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Et maintenant, pour poursuivre la lutte contre les agressions sexuelles

Silhouette d'une jeune femme triste

Silhouette d'une jeune femme triste

Photo : iStock

Radio-Canada
Prenez note que cet article publié en 2018 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.

Et maintenant? Il y a eu les dénonciations du mouvement #MoiAussi, et le contrecoup avec la lettre de l'actrice Catherine Deneuve et d'autres personnalités françaises qui défendaient le « droit d'importuner » des hommes. Une centaine de féministes québécoises invitent maintenant la population à poursuivre la lutte contre les agressions sexuelles avec une nouvelle initiative.

Un texte d'Hugo Prévost

En entrevue à Gravel le matin, sur les ondes d'ICI Radio-Canada Première, deux des cofondatrices de ce nouveau mouvement baptisé « Et maintenant », la chroniqueuse Aurélie Lanctôt et l'ex-députée de Québec solidaire Françoise David, estiment qu'il est nécessaire de ne pas laisser cette vague de dénonciations d'agressions et cette prise de conscience des comportements déplacés perdre son élan.

La semaine dernière, l'actrice française Catherine Deneuve signait une tribune publiée dans le journal Le Monde, où elle affirmait entre autres que la vague de dénonciations déclenchée par le mouvement #MoiAussi équivalait à une invitation au « lynchage médiatique » des hommes.

Cette lettre, où Mme Deneuve parlait aussi du « danger de nettoyage des arts » pour en bannir tout geste jugé contraire aux normes actuelles, a déclenché la colère de femmes ayant participé à #MoiAussi.

« Catherine Deneuve et d'autres femmes françaises racontent au monde comment leur misogynie intériorisée les a lobotomisées au point de non-retour », avait notamment fustigé l'actrice Asia Argento, qui a accusé le producteur américain Harvey Weinstein de l'avoir violée.

Mme Deneuve s'est finalement « excusée » auprès des victimes d'agression, dimanche, tout en défendant l'essentiel du texte qu'elle avait signé.

Françoise David devant un micro.
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Françoise David

Photo : Radio-Canada / Olivier Lalande

« Moyenâgeux »

Pour Françoise David, le constat est clair : « Le droit d'importuner, c'est moyenâgeux, c'est terminé. »

De son côté, Aurélie Lanctôt précise que Et maintenant « n'a pas spécifiquement comme objectif de répondre point par point à la déclaration [de Mme Deneuve] », et qu'il est plutôt temps « de réaffirmer notre soutien envers ces femmes et ces hommes qui ont pris la parole pendant le mouvement #MoiAussi, mais surtout de se tourner vers l'avenir ».

« Peut-on envisager un avenir purgé de violences sexuelles, dans le respect, et en partenariat avec les hommes? » s'interroge la militante féministe.

Mme David se dit absolument d'accord avec cette prémisse de collaboration entre les sexes : « De toute façon, je fais partie de ces féministes qui, depuis tellement longtemps, appellent les hommes à être des alliés, et beaucoup le sont. »

« J'avoue que lorsque j'ai discuté avec plusieurs féministes la semaine dernière, [nous avons constaté] que la lettre de Catherine Deneuve nous avait heurtées, poursuit Mme David. Je pense qu'hommes et femmes ensemble – et ça peut être entre femmes et entre hommes également – cherchent d'autres manières de s'aimer, de se séduire, de se parler, de le faire dans le respect, sans abus de pouvoir. »

Bien entendu, ajoute Mme David, beaucoup de gens agissent déjà de la sorte, mais « certains semblent avoir de la difficulté à comprendre que séduction n'a rien à voir avec domination ».

Plan moyen d'Aurélie Lanctôt, qui pose dans le Centre de l'information de Radio-Canada.
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Pour la chroniqueuse féministe Aurélie Lanctôt, le mouvement #MoiAussi a créé un climat de dialogue pour s'attaquer à la question des agressions sexuelles.

Photo : Radio-Canada / Bernard Barbeau

« Pas une chasse aux sorcières »

Loin de craindre l'instauration d'une « atmosphère de délation », comme celle évoquée par Catherine Deneuve dans sa lettre au Monde et dans ses excuses publiées dans Libération, Aurélie Lanctôt parle d'un climat « de confiance, d'écoute, d'entraide ».

« C'est comme si, cette fois-ci, on avait été capables de créer un climat de dialogue véritable », poursuit-elle.

«  »

— Une citation de  Extrait de la déclaration du mouvement #EtMaintenant

Signe de l'intérêt suscité par la nouvelle initiative dévoilée dimanche soir lors de l'émission Tout le monde en parle, le site Internet du mouvement Et maintenant (Nouvelle fenêtre) demeurait inaccessible lundi avant-midi en raison d'un trop grand nombre de visiteurs.

Parmi les signataires de la déclaration, on compte également les chanteuses Ariane Moffatt et Béatrice Martin (Coeur de pirate), l'auteure Fanny Britt, la chroniqueuse politique Fatima Houda-Pepin, l'animatrice et productrice Julie Snyder, la militante écologiste Laure Waridel, l'animatrice Marie-Louise Arsenault et l'ancienne présidente de la Fédération interprofessionnelle de la Santé du Québec Régine Laurent.

La soeur de Françoise David, la ministre libérale de l'Enseignement supérieur et de la Condition féminine, Hélène David, a annoncé sur Twitter lundi matin qu'elle allait elle aussi signer la déclaration.

De son côté, le premier ministre Philippe Couillard a estimé qu'« au Québec, maintenant, les hommes et les femmes doivent travailler ensemble pour faire de nos milieux de travail des endroits sécuritaires et respectueux sans les rendre totalement aseptiques ».

