Il y a 20 ans, une mer de glace tombait sur le Québec

Au Québec, 3000 km de lignes électriques sont tombées durant la tempête de verglas. Plus de 5 millions de personnes sont touchées par au moins une panne. 56 % de la population du Québec et 11 % de celle de l'Ontario.
Photo : Radio-Canada
Prenez note que cet article publié en 2018 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Il y a 20 ans, la crise du verglas plongeait la moitié des Québécois dans le noir. Tombée du ciel, une mer de glace s'étendait de l'Est ontarien à la frontière du Nouveau-Brunswick et paralysait tout le sud du Québec. Retour sur l'une des pires catastrophes naturelles de l'histoire du pays.
Un texte de Vincent Maisonneuve
L’année 1998 commence plutôt mal pour le grand patron d’Hydro-Québec. André Caillé observe le verglas fragiliser une bonne partie du réseau électrique et plusieurs milliers d’abonnés, principalement en Montérégie et à Montréal, sont privés d’électricité. Lors d’un entretien avec Bernard Derome au Téléjournal, le PDG admet que sa plus grande crainte, c’est que « le verglas se poursuive et que le vent se lève ». C’est exactement ce qui est arrivé par la suite.

À Montréal seulement, 255 000 arbres "publics" ont été gravement endommagés et 15 000 ont dû être coupés après la tempête de verglas de janvier 1998.
Photo : Radio-Canada
Du 5 au 10 janvier 1998, 100 mm de pluie verglaçante bombardent le sud du Québec. À Montréal, des dizaines de milliers d’arbres se brisent, et de lourdes branches s’écrasent sur les voitures et les toits des maisons. Les fils électriques qui tiennent encore sont si lourds qu’ils pendent dangereusement à seulement quelques mètres du sol, bloquant le passage aux véhicules des pompiers.

Des files électriques couverts de glace pendent dangereusement à quelques mètres au dessus de la rue à Montréal.
Photo : Radio-Canada
En Montérégie, des pylônes que l’on croyait indestructibles s’écroulent. Quelque 3000 km de lignes électriques d’Hydro-Québec tombent, plongeant dans le noir la moitié du Québec et 10 % de l’Ontario. Complètement dépassé, Sylvain Lapointe, à l’époque maire de Marieville, lance un cri du coeur sur les ondes de RDI. « Ici, je le répète, ça ressemble à la Bosnie! »

Janvier 1998, des pylônes que l'on croyait indestructible s'écrasent sous le poids de la glace.
Photo : Radio-Canada
Personne n’est prêt à faire face à une telle catastrophe. Hydro-Québec, le gouvernement et la Sécurité publique doivent improviser une stratégie. Tout est paralysé.
Prisonniers d’une mer de glace
La crise du verglas a « ébranlé le sentiment de sécurité » que les Québécois tenaient pour acquis, dit Roger Nicolet. L’ingénieur, qui a présidé la commission chargée d’analyser les événements relatifs à cette tempête, se souvient de plusieurs témoignages bouleversants.
Je me rappelle d’un foyer pour personnes âgées dans la région de Granby. Du jour au lendemain, tout le personnel s’est évaporé. Les pensionnaires, en grande partie dépendants, ont été laissés à l’abandon avec personne pour s’occuper d’eux.
M. Nicolet raconte également le témoignage d’une femme responsable d’un foyer d’hébergement pour jeunes handicapés. « La maison était isolée. La responsable du foyer était seule avec une dizaine de pensionnaires. Elle était totalement abandonnée. Dans sa municipalité, il n’y avait pas de premiers répondants. Il n’y avait plus de moyens de communication. Elle était au milieu d’un champ de glace, incapable de sortir. Elle ne savait pas d’où allait venir l’aide. »
L’armée débarque en renfort
Environ 15 000 soldats sont déployés dans les différentes zones sinistrées. Leur mission prioritaire : ouvrir la voie aux services d’urgences. « On avait acheté une centaine de scies à chaîne pour permettre aux soldats de couper les arbres et rétablir la circulation », raconte Gaston Côté, brigadier général à la retraite.
« Nos troupes de reconnaissance avaient comme mandat de cartographier tous les endroits où il n’y avait pas d’électricité, car Hydro-Québec n’était plus en mesure de le faire. Les lignes téléphoniques classiques étaient tombées. Les antennes cellulaires étaient encombrées de 6 cm à 10 cm de glace et n’étaient plus capables de transmettre le signal. »

