George Reinitz : survivant de l’Holocauste, lutteur et mécène

George Reinitz, ancien lutteur et mécène
Photo : Radio-Canada
À 85 ans, George Reinitz vient de publier son autobiographie : Wrestling with life: From Hungary to Auschwitz to Montreal (Lutter avec la vie : de la Hongrie à Auschwitz et à Montréal). Il a d'abord lutté pour sa vie, au sens propre, au camp de concentration d'Auschwitz en Pologne. Puis il l'a fait au sens figuré sur les tapis de lutte.
Un texte d’Antoine Deshaies
George Reinitz ne passe pas inaperçu lorsqu’il visite le gymnase qui porte son nom dans le quartier Côte-des-Neiges, à Montréal (George & Eleanor Reinitz Wrestling Center). L’enceinte a été construite en 1999 grâce à un don de 500 000 $ de la famille Reinitz.
À la moindre occasion, les lutteurs, en sueur, viennent lui serrer la main avant de sortir prendre une gorgée d’eau.
La réputation du gymnase dépasse largement les frontières du Québec. On vient de partout au pays pour s’y entraîner.
« On produit des champions du monde et des athlètes olympiques ici », explique fièrement Victor Zilberman, entraîneur.
Le gymnase, construit dans un centre communautaire juif, a effectivement produit des champions qui sont aujourd’hui devenus entraîneurs au même endroit, comme Martine Dugrenier et Guivi Sissaouri, médaillé d’argent aux Jeux d’Atlanta.
« Il est un exemple pour n’importe quel immigrant, dit Guivi Sissaouri, lui-même immigrant géorgien. C’est un homme très généreux qui a un impact réel sur les prochaines générations. »
C’est aussi au George & Eleanor Reinitz Wrestling Center que Georges St-Pierre a acquis ses notions de lutte.
« George Reinitz c'est un homme incroyable, confie Georges St-Pierre. Il est toujours de bonne humeur et toujours positif. Il m’a beaucoup aidé. Je m’entraîne là depuis plus de 15 ans et je ne serais pas où je suis dans ma carrière et dans ma vie si je n’avais pas pu m’entraîner là. »
De la Hongrie, à Auschwitz et à Montréal
George Reinitz est né en Hongrie en 1932. À 12 ans, en 1944, il est emmené avec sa famille au camp de concentration d’Auschwitz, en Pologne.
Il est séparé de sa mère et de sa sœur de 9 ans à son arrivée au camp. Il ne les reverra plus.
Son père, emprisonné avec lui, lui sauvera la vie.
« Chaque jour, des trains arrivaient avec de nouveaux prisonniers pour travailler; donc, on ne prenait pas la peine de nous nourrir, se rappelle Reinitz. Mon père me donnait les rares portions de nourriture qu’il trouvait. »
C’est à Auschwitz qu’il a appris l’importance du partage. Il partageait le peu qu’il avait avec ses compagnons d’infortune.
Déjà, à 12 ans, George Reinitz était costaud, ce qui lui a permis de travailler avec les hommes, souvent 14 heures par jour.
« On nous faisait passer sous une barre, et si on était assez grand pour y toucher, on avait le droit de travailler, explique-t-il. Sinon, on vous envoyait à la chambre à gaz. J’étais fort et déterminé. C’est comme ça que j’ai pu survivre. »
Il est resté 9 mois à Auschwitz et en est sorti sans famille. Il est arrivé à Montréal en 1948 grâce à un programme d’immigration pour orphelins. Il avait 16 ans, n'avait pas un sous et qu'une cinquième année d'études.
La lutte deviendra sa première passion une fois qu'il se sera installé à Montréal.
« J’aimais le côté individuel du sport. On est l’unique responsable de nos actions et de nos décisions, explique Reinitz. J’avais aussi beaucoup de colère et de rage en moi après la guerre, et la lutte était l’exutoire parfait. Nous, les Juifs, on ne s’était pas tenus debout pour se défendre. On a accepté d’être humiliés et bousculés. Je me suis dit que plus jamais je n’allais me laisser faire et que, dorénavant, j’allais me lever pour défendre les plus faibles. »
Il obtient rapidement du succès sur les tapis et remporte deux titres nationaux dans les années 50. Il rate la qualification pour les Jeux olympiques de 1956 de peu. Une fracture à un doigt avait nui à son entraînement.
L’année suivante, il porte le drapeau canadien aux Jeux Maccabi, en Israël. C’est une variante des olympiques, réservée à la communauté juive planétaire.
Il deviendra ensuite entraîneur et entrepreneur, sans jamais quitter la lutte.
Un héritage familial
Il a fondé, en 1956, l’entreprise de fabrication de meubles Jaymar à Terrebonne, qui a commandité plusieurs athlètes. À un certain moment, il employait plus de 400 travailleurs. Il a vendu l’entreprise en 2000.
Aujourd’hui encore, il aide financièrement les athlètes qui s’entraînent au gymnase Reinitz. Il tire une grande fierté de son mécénat. Il s’entretient et parle avec passion de ses jeunes protégés.
« Je ne pourrai jamais rembourser tout ce que mon pays d’accueil m’a donné, confie Reinitz. Le Canada a été très bon pour moi, et j’espère avoir été bon en retour. »
Sa générosité est grandement reconnue au gymnase. La lutteuse Linda Morais vient le saluer. Elle est partie de Windsor, en Ontario, et a emménagé à Montréal pour pouvoir s’entraîner à ce gymnase.
Lorsqu’on lui demande si elle se rendra aux Olympiques, elle répond : « Je l’espère ». Reinitz s’interpose : « Bien sûr qu’elle ira. Bien sûr. Nous travaillons pour ça ».
Reinitz n’a que des éloges pour Linda, mais aussi pour tous les athlètes réunis au gymnase en ce mardi soir d’octobre.
Lui, l’orphelin d’Auschwitz, parti de rien, est aujourd’hui le patriarche d’une famille de 18 membres qu’il a fondée avec sa compagne des 60 dernières années, Eleanor.
« C’est un bonheur de voir tous ces jeunes s’entraîner, dit Eleanor Reinitz. Ils parlent français, anglais, arabe et sont réunis par la passion de mon mari. »
George, lui, promet que sa famille aidera la lutte canadienne encore longtemps.