Le syndrome Phénix? Le fédéral loin d'être à l'abri d'autres dérapages financiers

Des documents démontrent qu'Ottawa est loin d’être à l’abri d’autres dérapages de coûts comme celui du système de paye Phénix.
Photo : Radio-Canada
EXCLUSIF - Des documents obtenus par Radio-Canada démontrent des failles importantes dans la capacité du gouvernement fédéral à évaluer correctement les coûts de ses projets. Après le système de paye Phénix, dont la facture s'approche maintenant du milliard de dollars, le gouvernement fédéral s'expose à d'autres explosions de coûts dans certains dossiers. Le constat n'a rien pour rassurer les contribuables.
Un texte de Marc Godbout
La modification du système de courriels en est un exemple. D’innombrables adresses électroniques du gouvernement fédéral, souvent complexes, devaient être converties en une seule: @canada.ca. L’opération visait à simplifier les choses et à « éliminer les dédoublements coûteux ».
Voilà près de deux ans et demi que le projet aurait déjà dû être terminé. Or, la transformation des services de courriel, d’abord estimée à 82 millions de dollars, a déjà coûté au moins 150 millions aux contribuables.
Pourtant, à peine 15 % du travail est fait. « Il nous est impossible de vous donner un coût estimatif total », indique Services partagés Canada.
Mais des sources proches du dossier indiquent à Radio-Canada que, si le gouvernement maintient son objectif d’aller jusqu’au bout de l’aventure, la facture pourra atteindre au minimum 600 millions de dollars.
C’est sept fois plus cher que prévu.
« »
Des documents obtenus en vertu de la Loi sur l'accès à l'information montrent qu’Ottawa est loin d’être à l’abri d’autres dérapages de coûts.
Au moins six projets majeurs en technologie de l’information étaient en train de dérailler sérieusement à la fin octobre sur le plan des coûts ou des échéanciers, parfois des deux.
À cela s’ajoutent une trentaine d’autres qui pourraient dériver si des correctifs n'étaient pas apportés.
« Il faut arrêter de croire tout le monde, il est temps qu’on pose de vraies questions », lance Benoît Lalonde, expert en gestion de projet et président de la firme PMI-Montréal qui a consulté les documents.
Six projets du gouvernement fédéral à risque
- Initiative de transformation des services de courriel (ITSC)
- Gestion des appareils mobiles d'entreprises (GAME)
- Service interne centralisé d'authentification du gouvernement du Canada (SICA GC)
- Mise à jour du SIGNET-C5
- Plan d'action Par-delà la frontière (PDF) 11 - Système sur les entrées/sorties
- Gestion des données de référence (GDR)
Symptômes d’un mal plus profond
En fait, Ottawa est-il vraiment en mesure d’évaluer les coûts réels de ses projets et de ses programmes?
Un rapport confidentiel commandé par le Conseil du Trésor et obtenu par Radio-Canada dévoile un portrait inquiétant de la capacité des ministères fédéraux à fournir des projections de coûts fiables.
« Faible niveau de maturité » menant ou pouvant mener à des « incohérences », indique le document.
Les résultats de l’analyse effectuée l’an dernier sont d’autant plus préoccupants qu’ils portent principalement sur les quatre ministères ayant les plus gros budgets.
Le rapport conclut que les ministères de la Défense nationale, des Travaux publics (Services publics et Approvisionnement Canada), des Transports et des Pêches et Océans font pâle figure face aux gouvernements britannique, australien et allemand reconnus pour leurs bonnes pratiques en la matière.
« »
Le rapport contient une longue liste de lacunes constatées au sein des ministères : « manque d’expertise », « manque d’outils », « échéanciers basés sur des hypothèses trop optimistes », « analyses de coûts ne [considérant] pas suffisamment les risques », « analyses économiques formelles [...] peu courantes au sein du gouvernement ».
Pierre-Paul Morin, un expert en gestion de risque de l'Université du Québec en Outaouais qui connaît bien les rouages du gouvernement, s’inquiète. « Ça prendrait dix fois plus de gens avec une formation adéquate pour être capables de gérer correctement l’ensemble des projets », dit-il.
Tous les ingrédients sont là pour que des millions de dollars deviennent des milliards.
Pour certains des projets qui font face à de sérieux dépassements de coûts, comme Phénix, le gouvernement libéral avait le luxe de blâmer ses prédécesseurs.
Mais après plus de deux ans au pouvoir, alors qu’il cherche à mettre à exécution son programme ambitieux, le gouvernement Trudeau sait qu’il est confronté à un sérieux problème, qui pourrait le rendre vulnérable.
Infrastructures, avions de chasse, navires, logements abordables… comment s’assurer que les estimations de coûts sont fiables et tiennent la route?
Comme on l'a vu avec les avions de chasse F-35 et le registre des armes à feu, les fiascos de gestion publique peuvent facilement coller à la peau d’un gouvernement. Les libéraux devront trouver le moyen d’éviter de traîner à leur tour un boulet.