Les cowboys qui plantaient des arbres

Les Cowboys Fringants
Photo : Le Petit Russe
Prenez note que cet article publié en 2017 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Le disque Nos forêts chantées, né d'une initiative des Cowboys Fringants, est un produit artistique avec des volets éducationnel et environnemental et lié à la plantation d'arbres pour le 375e anniversaire de la Ville de Montréal. Pour discuter des racines de l'œuvre, qui de mieux que Jérôme Dupras, le cowboy qui plantait des arbres?
Les chansons de l’album Nos forêts chantées, qui sera en vente le 12 mai en format physique et numérique, sont apparues dans ma boîte courriel mercredi. L’initiative des Cowboys Fringants visant à planter 375 000 arbres pour les célébrations du 375e anniversaire de la métropole était connue et documentée. On en fait d’ailleurs part sur le site web de la Fondation Cowboys Fringants depuis 2013. La production disque, par contre, hormis un communiqué émis il y a deux ans, a fait moins de bruit.
« L’idée du disque a germé à l’été 2015, explique le bassiste des Cowboys Fringants. Comme le slogan de la fondation est "La musique au service de l’environnement", nous cherchions une idée pour lier les deux. La plantation des 375 000 arbres, c’était le véhicule naturel pour nous. Avec notre partenaire ENvironnement JEUnesse (EnJeu), nous cherchions une façon de toucher les jeunes à l’école avec un projet musical. Nous avons commencé à faire de la musique en 1995, à peu près au même âge que ceux qui ont participé au disque. »
Le collectif
Nos forêts chantées contient 11 chansons interprétées par Les Cowboys Fringants (À l’ombre du Grand Bill), Caracol (Saint-Sauveur), Dumas (Colibri), Les Dales Hawerchuk (Printemps), Loco Locass (Nutshimit (dans le bois)), David Marin (Territoire), Safia Nolin (Killy), Chloé Sainte-Marie (Dis-moi), Richard Séguin (Émile), Tire le coyote (Pour que tu t’ensauvages) et Vincent Vallières (La trail au bout d’la route). Les textes des chansons ont été écrits par des élèves de 2e secondaire – et un groupe de cégep – sous la supervision de l’auteur Jonathan Harnois (Je voulais me déposer la tête), qui a dirigé 35 ateliers créatifs dans 11 régions du Québec. La réalisation a été confiée à Sébastien Blais-Montpetit, Simon Landry et Chafiik (pour Nutshimit).
« Nous voulions des écoles dans toutes les régions, pour avoir des perspectives différentes, note le musicien, qui est aussi enseignant à l’Université du Québec en Outaouais quand il n’est pas sur une scène ou en studio avec ses amis cowboys. La relation que quelqu’un peut avoir avec un arbre à Montréal ou à Laval n’est peut-être pas la même que celle de quelqu’un qui vit à Val-d’Or ou à Sept-Îles.
« Avec les collègues du Département de sciences naturelles de l’UQO, nous avons préparé une trousse éducative. Les gens d’EnJeu ont ensuite fait des ateliers de vulgarisation, car nous voulions que la forêt soit abordée dans la mission. Les textes ont été écrits par des groupes de 15 à 30 élèves. Il y en a qui provenaient de groupes de réinsertion. D’autres étaient des décrocheurs, ou bien ceux qui avaient le plus de leadership. Jonathan a fait trois visites dans chaque école, et les textes ont été créés lors de l’année scolaire 2015-2016. »
L’écriture à plusieurs mains
Un peu comme les bulletins de fin d’année, c’est au terme de ce processus qui a pris plus d’un an que la distribution des prix a été effectuée.
« Nous (Les Cowboys Fringants) avons distribué les textes à des artistes qui nous avaient demandé de prendre part à un projet du genre et qui avaient une filiation d’idée avec les types de chansons. »
- Les élèves ont donc écrit les textes des chansons sans savoir à qui ils étaient destinés? Certains d’entre eux semblent pourtant taillés sur mesure. Je pense à ceux de Vincent Vallières et de Richard Séguin.
« Pas dans tous les cas, confirme le bassiste. C’était évident que la chanson du [Collège de l’Assomption], la ville où vivent trois des Cowboys, nous était destinée. Et les élèves savaient aussi qu’ils écrivaient pour Vincent et pour Richard. Tous les artistes avaient un droit de regard sur les textes afin qu’ils soient confortables en bouche pour eux. Dans le cas des Dales Hawerchuk, par exemple, la chanson avait six couplets à l’origine. Elle est plus courte dans sa version finale.