Pylone électrique écrasé près de St-Constant, au Québec
Photo : Robert Galbraith/CP Photo
À Montréal, on évite le pire
Au pire de la crise, une seule ligne électrique alimente l’ensemble de l’île de Montréal. Désespérée, la direction d’Hydro-Québec demande aux soldats de lancer, du haut d’un hélicoptère, des billots de bois sur les pylônes, dans l’espoir de briser l’épaisse couche de glace.
Le temps presse, les usines de traitement des eaux n’ont plus d’électricité. Il reste à peine deux heures d’eau potable et il n’y a plus assez de pression d’eau pour permettre aux pompiers de combattre un incendie. Le courage de deux monteurs de lignes permet d’éviter le pire. Contre le froid et le vent, au-dessus de l’eau glaciale du fleuve, ils sautent d’un hélicoptère sur un pylône et réussissent à réparer une importante ligne électrique.

Deux monteurs d'Hydro Québec sautent d'un hélicoptère sur un pylône au dessus du fleuve St-Laurent pour rétablir le courant dans l'île de Montréal. «Je n'ai fait que mon travail» dira le monteur de ligne Jean-Yves Boies après avoir réalisé l'exploit.
Photo : Radio-Canada
Le triangle noir
Si la métropole obtient enfin un répit, le calvaire des habitants du triangle noir en Montérégie ne fait que commencer. Après la pluie verglaçante et le vent, le froid s’assoit sur le Québec et il faudra encore des semaines pour reconstruire les 3000 km de lignes électriques qui se sont effondrées sous la glace.
Quelque 100 000 personnes doivent être évacuées. Le premier ministre de l’époque, Lucien Bouchard, lance un appel à la solidarité. Il invite les Québécois qui ont de l’électricité à accueillir les proches et les amis qui n’en ont toujours pas.
Ailleurs, les Québécois –- et l’ensemble des Canadiens – se retroussent les manches. On apporte du bois de chauffage et des génératrices. Le personnel d’Hydro-Québec s’acharne à rebâtir un réseau temporaire. Pour accélérer la tâche, les militaires récupèrent des pièces d’équipement des pylônes qui se sont écrasés.

En janvier 1998, des dizaines de bénévoles livrent gratuitement des tonnes de bois de chauffage pour donner un coup de main aux sinistrés de la tempête de verglas.
Photo : Radio-Canada
« Nous, ce qu’on voulait, c’était de sauver des vies », souligne le brigadier général à la retraite Gaston Côté. « Heureusement, ce n’était pas des froids sibériens. La température s’est maintenue à environ -10 degrés Celsius. Si on avait atteint des -30, ça aurait été catastrophique. »
Mais dans cette course contre la montre, une trentaine de personnes perdent la vie. Certaines intoxiquées par un chauffage inadéquat, d’autres par hypothermie ou après une chute. Privés d’électricité pour traire leurs vaches, des éleveurs doivent se résoudre à abattre le bétail tombé malade.
Une des tempêtes les plus coûteuses de l’histoire du pays
Trente-quatre jours après le début de la crise, le courant est enfin rétabli. La crise du verglas de 1998 reste l’une des catastrophes les plus coûteuses de l’histoire du pays.
Quelque 2,6 millions de travailleurs (19 % de la population active) ont eu de la difficulté à se rendre au travail pendant plusieurs jours. Selon le Conference Board du Canada, la tempête de verglas a occasionné des pertes de 1,6 milliard de dollars pour l’économie canadienne.

Après la tempête de verglas de 1998, les compagnies d'assurance ont reçu 700 000 demandes d'indemnisation d'une valeur totale de 1,4 milliard $.
Photo : Radio-Canada
À Montréal, les pertes ont été estimées à 585 millions de dollars. Les différents ordres de gouvernement ont versé plus de 870 millions de dollars en dédommagements. Plus de 700 000 demandes – d’une valeur totale de 1,4 milliard de dollars – ont été faites aux compagnies d’assurance. Hydro-Québec a dû investir 2 milliards de dollars pour renforcer son réseau de transport d’électricité.
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