Boeing, ce géant américain largué par Ottawa

Le bâtiment de la compagnie Boeing à Huntington Beach, en Californie
Photo : AP / Jeff Gritchen/The Orange County Register/SCNG
Lâché par le gouvernement du Canada, qui a confirmé mardi qu'il n'achètera pas ses avions de chasse, Boeing mène une guerre commerciale sans répit contre Bombardier. Portrait de l'avionneur américain, qui compte 2000 employés au pays.
Un texte de Jean-Michel Leprince
Le Canada n’achètera pas d'avions Super Hornet de Boeing et préfère acquérir des F18 usagés de l’Australie et relancer un appel d'offres pour l'achat de 88 chasseurs neufs. C'est la conséquence des sanctions américaines contre la C Series de Bombardier aux États-Unis, suite à une plainte de Boeing.
L'avionneur américain est déterminé à ne rien céder à la concurrence, que ce soit Airbus ou même un joueur mineur pour elle, Bombardier. Boeing semble aussi vouloir surfer sur la vague protectionniste de Donald Trump.
Un géant centenaire
Fondée en 1916 par William Boeing à Seattle, Boeing est la plus grande entreprise aérospatiale au monde avec 140 000 employés et une présence dans 65 pays. Elle fabrique des avions militaires et civils ainsi que toutes sortes d’engins spatiaux.
À Seattle, dans la plus grande usine du monde, l'entreprise assemble le 777, qui s’est déjà vendu à plus de 1500 exemplaires, et elle s'apprête à y construire le 777X, dernier cri technologique, avec de gigantesques ailes en composite qui ont nécessité un investissement d'1 milliard de dollars.
Au sud de Seattle, à Renton, Boeing assemble ses 737, l’avion le plus vendu au monde et ses 737 Max, version améliorée, concurrent de l’Airbus A230 Néo et plus ou moins de la C Series de Bombardier. C’est l’unique fabricant d’avions commerciaux qui reste aux États-Unis après son acquisition de McDonnell-Douglas et le retrait de Lockheed de ce secteur.
Son grand concurrent et ennemi juré est l’européen Airbus. Boeing a déposé une plainte au département du Commerce américain contre Bombardier pour la vente supposément subventionnée de CS100 au transporteur Delta. Des droits compensatoires préliminaires de 300 % ont été imposés à Bombardier, provoquant un tollé chez les analystes et les politiciens canadiens.
« Bombardier n’est pas vraiment une menace. Boeing construit 57 avions par mois, Bombardier va en produire 22 cette année. »
Une culture d'entreprise très stricte
En 2005, Boeing a déménagé son siège social de Seattle à Chicago. C’est là que la compagnie a commencé à changer. Ensuite, selon les analystes, le 787, le fameux Dreamliner, lui a coûté une fortune à développer : 30 milliards de dollars. Trop cher.
« Dans l'histoire de Boeing, le 787 est un moment charnière », explique l'analyste Michel Merluzeau d'Airinsight Research. L'entreprise a testé, dit-il, sa capacité d'adaptation et celle de ses fournisseurs.
Selon la firme d'analyse Berenberg, Boeing vend encore ses 787 sous le coût de production, 130 millions de dollars par appareil, et devrait bientôt commencer à faire des profits. C’est pourtant ce qui est reproché à la C Series de Bombardier.
M. McIntosh précise que Boeing n'a pas toujours été en quête constante d'une plus grande rentabilité.
« C'est devenu, sous le PDG Dennis Muilenburg, une entreprise beaucoup axée sur les ventes, la réduction des coûts, l'optimisation des dividendes et le rachat des titres de Boeing pour toujours augmenter la valeur pour les actionnaires. »
Aujourd’hui, Boeing est l’enfant chéri de la Bourse de New York. La valeur de l’action est passée de 120 $US en 2016 à plus de 275 $US récemment.
En plus de presser les syndicats et les fournisseurs, Boeing recherche les subventions et les avantages fiscaux les plus avantageux.
« Les subventions, c’est un sujet très délicat, mais elles existent pour tout le monde : Boeing, Airbus, Bombardier,... »
Le 17 février 2017, le président Trump a assisté au lancement du 787 à Charleston, en Caroline du Sud. Il a déclaré : « Nous aimons l’Amérique, nous allons protéger l’Amérique, nous allons protéger nos travailleurs [...] Nous allons faire appliquer nos règles commerciales pour stopper la triche des étrangers. Une triche terrible. Nous voulons des produits fabriqués par nos travailleurs, dans nos usines et frappés de ce sceau magnifique : Made in the USA ».
Peu après, Boeing lançait sa poursuite contre Bombardier, soulevant au Canada un tollé de protestation des analystes et des politiciens.
Boeing au Canada encaisse le coup
Au Canada, Boeing est surtout présent à Winnipeg, où 1600 employés fabriquent des pièces de Boeing en composite, la technologie de l’avenir, conçues ici même. Il s'agit entre autres de portes de train d’atterrissage du 787 et bientôt du 777X en matériaux légers, robustes et résistants à la corrosion.
Boeing fait du Manitoba le troisième centre aéronautique du Canada après le Québec et l’Ontario. Au total, Boeing a 2000 employés au Canada comparativement à 6000 en Chine.
À Winnipeg, Boeing est très bien vu, mais même ici la réaction à sa poursuite contre Bombardier a été vive, ce qui a étonné la directrice générale de Boeing au Canada, Kim Westenskow. « Je ne crois pas que notre image ait souffert. Je crois que des décisions vont être prises plus calmement et ce seront les bonnes décisions pour le marché et nous passerons à autre chose. »
Des décisions seront prises dans les prochains mois par l’administration Trump. Entretemps, Boeing Canada a lancé une campagne de publicité sur sa contribution à l’économie canadienne (14 milliards de dollars) avec notamment une vidéo de 30 secondes dans les deux langues officielles.