Meurtre au Maxi : le psychiatre de la défense est-il en conflit d'intérêts?

Un psychiatre peut-il évaluer la responsabilité criminelle d'un accusé de meurtre tout en traitant l'une des victimes collatérales du crime? Devant cette situation, la poursuite a soulevé des doutes sur l'éthique du psychiatre Louis Morissette, embauché par les avocats de Randy Tshilumba, accusé d'avoir tué une jeune employée du Maxi en 2016.
Un texte de Geneviève Garon
« C'est une question de crédibilité », a martelé la procureure aux poursuites criminelles et pénales, Catherine Perreault.
Elle a tenu ces propos lors d'un débat hors jury qui a eu lieu le 11 octobre dernier, deux semaines après la fin du témoignage de l'expert en psychiatrie légale Louis Morissette, qui estime que l'accusé est non criminellement responsable en raison d'un trouble délirant. Maintenant que les jurés délibèrent, il est possible de révéler des échanges qui se sont produits en leur absence.
Un employé du Maxi a aussi consulté le psychiatre
Dans les dernières semaines, un membre du personnel du Maxi a communiqué avec Me Perreault, fort mécontent. L'homme a été un patient du psychiatre Louis Morissette au printemps dernier pour soigner son stress post-traumatique à la suite du meurtre. Il n'a pas été témoin de l'attaque, mais il a tenté de sauver la victime en lui prodiguant les premiers soins. Il a aussi aidé les policiers avec les bandes vidéo des caméras de surveillance du commerce.
L'homme a appris dans les médias que son psychiatre avait commencé à évaluer l'accusé une semaine avant de le rencontrer pour la première fois.
Selon la procureure, le Dr Morissette s'est possiblement placé en conflit d'intérêts en acceptant les deux dossiers.
Elle a plaidé devant le tribunal qu'il faudrait convoquer à nouveau le Dr Morissette à la barre des témoins pour le contre-interroger et vérifier s'il a commis une erreur déontologique.
Me Perreault voulait que le jury soit informé de sa « façon de travailler » et en tire les conclusions qu'il souhaite sur la « crédibilité » du témoin expert. La question était entre autres de savoir si des informations obtenues lors de ses consultations avec l'employé du Maxi pouvaient avoir teinté son évaluation de Randy Tshilumba.
Les avocats de l'accusé, Philippe Larochelle et Sébastien Chartrand, ont plaidé devant la juge Hélène Di Salvo qu'il n'y avait aucune preuve de conflit d'intérêts et qu'il était inutile de ramener le Dr Morissette à la barre des témoins.
À soumettre au Collège des médecins du Québec?
Dans sa décision, la juge Di Salvo a qualifié les arguments de la poursuite de « pures hypothèses » à ce stade-ci. Selon elle, il n'y a pas d' « assises concrètes » pour penser que le psychiatre est en conflit d'intérêts et a rejeté la demande de la poursuite. Elle a aussi mentionné que de rappeler le Dr Morissette pour un contre-interrogatoire entraînerait des délais importants au procès, puisque le psychiatre était à l'extérieur du pays pour quelques semaines.
Plus tôt dans la journée, la juge avait soulevé que le problème potentiellement déontologique devrait peut-être être soumis au Collège des médecins du Québec plutôt qu'à la Cour supérieure.
Le procès de Randy Tshilumba a donc suivi son cours et les plaidoiries ont eu lieu deux jours plus tard.
Le psychiatre se défend
Joint par Radio-Canada, le Dr Morissette se défend de s'être placé en situation de conflit d'intérêts. Il explique que l'employé du Maxi lui a été référé par la Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail et qu'il s'agit d'un dossier complètement différent.
Si l'employé avait été témoin du meurtre, il assure qu'il l'aurait référé à un collègue. Mais comme ce n'était pas le cas, le psychiatre ne voit pas en quoi les confidences de son patient pourraient l'avoir influencé dans le dossier de l'accusé.
« Il était dans l'arrière-boutique et n'a rien vu de l'incident. [...] Il m'a juste parlé du sang sur la victime et de l'impact sur lui. Ça ne change rien à ce que j'ai pensé de l'accusé. »
Louis Morissette affirme que de toutes façons, il est devenu familier avec les images sanglantes de la scène de crime, puisque la cour lui a fourni des photos et le rapport d'autopsie.
Louis Morissette a déjà reconnu avoir menti à la cour
Ce n'est pas la première fois que la crédibilité du psychiatre Louis Morissette, affilié à l'Institut médico-légal Philippe-Pinel, est mise en doute.
En 2011, il avait été acquitté d'accusations de parjure et d'entrave à la justice. Lors de son témoignage au procès de Francis Proulx, qui a été reconnu coupable du meurtre de Nancy Michaud, l'ancienne attachée politique du défunt ministre Claude Béchard, l'expert avait affirmé sous serment avoir écouté le témoignage audio de l'accusé à une date où l'enregistrement n'était pas encore disponible. Lors du contre-interrogatoire mené par la poursuite, le Dr Morissette avait admis « avoir menti » et « s'être trompé ».
Lors de son procès, le tribunal a conclu qu'il n'avait pas eu l'intention de tromper la cour.
Au début de son témoignage au procès de Randy Tshilumba, Louis Morissette a affirmé avoir 34 ans d'expérience dans sa pratique. Il est régulièrement embauché par des avocats de la défense pour évaluer des accusés et a affirmé ne pas avoir témoigné pour la poursuite depuis une dizaine d'années. Il avait entre autres été embauché par les avocats de l'ex-cardiologue Guy Turcotte, reconnu coupable du meurtre de ses deux enfants.
Quatre verdicts possibles pour Tshilumba
Mardi en fin d'après-midi, les cinq femmes et sept hommes qui composent le jury ont entamé leurs délibérations. Ils doivent trancher à l'unanimité entre quatre verdicts : meurtre prémédité, meurtre non prémédité, homicide involontaire et non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux.
L'acquittement n'est pas une option, puisque Randy Tshilumba, 21 ans, reconnaît avoir poignardé à mort Clémence Beaulieu-Patry le 10 avril 2016 dans une épicerie Maxi de Montréal. Par contre, il affirme avoir souffert d'un trouble mental qui l'empêchait de faire la distinction entre le bien et le mal, ce qui est appuyé par les témoignages de deux psychiatres.
L'accusé a témoigné qu'il se sentait persécuté par Clémence Beaulieu-Patry et quatre de ses amies et qu'il était persuadé qu'elles allaient le tuer. Il affirme s'être rendu au Maxi pour faire la paix avec la victime, mais avoir soudain eu la conviction qu'il devait se protéger et défendre les clients de l'épicerie contre la jeune femme.
La poursuite a plutôt tenté de démontrer que c'était un meurtre commis de façon préméditée et délibérée. Randy Tshilumba s'était rendu au Maxi à trois reprises dans la semaine précédant le meurtre. Le ministère public insiste sur le fait qu'il avait apporté des vêtements de rechange pour modifier son apparence après le crime, qu'il s'est caché de la police dans les toilettes d'un Tim Hortons pendant sept heures après le meurtre où il a fait des recherches sur Internet pour cacher son couteau et faire disparaître les taches de sang.
Le procès dure depuis un mois et demi.
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