« Je ne suis pas surpris, mais très heureux du résultat, affirme Jérôme Dupras. Ce sont des chansons solides qui pourraient figurer sur les albums de ces artistes. Et c’est quand même 18 mois de travail pour plus de 300 personnes. »
375 000 arbres pour le 375e
Les sommes générées par la vente du disque serviront à financer la plantation de milliers d’arbres dans la grande région métropolitaine (Laval, Montréal, Rive-Sud). On soulignera la réussite de l’entreprise vendredi prochain, lors d’une conférence de presse au parc Maisonneuve, quelques heures avant une autre supplémentaire des Cowboys Fringants au Métropolis. Mais le travail de plantation est commencé depuis des mois.
« Plus de 150 000 arbres sont déjà en terre. Et nous avons le financement pour tous les autres. Au fond, nous avons dépassé l’objectif. Il y en aura 410 000 en tout. Peu de gens y croyaient quand nous avons lancé le projet. Ils se demandaient où nous allions les planter, ces arbres.
« Si on compte 10 $ par arbre, on parle d’une entreprise de plus de 4 millions de dollars. Il y avait un défi financier et un défi sur le terrain. C’est facile, planter un arbre. La difficulté, c’est de s’assurer qu’il sera encore là dans cinq ans. Il y a eu des ententes et des consultations avec les villes et avec des propriétaires. La semaine prochaine, nous allons inaugurer la place du 375e au parc Maisonneuve. Le soir même, nous allons prendre une vingtaine de minutes de notre spectacle afin de présenter le projet au public. Des artistes présents sur le disque vont se joindre à nous. Et il y aura, dans la salle, des élèves qui ont participé à l’écriture des chansons. Les élèves de Val-d’Or ont loué un autobus pour être là. »
Jérôme Dupras, c’est le cowboy bardé de diplômes. Rien de moins qu’un doctorat en géographie et un postdoctorat en biologie. Pas exactement le profil moyen du bassiste d’un groupe de musique populaire, il faut avouer. Si l’on se demande comment il parvient à jongler avec les horaires antinomiques de l’enseignement et de la vie de tournée, on a aussi l’impression qu’il est devenu le visage de la Fondation Cowboys Fringants, créée en 2006.
« Je fais plus de recherche que d’enseignement, et nous planifions nos tournées en conséquence. Ça va bien pour ça. Sinon, nous avons tous des rôles dans le groupe. Pour ce qui est de la Fondation, j’en suis un peu devenu le visage, mais tous les gestes qui sont faits sont concertés.
« C’est comme pour la création artistique et le positionnement social des chansons. Les textes naissent de la plume de JF [Jean-François Pauzé], c’est Karl [Tremblay, le chanteur] qui porte le message et Marie-Annick [Lépine] qui les enrobe. Marie-Annick est également très impliquée au sein de la Fondation. Si tout le monde n’est pas à 100 % là-dedans, ça ne peut pas fonctionner. »
« Vacciner » la forêt
Le disque Octobre a été un énorme succès pour les Cowboys Fringants. Le nombre de supplémentaires est tel que la tournée se poursuivra vraisemblablement jusqu’à la fin de l’été 2018. Une telle activité se veut profitable pour la Fondation, qui reçoit un dollar pour chaque billet de spectacle vendu par le groupe.
« Cela dépend, bien sûr, de notre calendrier de spectacles. On peut verser de 50 à 100 000 $, selon les années, sauf celles où nous sommes en création. »
Si le calendrier du groupe est chargé, celui de la Fondation ne l’est pas moins. Maintenant que le programme de plantation initié en 2013 a été mené à terme, il y en a un autre sur la table.
« Le titre de travail du prochain projet environnemental, c’est Les artistes vaccinent la forêt, révèle Dupras. Nous donnons un dollar par billet de spectacle à la Fondation, et le but, c’est d’étendre cette implication à tous les artistes. Louis-José Houde nous a dit que, dès l’automne, lui aussi allait verser un dollar par billet vendu à notre Fondation. Nous espérons que d’autres amis artistes vont faire la même chose.
« Quand on fait de la plantation, on regarde des années devant soi. Jusqu’à 50 ans devant. Il y a des stratégies de plantation, au même titre qu’il y a des stratégies préventives dans le milieu de la santé, avec les vaccinations. »