Congo-Kinshasa : le feu et le sang

Des milices rivales ont poursuivi samedi leurs affrontements au lendemain de l'arrivée des premiers éléments français d'une force de paix multinationale. Deux journalistes français ont été faits prisonniers.
Des milices rivales se sont affrontées samedi à Bunia, chef-lieu du district très troublé de l'Ituri, dans le nord-est de la République démocratique du Congo (RDC). Ces combats qui ont fait au moins 16 blessés surviennent au lendemain de l'arrivée des premiers éléments français d'une force de paix internationale, chargés de sécuriser l'aéroport de Bunia.
L'une des milices, les rebelles hémas du Parti pour l'unité et la sauvegarde de l'intégrité du Congo (Pusic), proches de l'Ouganda, ont déclaré samedi avoir tué la veille 300 combattants rivaux lendus et ngitis qui tentaient de s'attaquer à leurs positions près du Lac Albert, dans le nord-est de la RDC. Selon la mission de l'ONU en RDC (Monuc), l'Union des patriotes congolais (UPC), la rébellion majoritairement composée de Hemas, contrôlerait toujours la ville de Bunia. Cette milice affirme avoir 15 000 hommes sous son commandement et contrôle la ville depuis le 12 mai dernier.
Par ailleurs, deux journalistes français de la télévision publique France 2, Frédéric Ranc et Patrick Desmulie, ont été arrêtés, a rapporté samedi un correspondant de la chaîne sans pouvoir donner plus de détails.
Les Européens passent à l'acte
L'opération de maintien de la paix, menée collectivement au nom de l'Union européenne, a été entérinée jeudi à Luxembourg par les ministres européens. Cette mission, la première de ce type à être menée par l'UE hors du continent européen, a été votée mercredi par l'ONU et vise à pacifier l'Ituri où des affrontements interethniques ont fait plus de 500 morts en mai.
Elle prévoit notamment l'envoi d'une force européenne de 1700 hommes qui décolleront samedi soir pour la ville ougandaise d'Entebbe, au nord-est de la RDC.
Cette opération, dont la France est la nation-pilote, a débuté jeudi par l'arrivée en Ouganda de quelques hommes dépêchés par la France, chargés de préparer une base arrière avant l'arrivée des premiers soldats de la mission «Artémis». Les troupes devront ensuite se déployer sur la ville de Bunia, le chef-lieu du district très troublé de l'Ituri, sous le commandement du général français Jean-Paul Thonier.
La Belgique a dépêché samedi deux avions militaires de transport dédiés à la force de paix d'urgence. Les appareils seront basés en Ouganda pour apporter un soutien à la France. Au total, la force multinationale devrait compter environ 1400 hommes.
La difficile mission de la force multinationale
La composition de cette force de maintien de la paix n'était pas définitivement arrêtée jeudi. Plusieurs pays comme la Grande-Bretagne, le Canada et des pays africains, comme l'Afrique du Sud, pourraient y participer.
D'autres renseignements devraient être fournis mardi lorsque tous les détails auront été arrêtés lors d'une réunion à Paris. En revanche, la fin du mandat est d'ores et déjà fixée au 1er septembre et la force de l'UE ne pourra agir qu'à Bunia et dans ses environs immédiats pour protéger l'aéroport et les camps de réfugiés.
Samedi, l'un des officiers français présent à Bunia, a indiqué à l'Agence France Presse (AFP) que la localisation géographique de Bunia, enclavée et montagneuse, compliquait l'acheminement des forces. De plus, la région manque de ressources logistiques telles que le carburant, a-t-il expliqué.
Plus tôt cette semaine, le président de la République démocratique du Congo, Joseph Kabila, s'est inquiété des limitations du mandat de la force. «Le président Kabila tient à garder des contacts avec le Conseil de sécurité pour que la question continue d'être examinée, car que se passera-t-il s'il y a des violences en dehors de la ville, et surtout après le 1er septembre?», s'est interrogé le ministre des Affaires étrangères du Congo-Kinshasa.
Les craintes du gouvernement Kabila ont trouvé écho dans les déclarations du chef de l'UPC, Thomas Lubanga, qui se dit prêt à se battre contre la force multinationale.
Un responsable des Nations unies sur place a confirmé que le chef de l'UPC avait «souhaité la bienvenue» à la Force multinationale, mais déclaré qu'il n'hésiterait pas «à se battre contre elle pour protéger sa population». Le chef de l'UPC a laissé entendre qu'il attendrait ainsi que la force multinationale quitte Bunia pour reprendre le contrôle de la ville.
Réactions au Canada
Au pays, des députés de quatre partis politiques, dont un libéral, ont unis leur voix pour demander plus d'action de la part du Canada au Congo. Le député libéral Irwin Cutler et des collègues néo-démocrate, allianciste et bloquiste ont demandé que le Canada joue un rôle d'avant-plan pour intensifier un redéploiement de troupes internationales vers le Congo. La députée bloquiste Francine Lalonde a suggèré que des soldats canadiens actuellement en Bosnie soient envoyés le plus rapidement possible dans la province de l'Ituri où, dit-elle, pourrait avoir lieu un génocide pire que celui du Rwanda. D'ailleurs, trois avions de transport de troupes C-130 Hercules qui étaient utilisés dans le golfe Persique vont rejoindre prochainement la Force multinationale.
L'ancien chef d'état-major des Forces armées canadiennes, le général Maurice Baril, a été chargé, mardi, en tant qu'envoyé spécial du secrétaire général de l'ONU en République démocratique du Congo, de mettre sur pied une force armée nationale dans ce pays déchiré par la guerre.
Cette nouvelle mission internationale pour le général Baril arrive quelques mois après que ce dernier eut présidé la commission d'enquête sur les quatre militaires canadiens tués en Afghanistan par une bombe lâchée par un avion américain.
L'actuel conflit a éclaté en août 1998 lorsque le Rwanda et l'Ouganda ont envoyé leur armée en RDC pour soutenir les rebelles opposés au président de l'époque, Laurent Désiré Kabila. Les combats se sont arrêtés depuis un cessez-le-feu signé en 1999, sauf dans l'est du pays, trés riche en matières premières. Les affrontements interethniques dans cette région ont fait depuis 1999 quelque 50 000 morts et environ 500 000 déplacés. Au terme d'une transition de deux ans (extensible six mois), la RDC doit organiser des élections démocratiques, les premières depuis 1960 pour ce pays sortant de près de cinq ans de guerre et de pillages.