Inde-Pakistan : guerre froide et pop-corn
Les tensions demeurent vives entre l'Inde et le Pakistan, deux puissances nucléaires, qui se disputent une frontière. Pourtant, les frères ennemis parviennent à coorganiser une cérémonie très populaire où un public familial en délire danse et mange de la crème glacée.
Un reportage de Thomas Gerbet, correspondant en Inde
La frontière entre l'Inde et le Pakistan, qui s'étend sur 3000 kilomètres, est l'une des zones les plus militarisées de la planète. Mais chaque soir, le conflit vieux de 70 ans se clôture sous les applaudissements.
Au coucher du soleil, des milliers de personnes convergent vers le seul et unique poste frontalier qui existe entre les villes d'Amritsar (Inde) et Lahore (Pakistan) pour assister à la cérémonie de fermeture de la frontière.
L’endroit est ultra surveillé. Un attentat a eu lieu ici il y a quelques années. Les deux armées demeurent tendues. Le jour de notre passage, deux soldats indiens ont été décapités plus au nord et l'Inde accuse les Pakistanais.
De part et d'autre des barrières, les soldats se regardent en chiens de faïence, mais l'ambiance est à la fête. Comme dans une compétition sportive, le public se masse dans des tribunes avec drapeaux et casquettes aux couleurs de leur pays. Les Indiens de leur côté, les Pakistanais de l'autre. On mange de la crème glacée et du pop-corn. Les femmes et les enfants sont même invités à danser devant le poste frontière.
Les haut-parleurs, dirigés vers l’autre pays, crachent une musique la plus forte possible. La cérémonie d’affrontement patriotique peut commencer. De vrais soldats sont les vedettes du spectacle. Leurs crêtes sur la tête ne font pas de doute : nous assistons à un combat de coqs. C’est à celui qui criera le plus fort, qui lèvera le pied le plus haut.
Les soldats se toisent, se provoquent puis se saluent. Ils peuvent maintenant faire descendre les drapeaux le temps d’une nuit, dans un simulacre de paix.
Le Cachemire : épicentre du conflit
À la fin de l’Empire des Indes, en 1947, les Britanniques organisent une séparation sur des bases religieuses.
Les régions peuplées à majorité de musulmans formeront le Pakistan et celles à majorité hindoue deviendront l’Inde. Mais il y a un problème. La principauté du Jammu-et-Cachemire surtout peuplée de musulmans, mais dirigée par un hindou, décide de se rattacher à l’Inde. Les deux pays se disputent toujours le territoire 70 ans plus tard, avec au passage trois guerres et des escarmouches fréquentes.
On se demande quel est l’effet de cette cérémonie sur le public. Certains Indiens y voient une main tendue pour la paix. Pour d’autres, la soirée semble avoir attisé leur esprit de rivalité.
« Le Pakistan ne veut pas la paix, dit Rashmi Gupta, approuvée par son mari. C'est toujours nous qui faisons des efforts, qui allons vers eux, et ils font toujours des pas en arrière. »
Quand on demande à Rajesh Solank ce qu'il pense de la relation entre les deux pays, il quitte le champ de la caméra : « Non non. Je ne répondrai pas à cette question. » Puis il revient pour crier le slogan : « Longue vie à la mère patrie! »
« J'étais déjà fier de mon pays, mais après cette cérémonie, je suis encore plus fier », dit Rajan Mahante. Il croit que les deux États devraient « se rapprocher pour que tous les deux puissent se développer ». Sa fille Anuradha croit aussi que la paix est possible : « Les gens n’ont pas cette haine dans leur coeur. C’est juste de la politique. S'il n'y avait pas cette barrière, on s'assiérait tous ensemble et on applaudirait les deux pays. »