PDG. Il est devenu responsable d’un Institut qui vise à promouvoir le modèle coopératif en Corée du Sud. Parce que l’économie sociale, bien connue au Québec, occupe une place de plus en plus grande au « pays du matin calme ».
Pour Laurence Kwark, qui dirige une organisation internationale d’économie sociale, « Happy Bridge prouve qu’on peut à la fois gagner de l’argent et appliquer des valeurs de solidarité ».
Mais Happy Bridge reste une goutte d’eau dans l’océan des Samsung, Hyundai et compagnie.
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