Le Canada octroie 3,1 M$ pour lutter contre l'usage d'enfants-soldats au Soudan du Sud

Roméo Dallaire à Halifax le 12 février 2018.
Photo : Radio-Canada / Peter Dawson
Prenez note que cet article publié en 2018 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Le général à la retraite Roméo Dallaire poursuit son travail pour mettre fin à l'utilisation d'enfants dans les conflits armés, et son organisation pourra déployer de nouveaux efforts au Soudan du Sud.
Le gouvernement du Canada a profité de la Journée internationale contre l'utilisation des enfants-soldats, lundi, pour annoncer l’octroi de 3,1 millions de dollars à l’Initiative des enfants-soldats de Roméo Dallaire, ainsi qu’à l’Université Dalhousie, à Halifax, où est basé ce partenariat international.
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Le premier signe avant-coureur d'un génocide
Combattre l’utilisation des enfants-soldats, au Soudan du Sud ou ailleurs dans le monde, est indissociable d’un processus qui mènera à une paix durable, croit Roméo Dallaire.
Recruter des enfants-soldats pour faire des guerres civiles est le premier signe avant-coureur que cette guerre-là peut dégénérer en atrocités de masse et en génocide.
« En utilisant des enfants qui viennent à connaître seulement ces atrocités, ces abus, il devient très difficile pour eux de se réadapter à une société normale. » Ceci, explique l’ancien sénateur, jette les assises de conflits qui peuvent se perpétuer à travers plusieurs générations.
Un travail sur le terrain dans les pays en guerre
Depuis le début de la guerre civile au Soudan du Sud, en 2013, 19 000 enfants ont été recrutés pour des combats dans ce pays. Ces jeunes n’ont souvent même pas 13 ans.
« Les enfants-soldats ont toujours été un gros joueur au Sud-Soudan », déplore M. Dallaire. La population du pays est jeune, et les enfants y sont enrôlés de force.
Toutes les factions impliquées dans le conflit utilisent des enfants-soldats, ajoute-t-il.

Quelque 300 enfants-soldats, dont 87 filles, sont libérés à Yambio, au Soudan du Sud, le 7 février 2018.
Photo : Stefanie Glinski/AFP/Getty Images
Des formations sur le terrain
Au moins 700 soldats et 80 formateurs recevront une formation au Soudan du Sud. Le projet doit en outre permettre d’élaborer des mesures de protection de l’enfance qui tiennent compte des besoins distincts des filles et des garçons.
« Tout est axé sur le terrain », dit M. Dallaire. « On va dans les pays qui sont encore en conflit. »
« Nous entraînons non seulement les forces nationales dans le pays, mais aussi les forces internationales » qui y sont déployées, explique-t-il.
Les formations visent entre autres à enseigner aux forces locales à « faire face à des enfants soldats, comment les neutraliser, sans nécessairement les tuer ».
Inculquer une « philosophie complètement différente »
Aux prises pour la première fois avec la question des enfants-soldats dans les années 1990, alors qu’il dirigeait les forces de l’ONU au Rwanda, Roméo Dallaire n’a pu que constater que les troupes étaient mal outillées pour réagir à cette réalité. Il y a en ce moment 7 pays et 51 groupes non étatiques qui utilisent des enfants à des fins guerrières dans le monde, explique l’ancien général, qui a fondé son Initiative des enfants-soldats en 2007.
La prévention du recrutement des enfants-soldats occupe une large part des efforts de l’organisation, et cela passe par le dialogue avec les acteurs locaux. « Notre objectif est d’inculquer en eux une philosophie complètement différente », explique M. Dallaire.
Les approches sont adaptées selon le pays, ses particularités et la teneur des conflits qui y ont éclaté. Les formations peuvent répondre aux besoins « d’un soldat illettré jusqu’aux commandants », dit-il.

Quelque 300 enfants-soldats, dont 87 filles, sont libérés à Yambio, au Soudan du Sud, le 7 février 2018.
Photo : Stefanie Glinski/AFP/Getty Images
En ce qui concerne les enfants, il faut, explique M. Dallaire, leur donner « la capacité de reconnaître les risques » pour compliquer les efforts de ceux qui voient un intérêt à les enrôler.
Dans les pays où le système scolaire existe, l’école est un bon point de départ pour entreprendre ce travail. L’organisation forme ce qu’elle appelle des « clubs de paix », qui poursuivent hors de l’école le travail de sensibilisation.
« Au Soudan du Sud, le système scolaire est en décrépitude », indique M. Dallaire. Mais des groupes communautaires existent, et l’organisation compte en faire des alliés.
Des résultats
Les efforts déployés par l’Initiative donnent des résultats. Lors de l’éclosion d’Ebola en 2014 en Sierra Leone, un pays où l'organisation de M. Dallaire a travaillé, beaucoup d’enfants ont été abandonnés. Alors que quelques années plus tôt ils les auraient fort probablement ignorés, M. Dallaire explique que les forces de l’ordre ont recueilli ces enfants et leur ont ouvert une école.
« Ça devient une seconde nature », se réjouit-il.
L’aide financière que vient d’octroyer le gouvernement canadien permettra à l'organisation de Roméo Dallaire de retourner au Soudan du Sud et de se mettre au travail immédiatement.
« On est prêts, on sera au Soudan en avril », lance M. Dallaire.
Il explique le travail de reconnaissance déjà effectué dans le pays.
« On n’est pas rentrés là en accusant l’armée » d’utiliser des enfants-soldats, dit-il. « On est rentrés, nous autres, et on a dit :"Qu’est-ce que vous faites quand vous faites face à des enfants-soldats dans les forces de l’opposition?" Alors, on n’a pas mentionné qu’eux autres en avaient ».
Une fois les acteurs du conflit abordés de cette façon et le dialogue instigué, « les lumières se sont allumées », dit-il, si bien qu’à la fin des discussions, « on parlait de leurs enfants-soldats ».
Un long travail
La mission de l’Initiative des enfants-soldats de Roméo Dallaire en est une de longue haleine. S’impliquer dans le processus de paix où des conflits font rage peut prendre de six à huit ans, estime l’ancien sénateur, contre trois ou quatre ans pour un pays qui n’est pas en guerre.
Le projet au Soudan du Sud durera au moins trois ans, estime M. Dallaire, le temps de pouvoir procéder à une juste évaluation des efforts.

Roméo Dallaire à Halifax le 12 février 2018.
Photo : Radio-Canada / Peter Dawson
« Aucune armée professionnelle ne peut se dire professionnelle » si elle utilise les enfants, croit Roméo Dallaire. Il y a là, selon lui, « quelque chose de fondamentalement pervers ».
« C’est un signe, selon moi, que les adultes n’ont pas le courage de vouloir défendre ce qu’ils croient », lance-t-il.
« Nous croyons avec ferveur qu’en ciblant les enfants et en les enlevant de la guerre, ça va forcer les adultes à prendre des décisions. »
Avec les renseignements de Nahila Bendali.