Le wampum à deux voies : symbole d’autodétermination et de coexistence

Des membres du conseil de bande de la Première Nation des Chippewas de la Thames exposent un wampum à deux voies lors des audiences de l’Office National de l’Énergie concernant la demande d’Enbridge de renverser le flux de l’oléoduc 9B. Toronto, 2013.
Photo : The Canadian Press / Chris Young
Prenez note que cet article publié en 2017 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
L'actualité politique de ce wampum ne fait pas de doute. C'est le wampum le plus fréquemment invoqué devant les tribunaux par les peuples haudenosaunee [iroquois]. Il est aussi le plus représenté par les artistes et le plus souvent interprété devant les instances politiques parlementaires.
Troisième chronique sur les wampums de Jacynthe Ledoux
S’il est aussi significatif, c’est que ce wampum à deux voies incarne un principe d’autonomie des peuples [aussi appelé la gus-wen-tah], un principe bafoué au fil des siècles, notamment par l’intrusive Loi sur les Indiens.
Selon l’interprétation la plus commune du wampum à deux voies, une rangée pourpre représente le navire de la Couronne, alors que l’autre symbolise le canot des peuples autochtones. Les deux embarcations naviguent côte à côte sur la rivière de la vie, représentée par l’ensemble du wampum, mais ni l’une ni l’autre n’entrave la route de l’autre. Chacun demeure maître de sa propre voie, d’où le principe d’autonomie. Les trois rangs de perles blanches réfèrent quant à eux aux principes d’amitié, de paix et de respect mutuel censés guider les relations entre Autochtones et les peuples d’origine européenne, dits non-Autochtones.
Depuis le début des années 1980, le wampum à deux voies a été invoqué devant les tribunaux canadiens dans plus d’une dizaine de cas. Généralement, les parties qui le déposent en preuve sont d’ascendance haudenosaunee [iroquoise] et refusent d’être représentées par un avocat. Ici, l’absence de conseillers juridiques n’est pas une simple manifestation d’un manque d’accès à la justice. Il s’inscrit plutôt en continuité avec une posture de contestation de la juridiction des tribunaux canadiens qu’appuie une lecture du wampum à deux voies qui insiste sur le principe d’autonomie.

Un wampum à deux voies
Photo : Musée canadien de l’histoire / Steven Darby
La gus-wen-tah et le principe d’autonomie
Les deux rangées pourpres ne se touchent jamais. Elles évoluent éternellement en parallèle sans interagir. Cette lecture insiste sur le respect d’un espace d’autonomie qui s’articule en une stricte séparation entre les sociétés autochtones et non autochtones.
En termes simples, cela signifie que nos peuples différents doivent évoluer sur des pistes distinctes.
Ainsi lu, le principe d’autonomie au cœur de la gus-wen-tah justifie par exemple la non-participation autochtone aux élections provinciales ou fédérales canadiennes. En d’autres mots, il s’agit d’un refus d’interférer avec le système politique de l’autre. En contrepartie, les non-Autochtones ne doivent pas s’interposer dans les affaires internes autochtones.
Devant les tribunaux, cette lecture du wampum à deux voies s’exprime comme un rejet de la juridiction des tribunaux canadiens sur les peuples haudenosaunee. Dans certains cas, les parties autochtones qui demandent explicitement le respect de leurs propres traditions juridiques vont demander aux tribunaux canadiens de les extrader vers les instances judiciaires de leur propre communauté afin d’être jugées par leurs pairs selon des mécanismes d’adjudication traditionnelle auxquels ils reconnaissent une légitimité.
Cette posture s’incarne aussi par la revendication d’une souveraineté autochtone extérieure au fédéralisme canadien. Elle explique notamment la production de passeports haudenosaunee, la contestation de la frontière canado-américaine qui divise les territoires traditionnels en une déroutante mosaïque de juridictions différentes. Par exemple, le territoire de la réserve d’Akwesasne est divisé entre le Québec, l’Ontario, l’État de New York, la réserve mohawk canadienne et la réserve mohawk américaine.
Cette lecture du wampum à deux voies en est une parmi d’autres. La traiter comme une réponse complète nie la richesse et la complexité des débats qui entourent la question de l’interprétation de ce puissant symbole politique. La vivacité des traditions juridiques autochtones d’aujourd’hui exige de comprendre chaque wampum à la lumière des multiples courants d’interprétation qui se sont développés et continuent de faire l’objet de débats au sein des sociétés autochtones.
D’autres interprétations, plus axées sur la coexistence des sociétés canadiennes et autochtones, méritent d’être examinées.
La gus-wen-tah et la coexistence basée sur le respect, la paix et l’amitié
Trois rangs horizontaux de perles blanches entourent chaque rangée de perles pourpres. Toute cette blancheur a un sens. L’un de ces traits blancs incarne un principe de respect, l’autre un principe de paix et le troisième un principe d’amitié qui doivent lier les peuples autochtones et non autochtones.
Ces trois rangées blanches ont été décrites comme une zone d’absorption des chocs interculturels entre sociétés autochtones et non autochtones. Elles invitent au mutualisme et à l’interdépendance. Cette lecture de la gus-wen-tah permet de concevoir une citoyenneté canadienne qui inclue à la fois les Autochtones et les non-Autochtones.
L’insistance sur ces notions de paix, d’amitié et de respect nuance, voire contrebalance le message de séparation absolue entre les deux rangs pourpres qui symbolisent l’autonomie totale des trajectoires des peuples. Ces trois rangées de perles blanches insistent sur l’interdépendance fondamentale de nos sociétés respectives.
Pour l’avenir et pour mieux comprendre toute la puissance symbolique de ce wampum essentiel, il faut, d’après le professeur de droit d’origine anichinabée John Borrows, s’intéresser également aux wampums explicitement mentionnés dans les transcriptions des échanges de la conférence de Niagara. Selon lui, ces wampums informent la manière dont le wampum à deux voies s’interprète.
Ces wampums échangés à Niagara lors de l’importante conférence de 1764 qui réunissait quelques centaines de chefs autochtones feront l’objet de la prochaine chronique.

Jacynthe Ledoux, avocate spécialisée en droit autochtone et en droit de l'environnement.
Photo : Radio-Canada / Jean-François Villeneuve
Jacynthe Ledoux est avocate spécialisée en droit autochtone et en droit de l'environnement. L'Association des professeurs de droit du Québec lui a décerné en 2017 le prix de la meilleure thèse en droit du Québec.