Des parents d'enfants handicapés se disent victimes d'iniquité

Cynthia Julien et sa fille Maïna, 8 ans
Photo : Radio-Canada
Prenez note que cet article publié en 2017 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Ils sont peu nombreux, mais leur histoire est d'une grande tristesse. Des parents d'enfants lourdement handicapés, qui sont hébergés de façon permanente, se battent depuis des années pour dénoncer l'incohérence administrative dont ils s'estiment victimes.
Un texte de Hugo Lavallée, correspondant parlementaire à Québec
Pour Cynthia Julien, la survie de sa fille Maïna, 8 ans, est un combat de tous les jours. Maïna a manqué d’oxygène à la naissance et souffre d’une encéphalopathie convulsivante. Elle ne peut ni marcher ni parler, et est incapable de s’alimenter par elle-même.
« Elle a cinq [médicaments] anticonvulsivants, mais elle convulse pareil. Elle a une grosse scoliose. Avec les problèmes respiratoires et les convulsions, c’est pas mal ça sa vie », observe tristement Cynthia.
Même si Maïna ne peut communiquer avec son entourage, sa mère a appris à décoder dans quel était d'esprit se trouve sa fille. « Je sais quand elle est de bonne humeur, je sais quand elle n'est pas de bonne humeur, quand elle est fâchée, quand elle a du mal [...] par son pleur, par ses sons. »
Maïna a passé les trois premières années de sa vie avec ses parents, mais l’aggravation de sa maladie a amené les médecins à recommander son hébergement.

Le Centre de réadaptation Marie Enfant du CHU Sainte-Justine, à Montréal
Photo : Radio-Canada
Depuis cinq ans, Maïna vit au Centre de réadaptation Marie Enfant du Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine à Montréal. Lorsque son état le permet, Maïna sort le week-end pour passer du temps avec sa mère ou son père. Même brèves, les visites de Maïna sont très exigeantes pour ses parents.
« Le matin, il faut que je sois debout à 6 h, elle a un médicament. Après elle en a un autre à 7 h, après un gavage de 7 h 30 à 8 h 30, mais entre ça, à 8 h, j’ai beaucoup de médicaments à lui donner. Ensuite, ça va à 10 h. Après ça va à 11 h 30. Midi, un gavage d'une heure. À 14 h, elle a des médicaments », énumère Cynthia, avant de poursuivre la liste des tâches à accomplir en après-midi puis en soirée.
Malgré la dégradation de l'état de sa fille et la lourdeur des soins à lui prodiguer, accepter de voir son enfant quitter la maison a été dur pour Cynthia Julien.

Photos de Cynthia et sa fille, Maïna
Photo : Radio-Canada
« C’est une très bonne décision, oui, mais c'est gros [...] Je ne sais pas si vous comprenez. C'est la pire journée de ma vie. Moi, le 15 août 2012, je peux vous dire que c’est la pire journée de ma vie. Je me disais : "Je ne peux pas croire que je vais mener mon enfant là." »
Un lourd fardeau financier
À cette séparation douloureuse s'est ajouté un lourd fardeau financier puisque Québec exige une contribution financière pour le gîte et le couvert des enfants hébergés. Leurs parents reçoivent donc une facture mensuelle.
« C’est pas qu’on veut pas les avoir à la maison, c’est impossible », fait valoir Cynthia.
Le gouvernement fédéral, pour sa part, considère les enfants placés comme n’étant plus à la charge de leurs parents et cesse de leur verser les allocations familiales auxquelles ils auraient normalement droit.
Les parents doivent pourtant continuer de payer pour les vêtements, les jouets, les produits d’hygiène et les sorties de leur enfant, sans compter leurs propres déplacements et les nombreux jours de travail manqués.
Plusieurs parents touchés
Christian Caillé et Christine Mercier ont eux aussi traversé cette épreuve. Parents d’enfants malades lourdement handicapés, aujourd’hui décédés, ils ont longtemps combattu ce qu’ils considèrent comme une injustice.

