Du pétrole solide ultra-sécuritaire à transporter?

Le pétrole solide que l'entrepreneur Cal Broder veut mettre sur le marché.
Photo : Cal Broder/BFH Corp
Prenez note que cet article publié en 2018 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Des entreprises canadiennes, dont le CN, pensent avoir trouvé une façon beaucoup plus sécuritaire d'acheminer du pétrole albertain vers les marchés : en le transportant par train de manière solide.
Un texte de Laurence Martin
Marcher sur du pétrole. L’expérience peut sembler très désagréable, mais dans l’entrepôt de Cal Broder, situé près d’Edmonton, elle a plutôt quelque chose de réjouissant.
L’entrepreneur albertain cherche depuis des années à compacter le pétrole des sables bitumineux en gros blocs solides.
Sa recette? Il chauffe le pétrole pour que les hydrocarbures les plus légers s’évaporent. Quand le produit refroidit, il épaissit et prend l’apparence d’une plaque de beurre.
Le gros avantage, avec un produit solide, c'est qu'en cas d'accident il ne coule pas dans la nature. Et dans l’eau, il flotte.
C’est sur ces « plaques » ou ces « briques » que Cal Broder peut tenir debout. Il espère maintenant les insérer dans des conteneurs pour les envoyer par train ou par bateau.
Si les investisseurs s'intéressent à ce produit, les premiers blocs de bitume pourraient être expédiés en Asie d’ici six mois.

Cal Broder a développé une technique pour solidifier le pétrole albertain en briques, avant de le reliquéfier, une fois à destination.
Photo : Radio-Canada / Laurence Martin
Au point d'arrivée, les blocs redeviennent liquides, grâce à un processus électrique breveté que Cal Broder a mis au point.
Et il n’est pas le seul à miser sur le pétrole solide. Le CN, par exemple, vient de lancer un projet pilote pour transporter des briques de bitume par rail.
La clé : enlever le diluant

Les briques CanaPux du CN : le bitume est mélangé à du polymère pour créer un produit solide.
Photo : CN
Le pétrole solide a un autre très gros avantage : comme il ne contient pas de diluant, les risques d’explosion sont minimes.
Le diluant, c’est un liquide très léger, combustible, qu’on mélange au bitume pour qu’il coule facilement dans les tuyaux des pipelines. Sans lui, le pétrole n’arriverait jamais à destination.
On retrouve aussi ce diluant dans la plupart des trains qui transportent du pétrole albertain sous forme liquide.

L'entreprise Altex Energy est l'une des seules au Canada à transporter du pétrole des sables bitumineux à l'état brut, sans diluant. Une technique qui permet de réduire les risques d'explosion en cas d'accident.
Photo : Radio-Canada / Emilio Avalos
Le hic, c'est qu'en cas de déraillement ou d'accident un produit dilué a bien plus de risques de s'enflammer.
Sachant que le défaut principal du transport par train, c'est la sécurité des gens le long des voies, si on transporte le pétrole non dilué, il devient presque inoffensif.
Et les coûts?

Le pipeline est souvent considéré moins cher et plus sécuritaire que le train.
Photo : Reuters / Todd Korol
Dans l’industrie, on dit toujours que le transport par pipeline coûte moins cher que par train. C’est vrai si on transporte du pétrole liquide, dilué, affirme Cal Broder. « Par contre, pour du pétrole solide, ce n’est pas le cas. »
D’abord, parce qu'on n’a pas à acheter de diluant, un produit qui peut coûter aussi cher que le bitume lui-même. Et puis, quand on enlève les 30 % de diluant, le pétrole devient beaucoup plus concentré. Donc, on peut en mettre une plus grande quantité dans un wagon ou un conteneur.
Le reportage de Laurence Martin sera diffusé au Téléjournal avec Céline Galipeau à 22 h, lundi, sur ICI Radio-Canada Télé.
Pas une solution miracle

L'envoi de blocs de bitume vers l'Asie pourrait être compliqué par le moratoire sur les pétroliers le long de la côte nord de la Colombie-Britannique.
Photo : Reuters / Chris Helgren
Le transport de pétrole solide a beau avoir des avantages, il ne faut pas croire que les briques de bitume vont révolutionner l’industrie du jour au lendemain.
Pour être solidifié, le pétrole doit être lourd à la base. C'est le cas de 73 % du pétrole qui est produit au Canada, entre autres dans les sables bitumineux.
Par contre, dans l’est du pays, le Québec et le Nouveau-Brunswick raffinent surtout du pétrole léger, comme celui qui a brûlé à Lac-Mégantic. Ce pétrole, qui venait des États-Unis, n’était pas assez lourd au départ pour être transformé en blocs solides. L’accident ferroviaire de 2013 n’aurait donc pas pu être évité avec cette technologie.
Le moratoire en Colombie-Britannique
Un autre obstacle à l’exportation du pétrole solide pourrait être le moratoire, proposé par Ottawa, qui empêcherait les pétroliers de circuler le long de la côte nord de la Colombie-Britannique. Cal Broder, par exemple, souhaite acheminer par train ses blocs de bitume jusqu’au port de Prince-Rupert, avant de les envoyer en Asie par bateau. On ne peut pas dire avec certitude si le gouvernement fédéral exempterait le bitume solide du moratoire.
Et puis l’autre grande limite, c’est le réseau de train.
« Le train est un nain comparativement au pipeline, qui est un géant », explique le directeur principal d’Équiterre, Steven Guilbeault. La très grande majorité du pétrole qui est transporté au Canada, ou qui est exporté vers les États-Unis, est acheminé dans des oléoducs.
On aurait beau vouloir prendre tous les hydrocarbures qu'on transporte par pipeline et les mettre sur des rails, on n'y arriverait pas. La capacité n'est pas là.
Le train garde ses limitations. Sur les rails, on peut faire passer un nombre fini de wagons.
Alors, une solution miracle, le pétrole solide? Non. Mais quand on sait que, chaque jour, des wagons remplis de pétrole traversent des communautés un peu partout au pays, autant qu'ils le fassent de manière sécuritaire.
Avec la collaboration de Thomas Gerbet