Qu'arrivera-t-il aux djihadistes canadiens et à leurs proches arrêtés à l’étranger?

Photo : Getty Images / JM LOPEZ
Si des Canadiens soupçonnés d'appartenir au groupe armé État islamique étaient arrêtés en Irak ou en Syrie, quelles lois s'appliqueraient à eux? Seraient-ils rapatriés au Canada ou plutôt jugés sur place? Et qu'adviendrait-il de leur femme et de leurs enfants?
Un texte de Ximena Sampson
Avant tout, il faudrait déterminer s’il s’agit de ressortissants canadiens ou s’ils détiennent plusieurs nationalités, soutient Stéphane Beaulac, professeur à la Faculté de droit de l’Université de Montréal et directeur de l’Observatoire des mesures visant la sécurité nationale.
Lorsque quelqu’un détient une double nationalité, « ça rend plus délicates les interventions des autorités », précise-t-il, en rappelant le cas de Zahra Kazemi, cette photojournaliste irano-canadienne torturée et assassinée dans une prison de Téhéran.
Comme elle détenait aussi la nationalité iranienne, les autorités de son pays d'origine avaient refusé de lui consentir les droits qui lui revenaient en tant que citoyenne canadienne.
Par contre, « si l’individu arrêté a seulement la nationalité canadienne, il y a une obligation pour les autorités du pays étranger d’informer le consulat ou l’ambassade canadienne », affirme M. Beaulac.
« »
Par le biais de la protection diplomatique, la personne arrêtée aura droit à une assistance pour ne pas avoir à se défendre toute seule.
Ce que dit le gouvernement :
Le gouvernement du Canada fera tout en son pouvoir pour veiller à ce que vous soyez traité de façon équitable par le système de justice pénale du pays où vous êtes détenu. Il veillera à ce que vous ne soyez pas pénalisé du simple fait d’être étranger et à ce que vous ne soyez pas victime de discrimination ou d’un déni de justice parce que vous êtes Canadien.
Si un Canadien est arrêté en Irak ou en Syrie, c’est la loi de ces pays qui s’applique, explique l’ex-colonel Michel W. Drapeau, professeur à la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa. « La règle de base, c’est que les gens sont assujettis à la loi de l’endroit où le crime a supposément pris place », affirme-t-il.
Ce serait donc aux autorités irakiennes ou syriennes de le juger et de le condamner à une peine de prison, le cas échéant.
Pas de droit automatique au rapatriement
Un détenu peut-il exiger son rapatriement? Il peut bien le demander, mais rien n’oblige le Canada à le faire.
« Le rôle du Canada est de s’assurer que ses citoyens sont protégés », soutient Pearl Eliadis, experte en droits de la personne et professeure à la Faculté de droit à l’Université McGill. « Il y a plusieurs façons de le faire », ajoute-t-elle. « Le rapatriement est un moyen, mais ce n’est pas le seul. »
Un citoyen canadien emprisonné à l'étranger n'a pas le droit absolu de purger sa peine au pays, a confirmé la Cour suprême en 2013.
« »
L'autorisation du transfert d'un détenu canadien est à la discrétion du ministre de la Justice, qui doit exercer ce pouvoir de façon raisonnable et en conformité avec les valeurs de la Charte canadienne.
Dans le cas jugé par la Cour suprême, le détenu, emprisonné aux États-Unis, avait fait deux demandes de rapatriement, approuvées par les autorités américaines, mais refusées par le Canada, qui a fait valoir que son retour au pays « pourrait constituer une menace pour la sécurité du Canada et la sûreté des Canadiens. »
Cependant, si un citoyen canadien devait être arrêté et jugé en Irak ou en Syrie, le Canada devra être particulièrement aux aguets.
Lors de la reprise de Mossoul, en juillet, les forces armées irakiennes ont été accusées par l'organisation de défense des droits de la personne Human Rights Watch d’avoir battu, torturé et exécuté sommairement des combattants soupçonnés d'appartenir au groupe armé État islamique. Ils les auraient également détenus dans des conditions inhumaines.
« Le gouvernement du Canada a intérêt à veiller sur les droits de ses citoyens et à s’assurer que les règles internationales ou celles qui s’appliquent dans le pays soient mises en oeuvre d’une façon conforme avec leurs droits », affirme Pearl Eliadis.
Les combattants étrangers affiliés au groupe armé État islamique (EI) devraient être considérés comme des prisonniers de guerre protégés par les conventions de Genève, qui leur garantissent des droits fondamentaux.
« »
Et si les personnes arrêtées étaient des femmes et des enfants?
Les civils, tels que les femmes et les enfants de ces combattants, sont protégés, eux aussi, par le droit international humanitaire, soit les conventions de Genève et de La Haye.
« Ces règles vont au-delà de la loi nationale », explique Mme Eliadis. « Elles déterminent notamment la légalité de la détention et les conditions dans lesquelles les enfants devraient être mis en détention, par exemple qu’ils restent avec leur mère au lieu d’être mêlés à une population criminelle. »
En juillet, une Française et ses quatre enfants ont été découverts par les autorités irakiennes dans une maison de Mossoul. Elle disait avoir suivi son mari, qui n’était pas, selon elle, un combattant, mais plutôt un sympathisant de l’EI. Le gouvernement français avait alors dit n’avoir aucune intention de la rapatrier et reconnaissait aux autorités irakiennes le droit de juger ses ressortissants impliqués dans des organisations terroristes.
Selon le droit international, seules les personnes individuellement responsables des crimes peuvent être punies. Imposer un châtiment à leur famille, si elle n'a pas participé au délit, est un crime de guerre.
Et si les combattants étrangers rentraient au Canada?
Si jamais on décidait de ne pas les juger en Irak et en Syrie, ces personnes devraient faire face à la justice ici. Le plus probable est qu’on les accuserait d’avoir voulu se joindre un groupe terroriste répertorié par le gouvernement, ce qui est illégal.
« Ils devraient vraisemblablement faire face à des accusations criminelles d’avoir souhaité se rendre à l’étranger pour se prêter à des activités terroristes », croit Stéphane Beaulac.
Le ministère de la Sécurité publique du Canada et la Gendarmerie royale du Canada soutiennent que le phénomène des combattants étrangers est une priorité pour les organismes de sécurité nationale.
« Le phénomène des individus qui rentrent au pays après être allés se battre à l’étranger est problématique à plusieurs égards, puisque les motivations et les intentions varient selon la personne. Il n'existe donc pas de solution universelle », nous a écrit le porte-parole du ministère.