Christian Caillé et Christine Mercier
Photo : Radio-Canada
« C'est pas moi qui ai pris la décision, c'est pas que j'avais une incapacité parentale. Je n'ai pas battu mon fils, c'est pas une décision de la cour qui faisait que mon fils a été placé [...] c'est qu'il était trop malade », déplore Christine Mercier.
« Il faut payer tout ce qui englobe l’enfant, qu’il soit malade ou pas, c’est les mêmes frais qu'on a à payer », explique pour sa part Christian Caillé. Pendant des années, il a dû verser une contribution mensuelle de 425 $, tout en étant privé d’une allocation fédérale de 300 $ par mois. « J'ai réhypothéqué ma maison trois fois le temps qu'Alex [son fils] a vécu », illustre-t-il.
Depuis 2009, Christian Caillé et Christine Mercier ont multiplié les démarches auprès des élus pour les sensibiliser à cette situation, mais rien n’a encore changé.
« La réponse [qu'on nous a donnée], c'est que : il y a le ministère de la Famille, le ministère de la Santé et le ministère [fédéral] du Revenu. Il faut qu'ils se parlent », souligne M. Caillé.
Le problème est pourtant connu du gouvernement depuis longtemps. Dès 2003, le Protecteur des usagers en matière de santé et de services sociaux écrivait dans un rapport que « les parents qui font face à cette réalité se trouvent doublement pénalisés ». Ils méritaient, selon lui, « un traitement différent des autres placements d’enfants mineurs ».
« On n’a pas la force du nombre, mais c’est quand même une situation qui est lourde, lourde de conséquences physiques, psychologiques et financières », se désole Mme Mercier.
Un espoir
Cynthia Julien, la mère de Maïna, aimerait bien poursuivre le combat contre l'iniquité dont elle s'estime victime, mais elle a choisi, pour l'instant, de consacrer toutes ses énergies à sa fille.
« Ma fille n'a pas une espérance de vie comme tout le monde, souligne-t-elle. Je peux la perdre demain matin, dans deux ans, dans deux semaines à cause des ses convulsions, de ses problèmes respiratoires et puis j'ai décidé d'essayer de faire le plus de temps avec elle possible, justement parce que je sais que j'en ai pas pour longtemps. »
Un comité chargé de réviser les factures
En entrevue à Radio-Canada, la ministre déléguée à la Réadaptation, à la Protection de la jeunesse, à la Santé publique et aux Saines habitudes de vie, Lucie Charlebois, s'est dite sensible au sort de ces enfants et de leurs parents. « Je sais combien ça doit être exigeant pour ces parents-là d'avoir des enfants qui sont lourdement handicapés. »
Elle explique toutefois qu'« au Québec, il y a une loi qui dit que tous les parents doivent subvenir aux besoins de leurs enfants ». La contribution parentale, poursuit-elle, est utilisée pour payer les frais encourus pour l'hébergement des enfants et la nourriture qu'ils consomment. Elle fait aussi valoir que cette contribution est modulée en fonction du revenu de chacun.
« Il faut dans le réseau qu'on applique les coûts... Il faut que quelqu'un les paye quand on utilise des services. »
La ministre explique toutefois qu'un comité chargé de réviser les contributions parentales exigées dans les cas d'enfants placés travaille à « réduire les factures au maximum ». Ce comité tiendra compte du fait que le gouvernement fédéral cesse de verser aux parents, lorsque leur enfant est placé, l'allocation familiale à laquelle ils auraient normalement droit.
Le porte-parole de l'opposition officielle en matière de services sociaux et de protection de la jeunesse, Dave Turcotte, soutient pour sa part que le gouvernement devrait cesser de réclamer une contribution aux parents d'enfants handicapés qui sont hébergés. « En ce moment, le gouvernement a des surplus [et] ne semble plus savoir quoi faire de ces surplus. Ça, c'est une suggestion humaine, sensée, raisonnable qui pourrait être appliquée rapidement pour ces parents puis ces enfants. »