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Michel Tremblay, celui qui a tout son temps

Michel Tremblay sourit

Michel Tremblay, le 5 novembre 2012

Photo : La Presse canadienne / Ryan Remiorz

Franco Nuovo
Prenez note que cet article publié en 2017 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.

Deux fois depuis le 10 septembre, il est venu passer son dimanche matin avec nous. Deux fois, je l'ai regardé entrer dans le studio avec sa démarche lente, comme s'il avait fini de courir, comme s'il avait désormais tout son temps.

Il y a quelques semaines, à sa première visite, on avait prévu de parler de tout, peut-être un peu de rien, de la vie, de la sienne. Or, ce dimanche matin là, Irma, impatiente, aussi en colère qu’une vieille dame ne supportant plus la chaleur, a frappé la Floride et Key West. Dessine-moi un dimanche s’est alors magiquement transformée en émission spéciale, mais Michel Tremblay, à qui on avait lancé une invitation, a choisi de quand même se joindre à nous. Sa maison se trouvant à Key West, peut-être espérait-il des nouvelles fraîches ou, inquiet pour sa demeure – et il l’était, puisqu’il y avait péril –, préférait-il être avec nous dans l’œil du cyclone.

Key West, c’est là qu’il écrit, non pas face à la mer, comme on imagine trop souvent les auteurs, mais dans une toute petite pièce, histoire que les idées qui lui viennent ne s’enfuient pas. Ce matin-là, toujours, il a confié que si sa maison devait être détruite par la tempête, il n’écrirait probablement plus et que Le peintre d’aquarelle, qu’il venait de terminer, serait probablement son dernier roman, parce que si son espace s'envolait, peut-être imaginait-il que son imagination en ferait autant.

Dimanche dernier, quand il est revenu, entrant dans le studio du même pas tranquille, il nous a avoué que sa petite maison, située à quelques rues du bord de la mer, avait tenu le coup, que seule la végétation avait souffert et que ses cactus s’étaient retrouvés dans sa piscine. Triste fin pour des cactus, convenons-en!

Toute ma vie, Tremblay m’a accompagné, par son théâtre, ses Chroniques du Plateau Mont-Royal, son Il était une fois dans l’Est, par lequel André Brassard a imprimé le monde de Tremblay sur pellicule, etc. Il nous entraînait dans un univers qu’on ne connaissait pas toujours, celui de la Main, d’Hosanna et de Cuirette, et d’autres qu’on connaissait bien, et que surtout le petit garçon du coin des rues Saint-Denis et Saint-Zotique que j’avais été reconnaissait bien, celui des timbres Gold Star, que s’échangeaient les « matantes », et des petits appartements aux cuisines faussement grandes, où se dessinait la vie.

Il m’a fait découvrir le théâtre, un autre type que le théâtre classique qui nous occupait au collège. Il m’a fait découvrir, dis-je, que le théâtre, c’est aussi la vie, la vraie vie.

Et un jour, dans les années 1970, je suis devenu journaliste et le journaliste n’avait d’autre choix que de suivre Michel Tremblay pas à pas, parce qu’il était là, présent, omniprésent. Plus d’une fois, nous nous sommes croisés, plus d’une fois nous avons discuté, et plus d’une fois je l’ai interviewé.

Quand il est entré dans le studio, il marchait doucement, comme s’il avait fini de courir, comme s’il avait tout son temps.

Michel Tremblay au studio 17 de la Maison de Radio-Canada, le 5 novembre 2017
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En octobre 2017, Michel Tremblay a reçu le prestigieux prix Prince Pierre de Monaco pour l'ensemble de son oeuvre.

Photo : Radio-Canada / Mathieu Arsenault

Je me suis rappelé qu’il avait 76 ans et qu’il avait vieilli puisque, même si une douzaine d’années nous séparent, j’avais vieilli aussi. Je l’ai trouvé serein, calme. Je crois même qu’il est heureux et qu’il traverse une belle période de sa vie bien remplie. Sur son parapluie tombent un à un les prix. Encore. À Monaco, au Québec… Toutefois, je ne crois pas que c’est ce qui le rend si paisible.

Ce que j’ai toujours aimé, je crois, chez Michel Tremblay, c’est qu’il ne s’est jamais mis la tête dans le sable. Il n’a jamais caché qui il était, s’est toujours moqué, comme le chante Aznavour, des « lazzis et des quolibets ».

Aujourd’hui, il ne cherche pas à dissimuler la vieillesse et les années passées. Son roman Le peintre d’aquarelle, c’est lui. Bon, d’accord, ce n’est pas lui, c’est Marcel, un des milliers de personnages qu’il a décrits dans leur humanité. C’est le fils d’Albertine, qu’il avait oublié, abandonné en cours de route et qu’il retrouve aujourd’hui, à 76 ans, toujours un peu schizo, à Nominingue, où il a été enfermé dans la vingtaine.

Quand je dis que Marcel, c’est lui, ce n'est pas dans sa maladie, bien entendu. Marcel, c’est lui, à 76 ans, qui écrit son journal et qui peint des aquarelles, qui revoit la vie en mots et en image, et qui écrit un journal au jour le jour. C'est lui, qui retrouve son personnage Marcel, qui a traversé magnifiquement Les chroniques du Plateau Mont-Royal avec son chat invisible. Lui, qui peint « sans savoir ce que ça va donner » et qui écrit avec « contrôle et précision ».

C’est un beau roman sur le temps qui passe, sur la folie, sur l’imaginaire, sur le vrai et le faux…

Je ne sais pas s’il s’agira de son ultime roman. On peut prendre une pause, mais peut-on vraiment, quand on est Michel Tremblay, s’arrêter?

Après avoir passé un bon moment avec nous dans ce studio que Dany Laferrière appelle le bistro du dimanche matin, Michel Tremblay, en apparence ravi d’avoir discuté, s’est levé. Je l’ai regardé partir tout doucement, comme s’il avait fini de courir, comme s’il avait tout son temps.

Franco Nuovo anime l'émission Dessine-moi un dimanche (Nouvelle fenêtre) à ICI Radio-Canada Première les dimanches à compter de 6 h.

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