L'improbable histoire de l’épée viking trouvée dans le nord de l’Ontario

L'épée de Beardmore, découverte dans les années 1930.
Photo : copyright rom 2017, brian boyle / Brian Boyle Brian Boyle MPA FPPO
Dans les années 1930, une épée viking en possession d'un résident de Port Arthur fait sensation en Ontario et soulève la question : les Vikings ont-ils fréquenté l'Ontario 500 ans avant Étienne Brûlé et Samuel de Champlain?
James Edward Dodd affirme avoir découvert une épée, la lame d'une hache et un autre morceau non identifié alors qu’il faisait de la prospection minière dans la région de Beardmore, plus de 150 km au nord-est de l'actuelle Thunder Bay.
Le Musée royal de l’Ontario (ROM) a vent de l'affaire et contacte le prospecteur amateur en 1936. Le conservateur Charles Trick Currelly reconnaît dans les artéfacts d’authentiques objets vikings et le récit que narre James Edward Dodd le convainc qu’il ne s’agit pas d’un coup monté.
Le ROM les acquiert pour 500 $.
À lire aussi :
Durant de nombreuses années, les artéfacts de Beardmore sont exposés en vedette au musée torontois.
Des livres sont publiés, décrivant comment les Vikings ont exploré le nord de l’Ontario bien avant les autres Européens, à partir du Groenland, en passant par la baie d’Hudson et la baie James.
Des doutes surgissent
L’histoire de la découverte fait sensation dans la presse, mais rapidement, le récit de James Edward Dodd est mis en doute.
Eli Ragotte, un ancien colocataire et collègue de James Edward Dodd, soutient que ce dernier a volé les objets au propriétaire de la maison où ils habitaient ensemble et affirme les avoir vus vers 1929 ou 1930.
En janvier 1938, le News-Chronicle de Thunder Bay rapporte les propos de J.M. Hansen, qui allègue que James Edward Dodd a trouvé les artéfacts dans la maison qu’il lui louait.
Les deux hommes se rétractent ensuite : Eli Ragotte soutient avoir voulu faire une « blague » alors que J.M. Hansen voit les reliques au Musée royal de Toronto et affirme qu’il ne s’agit pas des mêmes.
Mais la controverse ne s’apaise pas. Dans les années 1950, un jeune anthropologue nommé Edmund Carpenter décrit les artéfacts de Beardmore comme étant « la plus célèbre fraude archéologique de l’Ontario ».
Le coup de grâce arrive en novembre 1956 : Walter, le fils adoptif du prospecteur James Edward Dodd, contacte le Musée royal de l’Ontario et affirme que son père a découvert les artéfacts dans le sous-sol d'une maison de Port Arthur (aujourd’hui Thunder Bay) et qu'il l'a vu les placer sur le site où il affirme les avoir trouvés.
Walter Dodd ajoute que sa précédente déclaration faite sous serment, qui confirmait la version de son père, avait été signée sous la contrainte de ce dernier.
James Edward Dodd ne le contredit pas; il est mort deux ans plus tôt.
Moins de deux semaines plus tard, les artéfacts de Beardmore sont discrètement retirés de leur vitrine du ROM et remplacés par une carte indiquant qu'ils ont été « retirés temporairement ».
Ce retrait temporaire durera en fait près de 40 ans. Dans les années 90, le musée exposera à nouveau l’épée et la lame de hache. Il les présente comme d’authentiques artéfacts vikings, mais omet désormais de faire toute référence à leur découverte controversée.
L'épée dite de Beardmore fait partie de Vikings - L'exposition qui est présentée au Musée royal de l'Ontario depuis le 4 novembre 2017 et se poursuit jusqu'au 2 avril 2018.
Qui croire?
Épée viking authentique amenée par des Vikings? Épée obtenue par des Autochtones auprès de Vikings plus à l’est et transportée en Ontario? Épée ayant appartenu à une famille scandinave établie dans la région de Thunder Bay?
On ne saura sans doute jamais la provenance de cette épée et des autres objets qui l’accompagnent.
On sait qu’elle est passée par le nord-ouest de l’Ontario et que les gens de la région y sont attachés. Les Scandinaves d’abord, qui y voyaient la preuve que leurs ancêtres avaient précédé les Français et les Anglais dans la région. Mais les passionnés d’Histoire sont aussi fascinés par ces artéfacts.
Le musée de Nipigon, près de Beardmore, expose d'ailleurs les reproductions de ces objets dans sa collection.
Qu'en pense la conservatrice de ce musée, Betty Brill? « J'aime rêver. Quand j'étais jeune, on croyait vraiment que les artéfacts étaient véritables et que les Vikings étaient passés par ici. Nos livres d'histoire en témoignaient. [...] Il a tout fallu changer par la suite », explique-t-elle.
Même si elle nuance l'histoire des artéfacts de Beardmore, Betty Brill n’écarte pas la possibilité que les Vikings soient passés dans sa région.