Suivez le parcours des demandeurs d'asile dans les méandres de la bureaucratie

Des demandeurs d'asile au poste frontalier de Saint-Bernard-de-Lacolle
Photo : Reuters / Christinne Muschi
Presque un Haïtien sur deux s'est fait refuser le statut de réfugié par le passé, et rien n'indique qu'il en sera autrement dans les mois à venir. Les milliers d'Haïtiens en provenance des États-Unis pourraient même avoir plus de difficulté à obtenir un tel statut puisqu'ils ont quitté Haïti depuis des années, indiquent des spécialistes. Entre l'entrée au pays et la possible expulsion, voici le parcours du combattant du demandeur d'asile.
Un texte de Vincent Champagne
1 - À la frontière, remplir des formulaires…
Lorsqu’un demandeur d’asile est intercepté après un passage illégal de la frontière, les agents des services frontaliers lui remettent des formulaires.
Les documents sont complexes. Il doit donner toutes ses adresses des dix dernières années, sa scolarité, ses emplois, l’historique de ses voyages, répondre à des questions administratives (a-t-il déjà été arrêté et emprisonné? A-t-il déjà déposé des demandes d’asile dans d’autres pays?)
Son passeport est saisi. Une mesure d’interdiction de séjour (MIS) est prononcée contre le migrant, mais elle est conditionnelle au résultat de la demande d’asile.
2 - … et attendre
En temps normal, la recevabilité d’une demande est étudiée le jour même par un agent d’immigration. Or, en ce moment, puisque les demandeurs d'asile sont trop nombreux, ils obtiennent un rendez-vous avec un agent bien plus tard – on parle de trois ou quatre mois d’attente.
À ce moment, ils seront reçus au bureau d'Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada au centre-ville de Montréal.
Une demande peut ne pas être recevable, par exemple lorsqu'une personne a un casier judiciaire pour « grande criminalité ». Elle serait alors transférée au Centre de surveillance de l’immigration, situé dans le quartier Saint-Vincent-de-Paul, à Laval.
3 - Si la demande est jugée recevable…
Si tout va bien, l’agent délivre un « document du demandeur d’asile ». Il s’agit d’un papier brun avec la photo du migrant ainsi que ses informations personnelles.
Muni de ce document, le demandeur peut obtenir des services, notamment une couverture de santé de base, puisqu’il devient admissible au Programme fédéral de santé intérimaire (PFSI).
4 - … il faut remplir d’autres documents
Une fois la demande d’asile jugée recevable, le migrant a 15 jours pour remplir le formulaire « Fondement de la demande d’asile » (FDA).
C’est dans ce document que le demandeur d’asile raconte son histoire.
Avez-vous, vous ou votre famille, déjà subi un préjudice, de mauvais traitements ou des menaces dans le passé de la part d'une personne ou d'un groupe?
Si vous retourniez dans votre pays, croyez-vous que vous subiriez un préjudice, des mauvais traitements ou des menaces de la part d'une personne ou d'un groupe?
Pourquoi avez-vous quitté votre pays à ce moment-là et non plus tôt, ou plus tard?
5 - C’est l’heure de l’audience
Le demandeur d'asile envoie ces documents à la Commission de l’Immigration et du statut de réfugié du Canada (CISR). La loi prévoit qu’une date d’audience doit être fixée dans les 60 jours, ce qui est fait, mais pour plusieurs raisons, dont la forte demande, ces rencontres sont souvent remises.
Le jour de l’audience, qui se fait à huis clos, le demandeur d’asile doit répondre à toutes les questions d’un commissaire.
Ce dernier va évaluer sa crédibilité et celle de son histoire. La crainte de la persécution doit être actuelle, indique Me Stéphane Handfield, avocat spécialisé en droit de l’immigration. « Ce n’est pas suffisant de dire qu’on a été persécuté en 2009, il faut faire la démonstration qu’il y a une crainte aujourd’hui », dit-il.
Il faut aussi que la crainte pour sa vie soit personnelle, et non pas généralisée. Par exemple, une personne ne pourrait déplorer des phénomènes de corruption et de banditisme de manière générale en Haïti sans démontrer en quoi cela l’affecte personnellement, ajoute Me Handfield.
La rencontre avec le commissaire dure, en moyenne, de deux à trois heures. C’est une expérience qui peut s’avérer difficile pour les demandeurs d’asile, confrontés à des questions serrées.
6 - … puis l’heure de la décision
Après l’audience, le commissaire de la CISR va prendre le temps d’analyser les preuves. Il prend ensuite une décision, qu’il livre toujours par écrit.
« Que ce soit positif ou négatif, il y a une analyse, avec un résumé des faits et une vérification de la crédibilité de la personne », indique Me Chantal Ianniciello, avocate spécialisée en droit de l’immigration.
« Des fois, on reçoit la décision verbalement le jour même, des fois on attend des mois », indique Me Ianniciello. En moyenne, la décision est rendue après quatre à six semaines, estime-t-elle.
7 - En cas de refus, l’appel
Presque tous les demandeurs d’asile refusés tentent leur chance auprès de la Section d’appel des réfugiés (SAR) de la Commission, indique Me Ianniciello.
L’avocat va tenter de trouver et de faire ressortir des erreurs d’évaluation. Par exemple, un Haïtien pourrait invoquer le fait que son homosexualité n’a pas été prise en considération par le commissaire.
Avant même l’afflux actuel de demandeurs d’asile, le processus d’appel pouvait prendre plus d’un an.
8 - Après l’appel, la Cour fédérale
En cas d’un nouveau refus, il ne reste plus au migrant qu’un recours : une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire (DACG) devant la Cour fédérale. Très peu de dossiers sont acceptés, indique Me Diane Petit, directrice du bureau d’Aide juridique – droit de l’immigration de Montréal-Laval.
L’avocat va tenter de démontrer au juge qu’il y a des erreurs sérieuses au dossier. Le juge va trancher, mais n’a pas le pouvoir d'infirmer la décision, qui devra être réévaluée par la Section d’appel des réfugiés.
9 - Ultime refus
Le demandeur d’asile arrive à la fin de ses recours. Si la CISR maintient sa décision de lui refuser le statut de réfugié, la mesure d’interdiction de séjour (MIS) établie lors de l’arrivée devient exécutoire.
« La personne va continuer de travailler et de faire ses affaires, explique Me Diane Petit. Elle va attendre de recevoir une lettre de l’Agence des services frontaliers pour venir les rencontrer. Ça prend des mois. »
10 - Une autre vérification des risques
Si l'expulsion est fixée plus d’un an après la date de la dernière décision de la Section d’appel (SAR), le demandeur d’asile peut demander un examen des risques avant renvoi (ERAR). « Ça prend encore des mois », indique Me Petit.
11 - L’avion…
Le migrant peut acheter son billet d’avion par lui-même, ou se faire transporter aux frais du Canada, mais s’il choisit cette deuxième option, il contracte une dette de 1500 $ envers le pays, à payer si un jour il veut revenir.
Un agent d’immigration doit constater le départ du migrant. À l’aéroport, il va lui remettre son passeport, qui a été saisi lors de la traversée de la frontière. Le dossier est clos.
12 - … ou l’illégalité
Un très petit nombre de migrants décide de défier l’ordre d'expulsion : c’est alors la vie d’immigrant illégal, sans assurance maladie, confinée au travail au noir.
Un mandat d’arrestation est lancé contre le migrant illégal, qui peut se faire arrêter et expulser à tout moment.