« Les gens doivent continuer de communiquer ensemble et être humains dans leurs relations », a-t-il ajouté lors d'une mêlée de presse.

Présidente et chef de la direction sortante de la SODEC, Monique Simard a également signé la lettre « avec enthousiasme ». Pour elle, le mouvement est « positif et constructif », a-t-elle dit en entrevue avec Anne-Marie Dussault.

« Je pense que tout ce qui se passe en ce moment va nécessairement influencer ceux qui doivent appliquer la justice, les juges, les avocats, comment on monte les preuves, évidemment les policiers. Dans les années 70, les cas de violence conjugale n'étaient même pas considérés par la police, c’était un problème privé. Imaginez tout le chemin qu’on a fait depuis ce temps-là », s'est-elle exclamée. « Les employeurs vont être extrêmement plus prudents qu’ils ne le sont aujourd’hui. Et il y a une vigilance collective qui va s’exercer... »

« Ça fait partie de leur vie »

Interrogée, durant l'émission Midi info, à savoir pourquoi elle est l'une des 180 premières signataires de la déclaration d'#EtMaintenant, la journaliste Josée Boileau a rappelé que si des hommes sont effectivement victimes de harcèlement et d'agressions sexuelles, les femmes, elles, « savent que cela fait partie de leur vie ».

Déplorant le « peu d'espace » où ce sujet peut être abordé, Mme Boileau estime que cette impression d'enfermement de la parole féminine a été transformée par la vague #MoiAussi.

« Nous ne voulions pas faire éteindre la petite flamme [allumée par #MoiAussi] », a poursuivi Mme Boileau.

Cette dernière fait partie des cinq femmes, interpellées par Françoise David, qui ont jeté les bases de #EtMaintenant.

Aujourd'hui, précise Josée Boileau, les hommes sont eux aussi très nombreux à avoir signé la déclaration disponible en ligne. En milieu d'après-midi, lundi, le site Etmaintenant.net rapportait environ 18 400 signataires.

Et si Mme Boileau convient qu'il soit nécessaire, comme le laissait en partie entendre Catherine Deneuve dans sa lettre au Monde, d'éviter une « chasse aux sorcières » en dénonçant à tort et à travers, l'ancienne rédactrice en chef du Devoir souligne qu'« au Québec il n'y a pas eu de dérapage ».

« Les médias traditionnels sont très sensibles face aux [risques de] poursuite, [...] et il n'y a pas eu tant que noms que ça qui sont sortis », a-t-elle indiqué.

Et sur les réseaux sociaux, là où est né #MoiAussi? « J'y ai surtout vu des femmes, et quelques hommes, qui dénonçaient des situations, mais qui ne donnaient pas vraiment de noms. Nous étions davantage dans une situation de prise de parole qui, au fond, vise à dire qu'il existe des situations inacceptables. »

Et maintenant?

Une fois ce nouveau mouvement lancé, quelle est la suite des choses? « Nous souhaitons qu'il y ait un soutien pour les groupes qui aident les femmes, une meilleure écoute des femmes au sein des services juridiques et de la part de la police, et que l'on soit plus attentifs, dans nos vies, à des gestes qui sont déplacés. »

« #MoiAussi est une étape pour éliminer la discrimination, elle doit se poursuivre, se solidifier... C'est cela le message. Faisons en sorte que cette prise de conscience demeure », a aussi mentionné Mme Boileau.

Le sociologue Michel Dorais, en entrevue sur RDI.
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Pour Michel Dorais, les hommes doivent prendre leurs responsabilités en ce qui concerne les agressions sexuelles, y compris en renforçant les méthodes de prévention.

Photo : Radio-Canada

Penser à la suite

Cette volonté de bâtir des ponts pour travailler à la suite des choses en matière de lutte contre les agressions sexuelles est aussi exprimée par Michel Dorais, sociologue de la sexualité, qui parle du mouvement Et maintenant comme d'une « très belle initiative ».

En entrevue sur les ondes d'ICI RDI, ce spécialiste estime qu'« il faut interpeller les femmes, mais aussi les hommes ».

« Vous savez, poursuit-il, les hommes ont trois responsabilités : la grande majorité des harceleurs sont des hommes; beaucoup de victimes sont des jeunes, surtout de jeunes hommes, et ces hommes qui se croient tout permis sont parfois des amis, des patrons, des collègues, des proches, et notre silence complice leur a permis de continuer. »

Jusqu'à quel point les hommes sont-ils prêts à accepter cette prise de responsabilité? « Il va falloir utiliser différents moyens, reconnaît le sociologue. La lettre ouverte, c'est un bon moyen, mais on peut aussi penser à l'éducation sexuelle qui revient dans les écoles, à la sensibilisation des jeunes, des adultes. Je crois qu'il faudra plusieurs initiatives. Ce n'est qu'un début, selon moi. »

#MoiAussi et #EtMaintenant seraient aussi le reflet d'une génération qui a décidé que « trop, c'est trop, il faut sortir du silence », ajoute encore M. Dorais.

« Il faut déplacer la honte au bon endroit, mais aussi penser à la prévention », souligne l'expert.

Et qu'en est-il, enfin, de cette « liberté d'importuner » revendiquée par Catherine Deneuve et les cosignataires de la lettre publiée dans Le Monde? « L'idée derrière cette liberté d'importuner consistait, à la base, à présenter des idées différentes de celles des autres, et en aucun cas d'importuner de façon physique », répond Michel Dorais.

« Ruwen Ogien, le philosophe qui a donné naissance à ce concept, doit se retourner dans sa tombe, le pauvre! »

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