La bataille du vin en épicerie

Les vins d'épicerie, un marché de 300 millions de dollars
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Prenez note que cet article publié en 2017 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Les vins d'épicerie ont la cote. Des sommeliers de renom l'ont bien compris et viennent enrichir l'offre avec de nouvelles bouteilles pour séduire le consommateur pressé. Mais ce dernier fait-il une bonne affaire?
Un texte de Gildas Meneu, de L’épicerie (Nouvelle fenêtre)
Acheter du vin à l’épicerie? Pour bon nombre d’amateurs de vin, c’est plutôt inacceptable. Le « vin de dépanneur » continue à avoir mauvaise réputation.
Mais les choses sont en train de changer. Les consommateurs sont de plus en plus nombreux à prendre à la volée une bouteille de vin dans leur épicerie préférée. Une bouteille sur trois est désormais vendue en épicerie : un marché de plus de 300 millions de dollars. La croissance des ventes en épicerie est même plus forte qu’à la Société des alcools du Québec.
Ce marché lucratif attire de nouveaux joueurs, comme les sommeliers réputés Jessica Harnois et François Chartier.

La sommelière Jessica Harnois a vendu 2 millions de ses bouteilles Bù.
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Je veux démocratiser le vin. Je veux que le vin soit accessible pour tout le monde.
Cette ancienne acheteuse de grands vins pour la SAQ a travaillé en Europe, en Australie et aux États-Unis. « Je voyais partout qu’on pouvait acheter du bon vin en épicerie. Je voyais le potentiel. Imaginez : le réseau de la SAQ, ce sont 400 agences alors que celui des épiciers et dépanneurs, ce sont 8000 points de vente! »
Pour créer sa ligne de vins d’épicerie Bù et développer des produits à son image, Jessica Harnois a travaillé avec l'entreprise canadienne Arterra, un géant du vin au pays.
J’offre un vin qui est passe-partout, un vin de soif.
La sommelière prévoyait vendre autour de 400 000 bouteilles, elle en a vendu plus de 2 millions en un an.
Le sommelier de réputation internationale François Chartier a flairé lui aussi la bonne affaire en proposant sa gamme de vins Harmonie.

Le sommelier François Chartier a lancé une gamme de vins d'épicerie.
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J’avais une certaine confiance que je pouvais amener quelque chose de bon et que les gens seraient à l’écoute.
En 2013, François Chartier lance sa gamme de vins en SAQ. « IGA m’a contacté pour avoir mes vins. Ils cherchaient de la qualité. J’ai d’abord hésité, à cause de la mauvaise perception de ces vins. La qualité est en train de changer, mais la perception du consommateur ne change pas aussi rapidement. Il y avait aussi cette obligation d’embouteiller ici. »
Des vins en vrac
Car au Québec, la loi est claire : les vins vendus en épicerie doivent avoir été embouteillés au Québec. Les vins arrivent donc par bateau dans d’immenses conteneurs. Le marché de l’embouteillage au Québec est dominé par trois entreprises qui détiennent 95 % des parts de marché : Arterra, Maison des Futailles (Kruger) et Arista (Lassonde).
Le vin en vrac est une industrie mondiale de plusieurs milliards de dollars. On y négocie chaque jour des milliers de litres de vin, souvent à aussi peu qu'un dollar le litre. Ils sont ensuite assemblés par des multinationales qui créent des marques comme on lance des vêtements de prêt-à-porter. La recette porte ses fruits puisque 50 % des bouteilles vendues sur la planète n’ont pas été embouteillées dans le pays d’origine.
De la piquette?
Pour le journaliste spécialisé en vin Marc André Gagnon, l’offre en épicerie est plutôt moyenne.

Le journaliste spécialisé en vin Marc-André Gagnon estime que bien des vins d'épicerie ne sont pas de qualité.
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Beaucoup de ces vins-là, en épicerie, c’est de la piquette. Ce n’est pas bon.
« Les vignerons essaient de faire des raisins de qualité. Ils essaient d’utiliser le moins de produits chimiques que possible pour faire des vins d’une meilleure qualité. Pour la production en vrac, on vise plutôt la quantité que la qualité », explique Marc André Gagnon.
« Le consommateur qui achète un vin appelé château untel ne sait pas que le château n’existe même pas. C’est un nom qu’on a donné au produit. C’est une marque », poursuit-il.
François Chartier abonde dans le même sens. « Il y a 30 ans, ce qui était en épicerie, je ne me gêne pas pour le dire, ce n’était vraiment pas fort. » Mais les choses ont bien changé. « La science du vin permet une meilleure compréhension de la culture de la vigne, une meilleure compréhension de la fermentation et de l’élevage du vin. Même pour les vins qu’on transporte en bateau et qu’on met en bouteille au Québec, il n’y a pas de raison que ça ne soit pas bon. »
Des marques maison
Les épiciers ne sont pas en reste, et proposent même des marques exclusives. Metro offre ses vins Hémisphère, IGA, sa gamme « Wish For » et Costco vend du vin sous sa marque maison Kirkland.

