Pourquoi a-t-on laissé construire dans des zones à risque?
Des pompiers sont postés à une intersection de Pierrefonds, aux abords de la rivière des Prairies
Photo : Radio-Canada / Marie-Laure Josselin
En analysant des cartes de zones inondables de la région de Montréal, on observe que des bâtiments ont été récemment construits dans des secteurs qui sont pourtant à risque.
Un texte de Ximena Sampson
C’est particulièrement frappant dans le cas d’un des arrondissements les plus touchés par les crues du début du mois, Pierrefonds-Roxboro.
En superposant la carte des zones inondables de Québec (fournie par le Centre d'expertise hydrique du ministère du Développement durable, de l'Environnement, qui date d’il y a plus d’une vingtaine d’années) à celles de l'estimation des secteurs inondés au printemps et des bâtiments érigés depuis 2006 (date à laquelle les nouvelles cotes de crues de la Rivière-des-Prairies ont été établies), on s’aperçoit que d’importants projets immobiliers ont été construits dans des secteurs où il y avait des risques d’inondations.
Certains de ces secteurs ont été inondés lors de la dernière crue, au début du mois.



Alors, pourquoi avoir construit là?
Selon la loi, aucune construction ne devrait être autorisée dans la zone inondable de récurrence 20 ans (qui a une chance sur 20 de se produire chaque année). C’est d’ailleurs ce que stipule le règlement de zonage de l’arrondissement de Pierrefonds-Roxboro.
Cette restriction n’est cependant en vigueur que depuis 2010. Auparavant, le règlement permettait les constructions à certaines conditions (proximité d’une voie de circulation, services d’égout et d’aqueducs déjà installés à proximité), en fondation immunisée, c’est-à-dire sans ouvertures par lesquelles l’eau pourrait accéder à la fondation, explique Anne Castonguay, de la Direction de l'aménagement urbain et des services aux entreprises de Pierrefonds-Roxboro.
Construire en zone inondable
Si cet arrondissement a modifié son règlement de zonage, ce n’est pas le cas partout.
Dans certaines municipalités, il est encore possible de construire dans la zone de récurrence 20 ans. En effet, ce sont les municipalités et les villes qui sont responsables de reprendre les informations sur les zones inondables, fournies par Québec, dans leurs schémas d’aménagement et de développement.
La gestion des plaines inondables relève des provinces, mais ce sont les municipalités régionales de comté (MRC), les agglomérations et les organismes supramunicipaux, en accord avec le gouvernement, qui délimitent les zones inondables et qui régissent les constructions, les ouvrages et les travaux qui y seront situés.
« Quand la municipalité fait son règlement de zonage, elle pourrait, et devrait même, interdire toute construction en zone inondable », soutient Danielle Pilette, professeure associée au Département de stratégie, responsabilité sociale et environnementale à l’École des sciences de la gestion de l’Université du Québec à Montréal (UQAM).
Le règlement d'urbanisme des municipalités et des arrondissements doivent ensuite être approuvés par les MRC ou les agglomérations, ainsi que par le ministère des Affaires municipales et de l'Occupation du territoire.
Cependant, « pour des raisons politiques, des règlements municipaux ont parfois été déclarés conformes à l’esprit, sans qu’ils soient conformes à la lettre, de ce qui a été exigé », avance Mme Pilette.
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Mme Pilette donne l’exemple de Laval, qui a fait appel des cartes de zones inondables dressées par le gouvernement en ayant recours à d’autres experts. Le nouveau tracé lui a permis de soustraire 700 propriétés de la zone inondable, leur permettant ainsi de ne pas perdre de valeur foncière.
« On arrive avec des dérives que tout le monde laisse faire parce qu’il s’agit de l’industrie immobilière, le pain et le beurre des municipalités locales », souligne-t-elle.
« Même pour le gouvernement du Québec, l’immobilier représente une part toujours plus importante du PIB. […] Il n’y a pas juste l’industrie de la construction qui est impliquée, il y a toute l’industrie des services immobiliers, le notariat ou les services à la copropriété. »
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Selon elle, même si les inondations engendrent des coûts considérables pour la municipalité et le gouvernement, ceux-ci sont tout de même bien moins importants que les retombées de l’industrie de la construction.
En outre, les résidences bâties sur le bord de l’eau sont généralement plus chères et rapportent donc bien plus en taxes municipales que les autres.
Les impératifs économiques ont souvent préséance, renchérit François Anctil, professeur au Département de génie civil et de génie des eaux de l'Université Laval, en entrevue avec Michel Plourde à l’émission Boréale 138. « Il ne faut pas enlever les responsabilités aux municipalités », croit-il. « Elles sont les mieux placées pour agir, mais elles sont souvent sous pression; ce sont des pressions locales […] des gens qui veulent faire des développements. »
Des cartes dépassées
Un autre problème important est la désuétude des cartes, rappellent les experts. « On n’est pas certains qu’elles représentent des modèles à jour », déplore Danielle Pilette. « Les modèles devraient probablement être corrigés en fonction des événements extrêmes plus fréquents. »
C’est notamment le cas de Pierrefonds-Roxboro. La carte sur laquelle on se base pour déterminer les zones à risque d’inondation a été dressée il y a plus de 20 ans.

L’arrondissement se sert aussi des cotes de crue, mises à jour en 2006. Elles devront cependant être revues à la lumière des plus récentes inondations, reconnaît-on à Pierrefonds-Roxboro. « Selon nous, on a dépassé à certains endroits la cote centenaire », pense Mme Castonguay.
Avec les changements climatiques, on ne peut plus prétendre établir une récurrence, croit François Anctil. « Ces lignes-là pourraient fluctuer et quelqu’un qui ne pensait pas être dans une zone inondable va le devenir peut-être dans cinq ans ou l’est déjà sans le savoir. »
Avec les informations de CBC