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Bond du nombre de « bébés passeports » au Canada

Avec son mari et sa fille dans une poussette, Urszula, enceinte, marche au Jardin botanique de Montréal.

Urszula, son mari, Piotr, et leur fille de 2 ans

Photo : Radio-Canada

Radio-Canada
Prenez note que cet article publié en 2017 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.

De plus en plus de femmes originaires de pays étrangers viennent au Canada pour donner naissance à leurs bébés, dans le but d'obtenir pour leur progéniture un passeport canadien. Le Canada est, avec les États-Unis, un des rares pays qui pratiquent ce qu'on appelle « le droit du sol ». Tout enfant né ici peut obtenir automatiquement la nationalité canadienne. Une situation qui inquiète des médecins en raison des risques que représente cette pratique pour la santé des femmes.

Un texte d'Alexandra Szacka

C’est le cas d’Urszula et Piotr, son mari, un couple de professionnels dans la trentaine, venus de Pologne à Montréal en août dernier avec leur petite fille de deux ans. Urszula était alors à sa 32e semaine de grossesse.

À l’aéroport de Toronto, où ils ont atterri, l’officier d’immigration n’a pas posé de questions, malgré la grossesse évidente de la jeune femme. S’il l’avait fait, Urszula avait une réponse toute prête. Elle a une tante à Vancouver, ils allaient passer des vacances chez elle. Mais la jeune famille n’avait aucune intention d’aller à Vancouver. Leur destination a toujours été Montréal.

Arrivés ici, ils ont tout de suite commencé à « magasiner » une maison de naissances. Urszula voulait accoucher à la maison, avec une sage-femme. C’est moins cher et plus proche de ses valeurs. Pour que la naissance soit enregistrée en bonne et due forme, il fallait qu’elle ait lieu soit dans un hôpital, soit avec une sage-femme rattachée à une maison de naissances.

À cause de la grossesse avancée d’Urszula, il n’a pas été facile de trouver une maison de naissances prête à la prendre sur-le-champ. Mais tout est bien qui finit bien. Elle a finalement été prise en charge par la maison de naissances de Terrebonne. La petite Erna est née une nuit de pleine lune, sept semaines après l’arrivée de ses parents en sol canadien.

« Une petite Canadienne », a murmuré sa mère, tenant pour la première fois sa fille dans ses bras.

Les statistiques canadiennes montrent que de plus en plus de ces bébés passeports naissent au Canada.

S’il est difficile d’obtenir des données globales (le Québec ne fait pas partie des statistiques pancanadiennes, tandis que les maisons de naissances et les naissances accompagnées par sages-femmes ne sont pas comptabilisées), on peut voir que le nombre d’hospitalisations de mères non résidentes qui ont accouché dans des hôpitaux canadiens est passé de 1362 en 2010-2011 à 3228 en 2016-2017, un bond de 237 % au cours de cette période.

Comme le Québec ne comptabilise d’aucune manière ces naissances, nous avons dû demander à quelques hôpitaux de nous fournir des données. Il n’y a que l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont qui semble tenir ce type de statistiques. Dans cet établissement, le nombre de femmes qui ont accouché sans avoir de carte d’assurance maladie est passé de 43, en 2014-2015, à 75 au dernier exercice financier.

Lit et équipement pour un examen obstétrique
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Salle pour effectuer une échographie

Photo : Radio-Canada

Une situation « dramatique »

Mais on sait que, dans les hôpitaux de l’ouest de Montréal et particulièrement dans les hôpitaux anglophones, il y en a beaucoup plus.

Selon la gynécologue obstétricienne Johanne Lalande, qui pratique à l’Hôpital de LaSalle et dans deux cliniques de l’ouest de l’île de Montréal, la situation est devenue quasi dramatique. « Depuis un an, c’est l’explosion, dit-elle. Là, c’est de l’ordre d’une à deux demandes par jour, qu’on soit à l’hôpital ou au bureau. »

Selon elle, beaucoup de ces femmes courent d’importants risques pour la santé en voyageant en avion aussi tard pendant leurs grossesses.

« On augmente le risque d'avoir une thrombose, une embolie pulmonaire. Imaginons qu'elles entrent en travail, qu'elles fassent une hémorragie dans l'avion », dit-elle.

En plus, en arrivant à la fin de la grossesse, ces femmes exercent une énorme pression sur le système de santé, déjà surchargé, soutient la spécialiste. Elle doit souvent refuser des patientes en début de grossesse, ou retarder leur première visite, car elle est submergée par les demandes qui ne peuvent pas attendre de femmes venues de l’extérieur à quelques semaines et, parfois, à quelques jours de leur accouchement.

Le reportage d'Alexandra Szacka est présenté au Téléjournal à 21 h à ICI RDI et à 22 h à ICI Radio-Canada Télé.

Une zone grise

Il n’y a rien d’illégal à donner naissance à son enfant au Canada et à en faire, d’emblée, un citoyen canadien. Mais il s’agit d’une zone grise dans la loi qui n’est pas sans conséquence. Un agent d’immigration peut et même doit refuser l’entrée au Canada à une femme qui avouerait venir ici que pour accoucher. Mais la plupart ne le font pas, surtout parce qu’ils ne se rendent pas compte que les femmes sont enceintes, et la question n’est pas posée systématiquement.

Urszula et Piotr disent ne pas avoir l’impression de tirer avantage indûment du système de santé et des lois canadiennes.

«  »

— Une citation de  Piotr

Il a déjà déposé la demande de certificat de naissance pour sa petite Erna. Aussitôt qu’il l’aura en main, il ira au bureau des passeports pour demander un passeport canadien. Le tout ne devrait pas prendre plus de quelques semaines.

Ensuite, ce sera le retour en Pologne. Car la famille, pour l’instant, n’a pas l’intention d’émigrer au Canada. Cette seconde nationalité, Piotr et Urszula la veulent pour leur fille comme une police d’assurance. Au cas où les choses tourneraient mal dans leur pays, la Pologne étant en proie, depuis quelques années, à un nationalisme et à un populisme croissants.

L’aventure leur a coûté environ 30 000 $, si on compte les billets d’avion, la location de logement et l’accouchement. C’est un peu cher pour un passeport, non? « C'est peut-être cher, répond Urszula, mais en même temps, il me semble que ce n’est pas cher pour avoir la certitude que ton enfant a un plan B. »

Johanne Lalande voit cela d’un tout autre œil. « C’est une instrumentalisation du corps de la femme. La femme devient un peu comme un objet, comme une valise qui sert au transport d'un passager clandestin qui, lorsqu'il naît, devient un passager légal, avec un passeport canadien qui lui permet de voyager à travers le monde toute sa vie. »

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