Témoigner à l’enquête sur les femmes autochtones pour préserver l'avenir de ses petits-enfants

Jenny Regis croit que les femmes de sa communauté doivent profiter de l'Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées pour briser le silence.
Photo : Radio-Canada
L'Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées est accueillie avec beaucoup d'espoir et un brin d'appréhension dans la communauté innue de Uashat-Maliotenam. Les femmes de la communauté espèrent enfin lever le voile sur la violence qui sévit dans la réserve, mais craignent du même coup des lendemains plus difficiles.
Un texte d’Emmanuelle Latraverse
Les enfants sont partis à l’école. Les rues de la communauté de Uashat sont désertes en ce lundi matin.
Bercée par le silence, Jenny Regis est assise à la table de la cuisine, plongée dans le travail le plus minutieux qui soit : perler des boucles d’oreilles pour le costume traditionnel de sa fille.
L'art de broder des perles sur des objets est une tradition symbolique importante ici transmise de mère en fille depuis des générations. Mais pour Jenny Regis, cet art est aussi un refuge contre la peine et la colère.
« Je dis enfin y vont nous écouter! Y vont nous écouter pis nous laisser parler », lance-t-elle, entre deux perles qu'elle brode.
Jenny avait déjà dénoncé les agressions sexuelles que subissait son fils de 6 ans. Cette fois, c’est à propos de son propre drame qu’elle est enfin prête à lever le voile.
Agressée dès l’âge de 6 ans, puis violée à nouveau à 26 ans, la mère de 6 enfants croit que les femmes de sa communauté doivent profiter de l’enquête nationale pour briser le silence afin de se libérer du poids de cette douleur opprimante.
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Sauver la prochaine génération
Si plusieurs femmes voient leurs filles souffrir comme leurs mères et leurs grand-mères, elles espèrent trouver les moyens d’épargner la prochaine génération, l’avenir de leur peuple.
Lise Jourdain a été l’une des premières à dénoncer la violence sexuelle. Elle en a payé le prix : ostracisée, critiquée, montrée du doigt pour avoir « semé la division » et « brisé des familles ».
Or, si elle a fait le choix de témoigner publiquement lundi, c’est pour l’avenir de ses petits-enfants.
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Même son de cloche de Louisa St-Onge. L’intervenante à la Maison des femmes de Uashat connaît la détresse, la peur, la honte que vivent tant de mères et de filles du coin.
Et pourtant, elle reconnaît qu’il est bien difficile de briser le silence, surtout dans une petite communauté comme celle-ci.
« C’est dur, quand on a vécu des abus, de retourner en arrière pour vivre toutes les séquelles. Un abus, c’est comme voler tout l’amour que tu avais », explique-t-elle.
Comme bien d’autres personnes ici, Louisa St-Onge craint les lendemains de cette semaine de témoignages. Les gens se demandent ce qui va se passer une fois que la commission et ses psychologues vont repartir, dit-elle, alors que les membres de la communauté seront pris avec cette souffrance soudainement libérée.
Malgré tout, elle espère que le passage de l’enquête nationale dans la communauté donnera du courage à bien des victimes.
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Changer le regard des Blancs
Dans cette communauté, où plusieurs victimes peinent à obtenir l’aide nécessaire, l’espoir d’obtenir suffisamment de ressources psychologiques et sociales est au cœur des préoccupations.
Après un rapport accablant du coroner sur la vague de suicides qui a frappé la réserve en 2015, certains auraient espéré que ce soit déjà fait. Mais non.
« Avec les années, on ne s’attend plus à grand-chose », concède Jenny, découragée.
Ce que veulent ces femmes est bien plus simple, encore plus fondamental. Elles rêvent de respect.
Lise Jourdain souligne le contraste entre le traitement réservé aux victimes qui ont dénoncé les inconduites sexuelles d’Éric Salvail, les agressions présumées de Gilbert Rozon, alors que les femmes autochtones sont si souvent ignorées, voire dénigrées.
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Lise Jourdain n’a qu’un rêve : que ce vaste exercice de vérité change le regard de la société à l’égard des siens.
« Peut-être que la population va voir qu’on est des êtres humains, des femmes, des parents, des grand-mères. »
C’est les larmes aux yeux que sa nièce Jenny évoque le sujet.
« Oui, on a plus de misère, mais on est égales à vous autres, on a droit aux mêmes services… Comprenez-nous donc pour une fois! On est tous pareils. »
Finalement, ces femmes qui brisent le silence veulent éveiller les consciences, celles de leurs dirigeants autochtones, mais aussi, et peut-être surtout, celles du reste de la société qui les a si longtemps ignorées.