La chaîne de magasin Metro mise beaucoup sur les vins, selon sa porte-parole Geneviève Grégoire.
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La porte-parole des supermarchés Metro, Geneviève Grégoire, explique cet engouement : « Nos clients aiment pouvoir mettre une ou deux bouteilles dans leur panier, à mesure qu’ils font leurs emplettes pour planifier les repas qu’ils vont faire durant la semaine. On ne se cachera pas que le côté pratique aussi de la chose est essentiel dans un contexte où l’on court après le temps, tout le temps. »
Une loi plus souple
Depuis la fin de l’année 2016, la loi a été assouplie. Elle permet maintenant aux embouteilleurs d’afficher sur l’étiquette le ou les cépages contenus dans le vin, ainsi que l’année de production, le fameux millésime. Un avantage pour les consommateurs qui peuvent faire un choix plus éclairé.
La guerre des prix
Le vin en vrac permet de vendre du meilleur vin à meilleur prix, affirme la sommelière Jessica Harnois.
Le vrac, ça fait baisser la facture, tout simplement.
« On fait le vin avec trois œnologues. Je le déguste sur place. Ensuite, on le met dans une poche sous vide, dans un conteneur qu’on amène ici. Le vin est dégusté de nouveau et embouteillé au Québec. Ça crée des emplois ici et ça réduit la facture pour le transport. Et c’est écologique. »
Jessica Harnois a fait le pari de vendre son vin à la fois en SAQ et à l’épicerie. Mais le prix d’une même bouteille peut varier. Sa bouteille de vin « Vivere », par exemple, se vend 13,35 $ taxes incluses à la SAQ. En épicerie, elle coûte 13,99 $ plus taxes. Et un dépanneur peut la vendre encore plus cher.
C’est que les épiciers ne peuvent pas vendre moins cher un vin vendu aussi à la SAQ. Ils se prennent, en plus, une marge de profit.
Les vins d’ici… en épicerie!
Autre petite révolution en épicerie : les vignerons d’ici ont maintenant le droit de vendre leurs vins directement en supermarché, sans passer par la SAQ.

Les vins du Québec sont maintenant vendus en épicerie.
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Pour le journaliste spécialisé en vin Marc André Gagnon, c’est une excellente nouvelle.
« Prenons l’exemple des producteurs de la région de Magog », explique le journaliste. « Ils produisaient du vin mais les consommateurs de la région ne pouvaient pas acheter leurs bouteilles dans les épiceries ou dans les dépanneurs. Maintenant, ils le peuvent. »
Les producteurs d’ici avaient du mal à écouler leurs produits. « La SAQ ne peut pas acheter les 10 vins du producteur. Elle va en choisir un ou deux, ou parfois pas du tout. À l’épicerie, tu as plus de flexibilité. L’épicier a tout à gagner à faire rentrer des produits locaux. On l’a vu avec les microbrasseries, ils leur ont vraiment accordé une place à part. »
« Ça vient compléter notre offre », explique la porte-parole de Metro, Geneviève Grégoire. « C’était tout naturel pour nous de faire des efforts pour les tenir en magasin et il y a une demande pour les vins du Québec. »
Le président de l’Association des vignerons du Québec, Yvan Quirion, est optimiste.
Le vin en épicerie, c'est ce qui va sauver les vignerons.
« Jusqu’ici, les petits producteurs ne pouvaient vendre qu’au domaine, entre le 24 juin et la fête du Travail. Le reste de l’année, pas un sou ne rentrait. Maintenant, ils peuvent faire des dégustations dans les épiceries du coin, vendre leur vin toute l’année. C’est de l’argent qui rentre et qui leur permet de planter des vignes, de grandir, de changer leurs équipements. »
Le directeur du Domaine du Ridge dans les Cantons-de-l’Est, Christophe Limoge, est ravi. Vendre en épicerie va permettre d’agrandir le vignoble. Il a déjà planté de jeunes vignes qui seront prêtes dans quatre ans.

Le directeur du Domaine du Ridge, Christophe Limoge, mise sur la vente en épicerie pour stimuler la croissance de son vignoble.
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« Ça va donner le goût à d’autres de se lancer. Dans les prochaines années, on va peut-être voir ici ce qui se fait à Niagara ou ailleurs en Ontario. Il va y avoir plus de vignerons. »
Le pire danger pour Marc André Gagnon, c’est de refaire les mêmes erreurs qu’avec le cidre québécois dans les années 70.
« On s’est mis à produire industriellement du cidre. Ça a marché très fort pendant deux ans. Puis c’est tombé parce qu’il y avait trop de mauvais cidres. Ça a pris du temps avant que le cidre remonte. J’espère que ça ne sera pas la même chose avec les vins québécois. »
Christophe Limoge ne le voit pas de la sorte.
« C’est un beau problème. On le voit, avec les changements climatiques, maintenant, le climat est à la faveur du Québec pour développer du bon vin. Ainsi, le savoir-faire va aussi se développer. »