Blogue : Le défi d'une scientifique Qallunaat

Gwyneth Anne MacMillan présentant ses résultats scientifiques
Photo : Radio-Canada
Prenez note que cet article publié en 2017 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Comment partager des résultats scientifiques avec les communautés autochtones sur des territoires qu'ils habitent depuis des milliers d'années? C'est le défi que s'est lancé Gwyneth Anne MacMillan, une doctorante au Département de sciences biologiques de l'Université de Montréal qui est retournée dans le Grand Nord pour parler à des « jeunes inuits et cris nouvellement passionnés de lichen, de zooplancton et de l'utilisation des microscopes binoculaires ». Une invitation de Gwyneth à un voyage passionnant au Nunavik et au Nunavut.
Par Gwyneth Anne MacMillan
En tant que scientifique en sciences de l’environnement, je m’efforce de mieux m’engager depuis plusieurs années auprès des communautés autochtones qui sont situées près de mes lieux de recherche dans le Grand Nord.
Toutefois, il est particulièrement difficile de s’engager auprès des membres d’une communauté lorsque le travail scientifique est hautement spécialisé et ne comporte pas de collecte de données directement axée sur les communautés ou sur les animaux charismatiques, tels que le caribou ou le béluga.
Pour les scientifiques, le plus grand défi de la vulgarisation scientifique est de prendre conscience que notre façon de voir le monde, divisé en atomes, en éléments chimiques ou en flux d’énergie, n’est pas la seule façon d’envisager ce qui nous entoure. Bien vulgariser, c’est beaucoup plus que de retirer le jargon scientifique de nos explications, c'est d’attirer et de retenir l'attention de la communauté non scientifique.

Gwyneth Anne MacMillan entourée de jeunes scientifiques en herbe
Photo : Radio-Canada / Gwyneth Anne MacMillan
L’an passé, à la fin d’une demande de bourse pour soutenir les recherches nordiques, je suis tombée sur la question : « Si vous aviez l’opportunité de passer plus de temps dans le Nord, quels seraient les avantages potentiels pour vous et les collectivités du Nord? ». En répondant, j’ai décrit un grand voyage de vulgarisation et de sensibilisation à la science au Nunavik (le Nord-du-Québec) et à Iqaluit au Nunavut.
Depuis longtemps, il persiste une impression que les chercheurs viennent faire leurs affaires, puis quittent les communautés nordiques sans offrir d’explication ou de retour sur leurs travaux. Les gens ont donc le sentiment que la science est externe à eux.
Les avantages potentiels de mon voyage seraient d’encourager les échanges respectueux avec les scientifiques, de tisser des liens plus durables avec les membres de la communauté, ainsi que de rendre les activités de recherches plus pertinentes et accessibles aux communautés d’accueil.
Après avoir reçu la bourse, je n’étais soudainement plus certaine comment procéder à la planification du voyage. Un chercheur invité dans le Nord pour partager les résultats d’un projet collaboratif a été interrompu après une minute et demie seulement de son exposé PowerPoint.
Une autre collègue se souvenait d’une jeune fille qui lui a demandé, un an après la tenue d’une activité de vulgarisation scientifique dans la communauté, si le plancton se trouvait toujours dans les lacs autour du hameau. Comment attirer l’attention des communautés nordiques sur les sciences et faire un retour efficace sur des résultats de recherche très spécialisée? Il est souvent très difficile de répondre à cette question.
Même la traduction en langues autochtones d’un court résumé de recherche a posé plusieurs obstacles : des obstacles mineurs avec les mots « écologie », « contaminant » et « échantillon de tissus » et des obstacles majeurs avec la compréhension des concepts en chimie et écologie dans un cadre interculturel. À plusieurs niveaux, on ne parle pas le même langage.
Un des grands défis pour une chercheure « Qallunaat* » qui planifie un voyage de sensibilisation aux sciences dans le Nord est la difficulté d’organiser des rencontres à l’avance avec les membres de la communauté. Il est curieux de dépenser des milliers de dollars à s’envoler vers le Nord sans avoir prévu grand-chose. Comme le dit souvent une collègue, vous ne savez jamais qui vous allez rencontrer, mais vous rencontrerez assurément beaucoup de monde!

Gwyneth Anne MacMillan et son équipe de jeunes scientifiques
Photo : Radio-Canada
Il faut avoir une certaine flexibilité et la conviction que les choses s’arrangeront une fois sur place dans la communauté. Enfin, il se peut qu’il soit impossible de rejoindre des personnes recherchées, que les gens ne se présentent pas aux réunions planifiées, ou que la plupart des gens ne se sentent tout simplement pas concernés par tes résultats. Comme la plupart d’entre nous, les gens sont occupés et il peut y avoir d’autres préoccupations dans la communauté au moment de notre visite.
Malgré tout cela, il est faux de conclure que les gens ne s’en soucient pas. Il est parfois difficile de trouver la bonne approche pour partager et vulgariser un travail scientifique très spécialisé auprès des communautés autochtones, mais cela ne signifie pas que ce n’est pas important de le faire.
En restant ouverte aux échanges avec les communautés, j’ai pu remercier de vive voix les chasseurs qui ont participé à notre collecte de données, discuter autour d’un thé au pow-wow, et passer une journée agréablement épuisante entourée de 60 jeunes inuits et cris nouvellement passionnés de lichen, de zooplancton et de l’utilisation des microscopes binoculaires.
Nous devons continuer à tendre la main aux communautés autochtones près de nos lieux de recherche et montrer que les scientifiques sont ouverts aux échanges, aux partages, aux commentaires et aux réactions venant des communautés. À mon avis, l’essentiel est de prendre conscience que notre façon de voir le monde n’est pas la seule façon de l’envisager.
Faire l’effort de s’engager auprès des communautés autochtones est une étape primordiale dans l’objectif de sensibiliser des communautés nordiques à l’importance des sciences et de rétablir une bonne relation de collaboration entre scientifiques et communautés autochtones, souvent tendue par le passé. Tout le monde y gagne!
Remerciements : Merci aux communautés de Kuujjuarapik-Whapmagoostui et de Kangiqsualujjuaq pour l’accueil et à mes collègues José Gérin-Lajoie, Émilie Hébert-Houle, Mathieu Montfette et Justine-Anne Rowell!
*Nom donné par les Inuits aux « Blancs ».