Education francophone : l'officiel et l'officieux dans le recrutement des enseignants

Les carnets de Jean-Marie
Photo : Radio-Canada
Les écoles francophones de l'Ouest canadien ont-elles fait des progrès pour recruter des enseignants à la hauteur de la diversité culturelle qui résulte de l'immigration dans cette partie du pays? J'ai eu envie d'explorer cette question après avoir écouté l'émission « Les Samedis du monde » le 9 septembre dernier.
Un texte de Jean-Marie Yambayamba
La chercheuse Ghizlane Laghzaoui a répété au micro d'Arnaud Decroix le message qui remonte à sa thèse de doctorat défendue en 2011 : les enseignants formés en Colombie-Britannique ont de la difficulté à se faire embaucher par le Conseil scolaire francophone de la province (CSF). Est-ce que la situation est différente en Alberta? J'ai cherché à faire le point. Aujourd'hui : premier volet.
L'officieux contredit le discours officiel
Ghizlane Laghzaoui, professeure de français et chercheuse en leadership éducationnel à l'Université de la Vallée du Fraser (UVF) en Colombie-Britannique, soutient avoir confirmé sa propre expérience en interrogeant des enseignants formés en Colombie-Britannique.
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Selon elle, le problème n'est pas d'obtenir une entrevue d'embauche, mais la « zone de gris » à la conclusion du processus. « On vous dit qu'on n'a pas de poste permanent à vous offrir, mais qu'on veut bien vous engager comme suppléant, à la bibliothèque ou à la surveillance pendant la récréation, par exemple. (...) Ceux qui ont été titularisés n'ont pas vu leurs problèmes disparaître. Ils ont été insérés professionnellement, mais ils n'ont pas été intégrés. »
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En Alberta, Alphonse Ndem Ahola, président du groupe Francophonie albertaine plurielle (FRAP) m'a rappelé avoir exposé une problématique similaire en 2014 à Henri Lemire, alors directeur général du Conseil scolaire Centre-Nord. « Nous avons remarqué un grand décalage entre la configuration de la population scolaire et la configuration de la population enseignante. Les enseignants et le personnel de l'école ne reflètent pas du tout la diversité de la population scolaire générale. Malheureusement, le directeur général de l'époque nous avait justement avancé le même argument selon lequel des enseignants d'origine immigrante n'étaient pas compétents pour enseigner dans les écoles. »
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Robert Lessard, le successeur d'Henri Lemire, ne nie pas que le recrutement ait posé des problèmes de ce genre dans son conseil scolaire. « Oui, on a eu à passer à travers ce genre d'épisode-là. Depuis mon arrivée, j'espère avoir encouragé, emmené les différentes associations, les membres de la communauté à croire que nous sommes engagés d'abord et avant tout envers la réussite de nos élèves, le développement intégral de nos élèves. »
Robert Lessard souligne cependant que les meilleurs candidates et candidats enseignants seront appelés à jouer un rôle en ce sens, non sans rappeler que son conseil scolaire n'a pas été à l'abri des pratiques antérieures.
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Les habitudes de recrutement
Mais la situation peut-elle vraiment changer si les habitudes de recrutement restent les mêmes? Selon Ghizlane Laghzaoui, les participants à son étude lui ont expliqué qu'ils sont confrontés à la discrimination à l'embauche et que leur intégration professionnelle est extrêmement difficile, voire impossible, parce qu'ils n'appartiennent pas à la culture francophone du Canada. « La raison d'être des écoles francophones en Colombie-Britannique, note la chercheuse, le mandat essentiel de l'école était effectivement de maintenir la langue et la culture francophone. J'insiste sur le singulier. »
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La chercheuse ne croit pas cependant qu'il y ait une volonté d'exclusion dans un tel mandat. Elle pense, par contre, que l'immigration a énormement changé en termes démographiques et culturels, mais les écoles francophones n'ont pas suivi ce changement sociétal.
« Les ressources humaines se sont déplacées très régulièrement vers l'Université de Montréal pour recruter de jeunes enseignants. Et là, j'insiste. Je n'ai rien contre le mot "jeunes", mais ce sont de jeunes diplômés. » Elle explique que le problème avec cette piste, c'est qu'il s'agit souvent de personnes qui viennent en C.-B. pour perfectionner leur anglais, après quoi ils retournent au Québec et la spirale de recrutement reprend.
Un contexte de pénuries difficiles à combler
Il faut cependant reconnaître que les deux universités qui fournissent des programmes de formation d'enseignants en français en C.-B. mettent sur le marché du travail une cinquantaine d'enseignants chaque année. Ceux-ci doivent malheureusement être partagés entre le programme-cadre, le programme d'immersion et le programme francophone.
En Alberta, le Campus Saint-Jean a enregistré 71 enseignants diplômés l'an dernier. « 65 d'entre eux avaient déjà un contrat, les autres ne l'avaient pas soit parce qu'ils étaient en déplacement, ou n'avaient pas encore fait une demande ou attendaient une réponse », m'a expliqué Denis Fontaine, adjoint au doyen et responsable de la gestion des études. Cependant une étude de marché ramène à la réalité. La recherche, indique Denis Fontaine, montre que les besoins d'enseignants sont criants dans les écoles francophones et les écoles d'immersion française dans l'Ouest canadien. En Alberta, le Campus Saint-Jean doit former deux fois plus de diplômés qu'actuellement pour avoir un impact.
Le Conseil scolaire Centre-Nord assure avoir embauché 25 enseignants permanents cette année. Mais la plupart des nouveaux enseignants avaient déjà des contrats temporaires au printemps. Par ailleurs, pour composer avec les besoins à venir, notamment en raison des départs à la retraite, le conseil doit poursuivre son recrutement.
Prochain volet
La situation étant décrite, qu'est-ce qui est vraiment sous-jacent à la problématique du recrutement des enseignants dans un contexte de diversité culturelle ici chez nous? Quatre thèmes semblent pouvoir m'aider à répondre à cette question : la langue, la culture, les compétences pédagogiques et la disponibilité des ressources. Ce sera le deuxième volet de ma réflexion dans mon prochain carnet.