La guerre du Sahel, grande oubliée du Canada, déplorent des expatriés maliens

Une grande partie de la famille de Fanta Ongoïba vit toujours au Mali.
Photo : Radio-Canada
La guerre qui se joue dans les sables du Sahel semble ne pas connaître de fin. Une situation difficile pour des membres des communautés malienne et burkinabée vivant au Canada, qui estiment notamment que leur pays d'accueil pourrait en faire davantage pour aider leurs pays d'origine, frappés par plusieurs attaques terroristes cette année.
Un texte de Camille Feireisen
Une nouvelle année commencera dans quelques jours, mais pour Fanta Ongoïba, c'est une année de plus loin de ses proches. Elle habite au Canada depuis une vingtaine d'années avec une partie de sa famille, mais l'autre partie vit toujours au Mali.
Certains proches sont dans le Nord, fief de l'ex-rébellion à dominante touarègue et zone la plus risquée du pays.
Son village natal et celui de son mari sont inaccessibles par les routes, trop dangereuses, à cause des foyers djihadistes et des milices communautaires présents dans la région.
Dans le village de son époux, un proche de la famille a été tué l'an dernier, en pleine nuit. « Assassiné par balles dans sa maison à une heure du matin », raconte-t-elle.
« Moi ça fait depuis 2012 que je n'ai pas pu partir voir certains de mes oncles, tantes et cousins; on s'appelle, mais on ne peut pas se voir. Quand je viens à Bamako, on me déconseille d'aller dans le Nord et eux ne peuvent pas venir, car la route n'est pas sécuritaire. Et si quelque chose arrivait... on s'en voudrait jusqu'à la fin de nos jours. »
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Des guerres interminables
La zone devient difficilement contrôlable et même les opérations internationales ne parviennent pas à endiguer la violence. Fanta a conscience de cet état de fait.
Mais elle connaît deux réalités : celle à travers ses yeux de Canadienne et celle avec son coeur de Malienne. Pour elle, voir son pays d'origine souffrir sans que son pays d'accueil réagisse ajoute à la peine.
« Je pense que le Canada doit faire plus et mieux. Il est bien beau de parler, mais il faut agir. On veut l’action, pas seulement parler pour faire plaisir à la scène internationale. Le Canada est invisible [là-bas], alors que nous sommes là, on contribue avec nos impôts, etc. »
La zone du Sahel demeure au coeur des enjeux stratégiques, explique le professeur de droit et politique internationale à l'Université York, Awalou Ouedraogo. « C'est le coeur même de la sécurité internationale aujourd’hui », souligne-t-il.
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Le professeur ajoute que le Canada est en train de se repositionner quant à sa politique étrangère. « La perte de son siège au Conseil de sécurité a été mal perçue par les Canadiens, on veut désormais jouer un rôle fondamental dans le maintien de la paix », explique-t-il.
Les contours de cette nouvelle stratégie ont été dessinés en août 2016, lorsque le gouvernement Trudeau a annoncé le déploiement de 600 militaires dans les missions de l'ONU en Afrique. Un an plus tard pourtant, le déploiement n'avait toujours pas eu lieu. En novembre, le ministre de la Défense a détaillé le rôle que souhaite jouer le Canada, par un programme de stabilisation et d'opération de paix.
« On n’envoie plus de Canadiens massivement comme on l’a fait, mais la participation canadienne est beaucoup plus efficace sur le volet civil, en contribuant à former des policiers sur le terrain, ensuite le volet financier, en soutenant les Nations unies dans ses différentes missions. »
Selon M. Ouedraogo, il s'agit aussi de s'adapter à la nature des conflits, qui a changé. « Les acteurs sont multiformes, la situation a changé depuis les années 1950 où l'on envoyait des militaires sur le terrain pour combattre », indique-t-il.
Que ce soit avec des moyens logistiques, un soutien économique ou sociologique, le professeur estime qu'une stratégie sur le long terme est la meilleure façon pour le Canada de s'engager dans ces pays. « C'est une question de développement dans le nord du Mali, qui a été délaissé par le gouvernement central dans les années 1960 », souligne-t-il.
« La meilleure façon d'aider c'est de l'intérieur, en injectant de l'argent là où c'est nécessaire pour renforcer le gouvernement. »
Le professeur rappelle toutefois que ce conflit concerne tous les pays. « Si on ne résout pas ce conflit, cela va revenir comme un boomerang, d'abord sur l'Europe, mais aussi sur le Canada », assure-t-il.
Un engagement plus fort
Charles Diarra, président de l'Association malienne de Toronto qui représente les quelque 500 Maliens qui vivent dans la métropole, n'est pas convaincu. Il pense que le Canada pourrait faire plus.
« On sait que le Canada agit dans plusieurs domaines, comme la santé, l'agriculture, et puis qu'il y a pas mal d'entreprises canadiennes qui sont au Mali dans le domaine minier principalement », rappelle-t-il.
« Le Mali est un pays francophone, on aimerait que le Canada s’engage de manière plus ferme au niveau des pays du Sahel. »
Et sur place, comment le vit-on?
Sur place, on sent tout de même que la formation de troupes spécialisées commence à porter ses fruits, explique Cheick Tall, un Canadien d'origine malienne qui vit à Ouagadougou depuis 5 ans.
« Depuis deux ou trois mois, on sent qu'il y a une riposte qui est plus grande et ça donne un sentiment de sécurité; on voit qu'enfin ils ont l'air de s'organiser et d'être un peu plus capables de faire quelque chose », explique-t-il.
M. Tall rappelle néanmoins que le sentiment d'insécurité reste omniprésent et que tous ont développé certains réflexes de vigilance, comme repérer les issues de secours dans tout nouveau lieu.
« On s'attend toujours à ce qu'il y ait d'autres attentats : on est prudents, on fait attention, on remarque plusieurs endroits qui ont encore rehaussé le niveau de sécurité dans des restaurants, des bars, bref des endroits qui sont fréquentés. »
Selon lui la menace existe toutefois partout : Bamako, Ouagadougou, mais aussi Paris, Londres, Madrid et Istanbul.
De son côté, chaque année avant les Fêtes, l'Association malienne de Toronto envoie un conteneur avec des trousses médicales, des fauteuils roulants et des déambulateurs, entre autres, pour aider les blessés.
Et même si cela ne constitue qu'une goutte dans la mer selon Fanta, cela permet d'envoyer aux familles restées là-bas l'espoir que la guerre des sables prendra fin un jour.